Par Soukeyna LY, ingénieure en énergie, économiste et doctorante en économie des ressources naturelles
Le gaz naturel fera-t-il entrer le Sénégal dans une nouvelle ère de prospérité ou ne sera-t-il qu’un mirage énergétique de plus ? On y voit la possibilité de faire baisser le coût de l’électricité, de donner un nouvel élan à l’industrie et de réduire la dépendance aux importations. Mais cette chance ne portera ses fruits que si la transformation se fait ici et que les revenus sont gérés avec transparence et constance.

L’exploitation imminente du gaz naturel au Sénégal ouvre une nouvelle ère pour l’économie nationale. Entre perspectives de réduction du coût de l’électricité, industrialisation accrue et opportunités régionales, les chiffres interpellent : des milliards de dollars en importations d’hydrocarbures pourraient être économisés chaque année, libérant des ressources vitales pour la santé, l’éducation et les infrastructures. Mais la manne gazière ne garantit pas la prospérité : tout dépendra de la capacité du pays à transformer localement sa ressource et à sécuriser des revenus stables dans un contexte énergétique mondial en mutation rapide.
Aujourd’hui, près de 70 % de notre électricité repose encore sur du fuel lourd et du diesel. Cette dépendance coûte cher : jusqu’à 3,3 % du PIB en subventions chaque année. Le gaz domestique pourrait réduire de 35 à 40 % le coût de production électrique, libérant 200 à 300 millions USD annuels pour d’autres priorités : santé, éducation, infrastructures. Mais au-delà de la lumière dans nos foyers, le gaz peut devenir un moteur industriel : production d’engrais pour l’agriculture, transport au gaz naturel (bus, camions), cogénération pour alimenter usines et zones industrielles.
Ce débat dépasse nos frontières : dans toute l’Afrique de l’Ouest, la dépendance aux hydrocarbures pèse lourdement sur les économies. Selon des données officielles et estimations sectorielles, le Nigeria a dépensé en 2024 l’équivalent d’environ 10 milliards USD pour importer de l’essence, le Ghana près d’un milliard USD sur le seul premier trimestre 2023, et le Sénégal autour de 3 milliards USD en pétrole brut et produits raffinés. À eux seuls, ces trois pays franchissent déjà le seuil des 15 milliards USD.
Sans stratégie claire, le gaz risque de n’être qu’une ressource qui transite sans enrichir le pays. Ces opportunités ne sont pas sans contrepartie. Les prix du gaz, fixés sur des marchés internationaux, peuvent grimper ou chuter d’une saison à l’autre, rendant les recettes incertaines. À cela s’ajoute un autre risque : investir lourdement dans des installations qui pourraient se retrouver partiellement inactives si la transition énergétique mondiale s’accélère plus vite que prévu. Enfin, si la transformation de la ressource ne se fait pas sur place en produits, en énergie, en emplois, l’impact sur l’économie nationale restera limité, laissant la valeur réelle s’échapper vers l’étranger.
Encadré – Deux trajectoires possibles :
• Norvège : fonds souverain colossal, stabilité économique.
• Nigeria : forte dépendance aux hydrocarbures, faible transformation locale.
Un quota domestique garanti pourrait réserver une part de la production pour l’électricité et l’industrie sénégalaises, quelle que soit la demande mondiale. Investir dans la transformation locale permettrait de créer des filières industrielles autour du gaz pour produire ici ce que nous importons encore massivement. Enfin, une gouvernance exemplaire – transparence totale des contrats, suivi public des revenus et fonds souverain pour les générations futures – est indispensable. Ces leviers s’appuient sur des bases déjà posées par le Plan stratégique gazier et le COS Petrogaz, et peuvent contribuer aux ambitions du plan de redressement économique : part domestique, filières industrielles, transparence. L’enjeu est maintenant d’accélérer, de chiffrer les objectifs et de garantir leur continuité au-delà des cycles politiques.
La révolution énergétique mondiale est en marche : hydrogène vert, batteries, solaire de nouvelle génération… Le Sénégal a quelques années pour intégrer le gaz dans un mix énergétique diversifié, avant que la demande mondiale ne se tasse.
Le gaz est une opportunité macroéconomique rare, capable de remodeler la balance commerciale, de renforcer l’industrie et de soutenir la compétitivité régionale. Mais il n’y aura pas de seconde chance : les choix faits dans les cinq prochaines années détermineront si le Sénégal rejoint le cercle des nations qui ont transformé leur rente en richesse durable, ou s’il reste prisonnier d’un cycle d’exportations à faible valeur ajoutée.
À propos de l’auteure
Soukeyna LY est ingénieure en énergie, économiste et doctorante en économie des ressources naturelles à Montréal. Elle est fondatrice de Prona Futurs, un think tank consacré à la prospective sur les ressources naturelles africaines, et auteure de Sous nos pieds, le futur – Le gaz naturel au Sénégal : entre souveraineté énergétique et avenir d’une génération.