En Côte d’Ivoire, la bataille pour la souveraineté numérique entre dans une nouvelle phase. ST Digital, jeune pousse qui se veut un acteur de référence du cloud africain, inaugurera bientôt son tout premier datacenter en Côte d’Ivoire, situé dans la zone VITIB de Grand-Bassam. Une infrastructure de type Tier III stratégique, pensée comme la première pierre d’un écosystème cloud souverain en Afrique francophone.
C’est le concept de souveraineté numérique, et c’est la raison d’être de ST Digital. L’entreprise a pour vocation de militer pour un véritable changement de paradigme, en développant des infrastructures locales pour garantir une réelle autonomie numérique et éviter à l’Afrique de dépendre de services étrangers.
Cette ouverture viendra compléter l’emprunte des Infrastructures DataCenter de ST Digital en Afrique après le Cameroun et avant le Gabon. Pour rappel, le maillage projeté de ST Digital est représenté comme suit :
Un projet phare pour un marché en éveil
Annoncée pour le dernier trimestre de 2025, l’inauguration du datacenter de ST Digital est présentée comme un tournant stratégique pour l’Afrique francophone. Un « tournant » que le fondateur du groupe, Anthony Same, veut continental. « Il ne s’agit pas seulement d’importer une technologie, mais de concevoir une infrastructure adaptée aux réalités de nos marchés, avec nos propres ressources humaines et nos propres standards », explique Steve Tchouaga, Directeur Général de la filiale ivoirienne.
L’ambition est claire : fournir une infrastructure souveraine, interconnectée à d’autres centres prévus au Cameroun, au Gabon, au Togo, en Guinée et au Sénégal, capable de répondre aux besoins croissants en cloud, en IA et en cybersécurité. Sur le papier, l’objectif est aligné avec les recommandations de la Banque mondiale, qui estimait en 2023 que « l’Afrique ne dispose que de 1 % de la capacité mondiale de data centers, contre 53 % pour l’Amérique du Nord. »
Une Afrique en manque d’infrastructure mais surconnectée
Si les besoins explosent — le trafic Internet en Afrique devrait être multiplié par 6 d’ici à 2030 —, les solutions restent rares et coûteuses. En 2024, le marché africain des data centers pesait à peine 3,5 milliards de dollars, soit moins de 1 % du marché mondial estimé à 386 milliards USD.
Les entreprises africaines sont donc souvent contraintes d’héberger leurs données à Francfort, Paris ou Dubaï. Un paradoxe pour un continent qui affiche l’une des croissances numériques les plus dynamiques au monde (+40 % par an sur la donnée mobile).
Selon les prévisions, la capacité énergétique installée des data centers africains passera de 780 MW en 2025 à plus de 1 400 MW en 2030, soit un taux de croissance annuel supérieur à 12 %.
Héberger les données africaines… en Afrique, un pari souverain… mais à contre-courant ?
La promesse est séduisante, mais la réalité reste plus rugueuse. Dans l’univers des data centers, la course aux volumes est reine.
« La souveraineté passe par la sécurité, mais aussi par la performance. Il faut prouver que les datacenters africains peuvent être aussi robustes que ceux des grandes plateformes. », résume Stéphane Chapperon, expert chez Grant Thornton, qui intervenait début juin lors d’un dîner privé organisé par ST Digital en marge de l’Africa CEO Forum. Un dîner confidentiel mais stratégique, qui a réuni une trentaine de décideurs publics et privés autour du thème : « Cloud africain : innovation, souveraineté et compétitivité ». L’occasion, pour ST Digital, de tester sa vision auprès de ses futurs partenaires – et de marquer son territoire.
Avec ce datacenter, le groupe veut répondre à une double urgence : réduire la dépendance aux plateformes étrangères (AWS, Microsoft Azure, Google Cloud) tout en rassurant les institutions et les entreprises locales sur l’intégrité, la disponibilité et la juridiction de leurs données critiques. L’enjeu dépasse le simple hébergement technique, indique-t-on : il touche à la capacité du continent à contrôler ses flux de données, à bâtir des modèles économiques locaux et à former les talents qui porteront cette nouvelle architecture numérique.
Dans cette logique, ST Digital se positionne avec une souveraineté de proximité, pensée pour les administrations et les PME africaines avec un modèle agile : infrastructure modulaire, consommation énergétique optimisée, services adaptés aux PME locales. « Nous ne cherchons pas à répliquer les géants, mais à faire émerger un modèle africain, hybride, frugal, endogène », explique Steve Tchouaga.

Une alliance public-privé qui devient nécessaire
Côté institutions, le signal est bien reçu. Florence Fadika, conseillère au ministère de la Transition numérique, rappelle que « l’État ne pourra pas porter seul la souveraineté numérique : le secteur privé doit accompagner ce mouvement ». Le gouvernement ivoirien vient d’achever sa stratégie nationale sur l’intelligence artificielle et la donnée, avec un accent sur la normalisation des pratiques de gestion, la montée en compétence des acteurs locaux et qui prévoit notamment la mise en place d’incitations fiscales pour l’hébergement local.
Un alignement public-privé qui devient une nécessité. « Nous avons besoin d’un écosystème complet : écoles, chercheurs, entreprises. Sinon, nous resterons des consommateurs de modèles conçus ailleurs, pour d’autres réalités », alerte Roger Adom, ancien ministre ivoirien du numérique et Conseiller Spécial à la Primature sur les questions d’économie numérique.
Mais un cadre favorable ne garantit pas la demande. « La vraie question, c’est la monétisation », alerte un expert du secteur. « Combien d’institutions publiques ou de startups peuvent, aujourd’hui, s’offrir de la colocation ou des GPU sur mesure ? »
Un groupe Panafricain avec des standards internationaux
Le futur datacenter s’annonce comme un point de bascule. Les ambitions de ST Digital sont de faire de cette infrastructure un levier d’innovation locale, pas seulement un centre d’hébergement, répond notre expert. « Et pour cela, ST Digital devra démontrer sa capacité à attirer des développeurs IA, héberger des services privés et publics critiques, et rivaliser avec les offres de Google ou Oracle, déjà actifs en Afrique subsaharienne. »
De plus, le projet de ST Digital embarque une dimension éco-responsable. « Contrairement à de nombreux acteurs étrangers qui privilégient des pratiques énergétiques traditionnelles, ST Digital intègre des solutions énergétiques, assurant une gestion optimisée et durable des ressources pour chaque projet », explique Steve Tchouaga. « Nous faisons de la transition énergétique une priorité, avec des technologies innovantes qui réduisent l’empreinte écologique des projets tout en garantissant une performance optimale des données. Cet engagement reflète non seulement notre mission de souveraineté numérique, mais aussi notre responsabilité envers un avenir durable pour l’Afrique et le monde. ».
Pour ST Digital, le credo est simple : Sky is not your limit… Your mind is. ».