Par Auguste DAGO, Président de StratéNova.
Diagnostic d’une situation persistante
En Afrique de l’Ouest, les projets industriels et d’infrastructures abondent, mais leur concrétisation se heurte à un mur récurrent : l’accès au financement. Selon plusieurs études de la Banque africaine de développement, plus de 70 % des projets industriels initiés dans la sous-région n’atteignent jamais la phase de financement.
Le continent accuse chaque année un déficit d’investissement en infrastructures de l’ordre de 100 milliards de dollars, un chiffre qui illustre l’ampleur du manque à gagner.
Cette pénurie de financements a des conséquences lourdes :
– Un retard chronique dans l’industrialisation,
– Une dépendance accrue aux importations,
– Des opportunités d’emplois massifs manquées pour une jeunesse en pleine expansion démographique.
À titre de comparaison, dans l’UEMOA, le crédit bancaire moyen accordé aux entreprises représente à peine 25 % du PIB, contre plus de 90 % dans l’Union européenne. Ce décalage structurel souligne un paradoxe : alors que les besoins sont immenses et que les opportunités de croissance sont tangibles, l’offre de financement reste limitée et inadaptée.
Une problématique plus ancienne qu’il n’y paraît
La perception dominante des bailleurs et investisseurs internationaux peut se résumer ainsi : « l’Afrique est trop risquée ». Pourtant, cette affirmation repose moins sur la rentabilité des projets, souvent élevée, que sur un problème plus profond : l’absence de structuration adaptée.
Depuis les années 1990, une multitude de projets mal préparés ou mal documentés a contribué à alimenter cette vision négative. Le résultat est une méfiance persistante qui, si rien n’est fait, risque de se prolonger encore des décennies, freinant la transformation économique du continent.
Structurer pour convaincre
Les investisseurs internationaux n’écartent pas l’Afrique par principe : ils appliquent des standards universels de sélection. Ce qui fait défaut dans la plupart des projets locaux, ce n’est pas l’idée, ni même la faisabilité économique, mais l’absence d’éléments de structuration capables de rassurer les financeurs.
Quelques exemples parlants :
– Un Debt Service Coverage Ratio (DSCR) supérieur à 1,3, signe qu’un projet peut honorer sa dette même en cas de baisse des revenus,
– Un ratio dette/fonds propres équilibré,
– Un horizon clair de retour à l’équilibre financier.
Sans ces éléments, un projet est considéré comme « trop risqué » avant même que son potentiel ne soit réellement analysé.
Vers une ingénierie panafricaine de la bancabilité
Le véritable défi est donc de bâtir une ingénierie panafricaine de la structuration financière. Cette ingénierie doit conjuguer deux dimensions :
– Une compréhension fine des réalités locales,
– L’intégration des standards internationaux exigés par les marchés financiers.
Trois leviers stratégiques apparaissent comme essentiels :
1. La création de Special Purpose Vehicles (SPV), qui permet d’isoler le projet et de séparer ses risques de ceux du promoteur.
2. Les contrats off-take, qui sécurisent les revenus futurs grâce à des engagements d’achat fermes.
3. La structuration proactive, qui consiste à bâtir dès l’amont les ratios, les mécanismes contractuels et les partenariats nécessaires à la crédibilité du projet.
Comment passer des garanties patrimoniales à la structuration intelligente ?
Changer la perception du risque africain ne passera pas par une multiplication de garanties traditionnelles : hypothèques, nantissements, cautions personnelles, souvent inefficaces et contre-productives.
La clé réside dans une évolution vers une structuration intelligente des projets, articulée autour de deux principalesdimensions :
1. Parler le langage des investisseurs internationaux
Les bailleurs de fonds et investisseurs institutionnels n’évaluent pas un projet sur la seule vision stratégique, mais sur des indicateurs financiers normalisés.
Les porteurs de projets doivent donc intégrer dès la conception des ratios de référence :
– Un DSCR (Debt Service Coverage Ratio) supérieur à 1,3,
– Un IRR (taux de rentabilité interne) aligné avec les standards sectoriels,
– Un EBITDA (marge opérationnelle) stable et documenté.
Exemple : un projet énergétique en Côte d’Ivoire qui démontre que ses cash-flows couvrent largement le service de la dette sur 15 ans est immédiatement lisible et crédible aux yeux de tout investisseur.
2. Mettre en avant des montages clairs et sécurisés
Les investisseurs redoutent l’opacité contractuelle et les structures complexes. Pour lever ces freins, il faut présenter des montages simples, juridiquement solides et alignés sur les meilleures pratiques.
Cela passe par :
– La création d’un SPV, qui isole les risques du projet de ceux de l’entreprise promotrice,
– Des partenariats stratégiques avec des contreparties reconnues (off-takers, fournisseurs, institutions locales),
– Une documentation contractuelle conforme aux standards internationaux (gouvernance, clauses de sortie, arbitrage).
Exemple : un projet agro-industriel structuré via un SPV au Sénégal, avec comme partenaire off-taker une multinationale de l’agroalimentaire, inspire davantage confiance qu’un projet porté par une PME familiale sans montage dédié.
Perspectives
En somme, la bataille du financement en Afrique ne se joue pas sur la rentabilité intrinsèque des projets, souvent compétitive, mais sur leur capacité à répondre aux standards de structuration des investisseurs internationaux.
Passer d’une logique de garanties patrimoniales à une logique de bancabilité structurée est la condition pour transformer la perception du risque africain. C’est à cette condition que les projets africains pourront attirer des capitaux compétitifs, obtenir des maturités longues, et replacer l’Afrique dans le narratif global non pas comme un espace de risques, mais comme une terre d’opportunités investissables.