Candidat à la présidentielle du 25 octobre en Côte d’Ivoire, l’homme d’affaires Jean-Louis Billon, dirigeant de Sifca, le plus puissant groupe privé du pays, s’apprête à entrer en campagne pour ce scrutin. Dans cet entretien exclusif à Financial Afrik, l’ancien ministre du Commerce, de l’Artisanat et de la Promotion des PME du gouvernement Kablan Duncan revient sur son projet, son programme économique, la situation du PDCI-RDA, ses dissensions avec Tidjane Thiam.
Propos recueillis par Alexandre Varel.
Vous faites campagne pour la présidentielle du 25 octobre à la tête du Congrès Démocratique (CODE), coalition d’une vingtaine de formations. Envisagez-vous de bénéficier du ralliement, sur votre nom, du PDCI-RDA, votre ancien parti dont le candidat, Tidjane Thiam, n’a pas été autorisé à se présenter par le Conseil Constitutionnel ?
J’ai déjà beaucoup de ralliements de figures de ce parti et de de membres du bureau politique. La Côte d’Ivoire est un grand pays où tout se sait. Et ses habitants ne sont pas dupes. Ni de mes orientations, ni de mon programme. Ces soutiens sont pour l’instant discrets, mais ils se révèleront au moment opportun. L’appareil PDCI-RDA me suit depuis des années. Il m’a beaucoup aidé lors de ma campagne pour la députation. Après le rejet de la candidature de Tidjane Thiam, je pense donc incarner une sorte de continuité naturelle même si elle n’est pas sous cette bannière.
Pour autant, je reste membre de ce parti. Je n’en ai pas démissionné. De 2012 à 2017, j’ai siégé dans deux gouvernements de Daniel Kablan Duncan sous étiquette PDCI. D’inspiration libérale, mon programme prône moins d’interventions étatiques. Il est aligné sur les fondements idéologiques de cette formation. Les Ivoiriens savent pertinemment tout cela.
Vous avez pris vos distances d’avec Tidjane Thiam depuis son élection, fin 2023, à la tête du parti houphouëtiste alors que vous avez refusé de briguer ce poste. Vous avez, par ailleurs, toujours marqué votre scepticisme quant à la viabilité de sa candidature à la présidentielle d’octobre en raison de sa nationalité française. L’avez-vous approché ces derniers jours ? Le contact est-il maintenu ?
Nous ne nous sommes pas parlés depuis plusieurs mois. Je crois savoir qu’il passe beaucoup de temps à l’étranger. Aux dernières nouvelles, il se trouvait aux Etats-Unis…
Vous restez proche de Laurent Gbagbo que vous avez accueilli personnellement lors de son retour en Côte d’Ivoire, en 2021. Comme pour le PDCI-RDA, souhaitez-vous un report de voix sur votre nom ?
Toutes les forces sont naturellement les bienvenues. Mais les déclarations officielles du PPA vont plutôt dans le sens d’une absence de consignes de vote.
Avez-vous des contacts avec l’ancien président ?
Pas directement, mais à travers plusieurs émissaires.
Votre candidature marque-t-elle un schisme durable au sein du parti de Félix Houphouët-Boigny, l’une des plus anciennes formations politique en Afrique ?
Ce n’est pas à moi d’en juger. Je ne me pose pas la question. Si schisme il y a, il n’est pas de mon fait. Je me remémore de nombreuses discussions que j’ai eues avec le président Konan Henri Bédié, y compris peu avant sa mort. Elles ont été entérinées après sa disparition, en août 2023, lors d’un Congrès du parti. Il souhaitait expressément que la présidence du PDCI soit désormais clairement dissociée de la candidature à la présidentielle sachant qu’il n’entendait pas se présenter. Tidjane Thiam a mis à mal cette ligne de conduite sans doute par besoin de visibilité. Il a pris le contrepied de tout ce qui avait été fait et décidé, ce que je regrette. Il faut que ce parti renoue avec ses règlements intérieurs et une certaine orthodoxie.
Un arc de cercle politique autour de la CODE allant du PPA au PDCI-RDA en passant par Générations et Peuples Solidaires de Guillaume Soro vous semble t’il possible pour contrer le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Paix et la Démocratie (RHDP), et bénéficier de l’apport d’autres appareils politiques ?
Je ne suis en conflit avec personne. Toutes les bonnes volontés sont les bienvenues pour accompagner, porter et défendre mon projet de nouvelle société ivoirienne.
Que pensez-vous de la non-acceptation de la candidature de Laurent Gbagbo ? La déplorez-vous ?
On peut toujours déplorer le rejet de candidatures. Je rappelle qu’il y en a eu une cinquantaine. L’ancien président Gbagbo est un poids politique, mais cette décision était attendue. Tout comme celle de Tidjane Thiam avec les questions liées à sa nationalité. Laurent Gbagbo est encore sous le coup de condamnations judiciaires. Il aurait fallu faire en sorte, avant de déposer les dossiers au Conseil Constitutionnel, qu’une amnistie soit votée par l’Assemblée nationale.
Un vote à l’issue incertaine, le RHDP étant dominant.
Je suis convaincu que des ententes et un apaisement eurent été possibles, y compris de la part des députés de la majorité, dès lors que Laurent Gbagbo avait été relaxé par la Cour Pénale Internationale (CPI) et autorisé à rentrer. S’il reste sous le coup de condamnations judicaires au niveau national, son exclusion de la liste des candidats était quasi certaine.
Que répondez-vous aux critiques jugeant le Conseil Constitutionnel « partisan » au regard de la liste définitive des candidats à la présidentielle ?
Je peux difficilement émettre des critiques, ma candidature ayant été validée. Mais c’est le jeu politique. A chaque scrutin présidentiel, ceux qui ont été écartés crient au scandale et à la position partisane alors que les autres se satisfont de la décision de cette juridiction.
La candidature du président Ouattara était-elle valable au regard de la Constitution ?
Là aussi, ce débat me semble dépassé. Les Ivoiriens ont besoin d’un projet, d’un avenir meilleur, de perspectives. Ils n’ont pas besoin de polémiques. Encore moins de boycotts. Dès lors qu’un troisième mandat a été rendu possible et effectué, le 4ème est tout autant légitime puisque notre Constitution accepte deux mandats successifs.
Nouveau président de la Côte d’Ivoire. Quelle sera votre toute première décision ?
Celle de renforcer la cohésion nationale et la paix. Il ne peut y avoir de croissance forte et durable sans sécurité. La sécurité, c’est aussi la gage d’une plus grande souveraineté avec une économie très robuste. Tous les Ivoiriens qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur, pas seulement les acteurs politiques, doivent se retrouver pour bâtir un projet solide de relance économique qui puisse profiter à tous.
Par une amnistie générale ?
Bien-sûr. Elle est indispensable. Elle doit faire repartir le pays du bon pied.
Y compris pour des personnalités comme l’ancien président de l’Assemble nationale, Guillaume Soro ?
Oui. D’autant qu’il est en exil. Je souhaite que tous les ressortissants Ivoiriens obligés de quitter leur pays puissent rentrer sans être inquiétés.
Qu’est-ce qui différencierait cette décision du grand forum de réconciliation nationale organisé au lendemain de la crise de 2010-2011 avec, au final, le rapport de l’ex-premier ministre Charles Konan Banny, président de la Commission pour le dialogue, la vérité et la réconciliation, enterré ?
L’époque, qui a changé. Cette commission a été créée au lendemain de la plus grande crise que le pays a connue. Les esprits étaient encore extrêmement belliqueux, haineux. Et je suis bien placé pour le savoir. Inutile de rappeler ici la disparition tragique de mon mentor Yves Lamblin, assassiné au plus fort de cette crise avec nos collaborateurs Raoul Adéossi et Pandian Chelliah. La donne est aujourd’hui très différente.
Quel bilan dressez-vous du 3ème mandat d’Alassane Ouattara, notamment sur le plan économique ?
Il y a du bon et du moins bon. Si l’on était dans une classe, je dirais : « Peut mieux faire ». Et j’ajouterais même qu’avec Alassane Ouattara, les Ivoiriens ont une Formule 2. Avec moi comme président, ils auront une Formule 1.
De bonnes choses ont été faites sur infrastructures, mais on observe un ralentissement de la croissance, qui est essentiellement tirée par les investissements publics. Les entreprises continuent d’être matraquées fiscalement et les administrations continuent de connaître de sérieux dysfonctionnements. Il faut donner plus de poids au secteur privé.
Comment comptez-vous soutenir et améliorer le pouvoir d’achat des Ivoiriens ?
Par une relance de la production et un soutien aux entreprises qui en sont la clef. Cela passera par une amélioration considérable du droit des affaires et de l’environnement juridique. Je compte clarifier les textes en vigueur et simplifier le Code de l’Investissement ou encore le Code Général des Impôts. Les acteurs économiques seront appuyés par une nouvelle fiscalité beaucoup plus incitative. Le taux de déperdition des administrations et des services publics sera également observé de près.
Si l’on vous comparait au président sortant du Bénin Patrice Talon, hommes d’affaires comme vous ?
Cela ne me dérangerait pas, bien au contraire. Sur le plan économique, son bilan est très positif avec une augmentation indiscutable du niveau d’infrastructures. Sa gestion est rigoureuse. La lutte contre la corruption ou la gabegie de l’État ont produit leurs effets.
Quels sont les nouveaux leviers de croissance du pays en dehors de l’agriculture ?
Ils se trouvent partout. Qu’il s’agisse du commerce, des industries extractives, des transports, des services, de l’artisanat, mais aussi le secteur environnemental qui peut générer une source non négligeable d’emplois. Prenez le secteur de la gestion des déchets, les énergies renouvelables, l’économie circulaire ou encore tout ce qui tourner autour du recyclage, les potentiels sont là.
Quelle attitude adopterez-vous envers les juntes de l’Alliance des États du Sahel ?
Ces pays ont fait leur choix même si l’on peut regretter leur volonté de quitter la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Mais je ne ferme aucune discussion avec ces États qui ont choisi une voie. Respectons ce choix comme j’attendrai d’eux qu’il respecte le choix de la Côte d’Ivoire. Nous avons besoin des uns des autres pour nos économies respectives. Nous conserverons un bon niveau de le dialogue avec ces pays dans un contexte d’insécurité sous-régionale forte. Nous devons continuer à échanger et à partager nos informations en matière de renseignement.
Êtes-vous soutenu par des chefs d’États de la sous-région ?
Je les connais tous et ils sont nombreux à m’encourager…


Un commentaire
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