Par Materne Ly Aguessy
Au-delà des selfies et des vidéos virales, Facebook, WhatsApp ou TikTok sont en train de s’imposer comme de véritables outils de développement économique pour les agriculteurs d’Afrique de l’Ouest. Au Bénin et en Côte d’Ivoire, une nouvelle génération d’« agripreneurs » détourne les réseaux sociaux de leur usage premier pour accroître ses revenus, partager des savoirs et conquérir de nouveaux marchés.
Selon une étude du cabinet Caribou, réalisée avec la Fondation Mastercard, cette « agriculture sociale » touche déjà des millions de personnes. WhatsApp sert d’intelligence de marché, permettant aux producteurs de comparer les prix et d’éviter les arnaques. Facebook est utilisé comme vitrine commerciale, TikTok comme plateforme de formation, et Instagram comme outil de valorisation des produits agricoles.
Ces pratiques comblent les lacunes des systèmes agricoles formels. Au Bénin, l’agriculture fait vivre plus de 70 % des populations rurales, mais seuls 23 % des producteurs bénéficient de conseils techniques publics. Dans ce contexte, les réseaux sociaux deviennent une infrastructure alternative : un producteur d’anacarde en Côte d’Ivoire reçoit désormais chaque jour les cours du marché via WhatsApp, tandis qu’un transformateur de soja au Bénin peut vendre à distance et encaisser ses paiements via mobile money.
Les jeunes ne sont pas les seuls à innover. Les femmes rurales, souvent confrontées au coût élevé des données et au manque d’équipements, s’organisent pour ne pas être laissées pour compte. Au Bénin, des collectifs comme « DigiQueen » mutualisent l’achat de téléphones et de forfaits Internet. En Côte d’Ivoire, des coopératives féminines privilégient les notes vocales WhatsApp en langues locales pour inclure les membres peu alphabétisées.
Mais ce mouvement massif reste largement invisible pour les décideurs. Les politiques numériques nationales privilégient encore les plateformes spécialisées, coûteuses et peu fréquentées. « L’agriculture sociale est menée par les jeunes et les femmes qui transforment leurs moyens de subsistance et réinventent un avenir agricole porté par la communauté et soutenu par le numérique », souligne Charlene Migwe, directrice de programme chez Caribou.
La Fondation Mastercard estime que le potentiel est considérable. « Imaginez ce que ces agripreneurs pourraient accomplir avec les bons outils, la bonne formation et le bon soutien », insiste Eunice Muthengi, l’une de ses responsables.
Le rapport appelle gouvernements et partenaires à accompagner plutôt qu’à remplacer ces initiatives existantes. Ses recommandations incluent la reconnaissance des pratiques numériques dans les politiques agricoles, le soutien à la connectivité rurale et l’intégration d’outils financiers adaptés comme le mobile money.
Dans une région où seuls 11 % des habitants des campagnes béninoises ont accès à l’électricité et où 86 % des adultes restent exclus du système bancaire, l’essor de cette « agriculture sociale » pourrait bien marquer un tournant pour l’économie rurale ouest-africaine.