Par Charles de Blondin
Le continent africain affiche une dynamique de reprise encourageante après les turbulences liées à la pandémie. Le secteur touristique, désormais revenu à ses niveaux d’avant-crise, se réinvente, se diversifie et se structure. Le tourisme d’affaires y occupe une place stratégique, à la croisée des ambitions économiques et de la diplomatie d’influence.
Le tourisme africain reprend des couleurs. En 2023, l’Afrique a retrouvé 96 % de sa fréquentation pré-Covid, selon l’Organisation mondiale du tourisme. Une remontée pour un secteur qui avait vu ses flux internationaux s’effondrer de 74 % en 2020. Derrière les chiffres, une prise de conscience : pour beaucoup de pays, le tourisme est devenu un outil de croissance et un levier de projection.
Longtemps dominée par quelques destinations phares – le Maroc, l’Égypte ou encore l’Afrique du Sud –, l’offre touristique africaine s’ouvre à de nouveaux horizons. Kigali, Cotonou, Addis-Abeba, Dakar… ces capitales montantes affirment désormais leurs ambitions et bousculent la carte du continent. Avec un objectif clair : séduire une clientèle en quête de rendez-vous professionnels – salons, forums, congrès, voyages d’affaires. Le tourisme MICE (Meetings, Incentives, Conferences, Exhibitions) s’impose peu à peu comme un levier stratégique de développement et d’attractivité économique.
Des modèles affirmés : Rwanda et Maroc en tête
À Kigali, le virage est pleinement assumé : la capitale rwandaise s’est imposée comme une vitrine de choix pour les conférences internationales. En 2023, elle a accueilli plus de 150 événements, générant quelque 91 millions de dollars de recettes. Dotée d’un centre de congrès ultramoderne, reliée aux grandes capitales africaines par les vols directs de RwandAir, et portée par une communication soignée, Kigali cultive son image de Singapour africaine. Une stratégie de soft power maîtrisée, au service d’un modèle économique résolument tourné vers l’influence et les affaires.
Même logique à Marrakech, qui a accueilli les Assemblées annuelles du FMI et de la Banque mondiale à l’automne 2023. L’événement a dopé la visibilité du Maroc, conforté dans son statut de place forte du tourisme continental – avec un record de 14,5 millions de visiteurs cette même année.
Le pari audacieux du Bénin
Sous l’impulsion du président Patrice Talon, le Bénin s’illustre aujourd’hui comme un acteur émergent du tourisme régional. Dans le cadre du programme « Bénin révélé », les autorités ont engagé d’importants efforts de modernisation du secteur, en lien avec une stratégie nationale de rayonnement culturel et économique. L’accent est mis sur l’attractivité des infrastructures, la valorisation de la mémoire historique et la création d’un environnement propice à l’investissement hôtelier. Grâce à une vision claire et des partenariats solides, le pays vise deux millions de visiteurs d’ici 2030, contre 120 000 en 2023. Cette progression rapide illustre la volonté béninoise d’inscrire durablement le tourisme dans sa trajectoire de développement.
Cette ambition se traduit par l’organisation d’événements d’envergure. En janvier 2025, la deuxième édition des VodunDays s’est tenue à Ouidah, rassemblant près de 500 000 participants autour de célébrations culturelles et spirituelles mettant en valeur le patrimoine Vodun. Prochainement, les 24 et 25 juin 2025, la capitale économique béninoise sera l’hôte de la cinquième édition du Cyber Africa Forum, marquant une étape significative dans le positionnement du Bénin comme hub régional du numérique et de la cybersécurité. Ces initiatives illustrent la volonté du pays de s’affirmer comme une destination majeure pour le tourisme culturel et d’affaires en Afrique.
Un levier économique, diplomatique et symbolique
Pour ces nations “touristiques en devenir”, l’enjeu est double. D’un côté, créer une activité génératrice de devises et d’emplois. De l’autre, occuper l’espace symbolique mondial. Le tourisme d’affaires, en cela, est devenu un accélérateur. Avec des politiques appropriées, le tourisme et les voyages pourraient ajouter jusqu’à 350 milliards de dollars au PIB du continent d’ici 2033, selon le World Travel& Tourism Council.
Selon les estimations de la Banque mondiale, le secteur représentait, avant la pandémie, environ 7 % du PIB africain et 25 millions d’emplois directs et indirects. Sa résilience et son potentiel de création de valeur ajoutée justifient les efforts de relance engagés depuis 2021. D’ici 2030, le tourisme africain pourrait croître de 6,5 % par an, créant plus de 18 millions de nouveaux emplois.
“Le tourisme n’est plus simplement une source de devises. Il devient un levier de diplomatie économique, un moyen d’attirer les investisseurs, de montrer la modernité des capitales africaines, d’ancrer les pays dans les réseaux mondiaux. Organiser un sommet continental ou accueillir une coupe régionale devient aussi stratégique que signer un traité commercial,” souligne un analyste du secteur touristique africain.
Alors que l’Afrique peine parfois à contrôler son image sur la scène internationale, le tourisme s’impose comme un canal d’exportation du narratif africain. Il ne s’agit plus seulement d’attirer des visiteurs, mais de “leur faire vivre une autre Afrique – innovante, ouverte, connectée, mais aussi fidèle à ses racines”, comme insiste un acteur du secteur hôtelier ouest-africain.
Des défis à surmonter, des réponses locales
Mais les défis restent lourds. Faiblesse des connexions aériennes, lenteur des formalités de visa, ou encore déficit de main-d’œuvre qualifiée. Mais les signaux sont au vert. En 2023, plus de 70 % des pays africains avaient dépassé leur niveau de fréquentation touristique de 2019. Et les flux intra-africains – souvent ignorés – sont en forte hausse, stimulés par la libéralisation progressive des visas et les ambitions d’une classe moyenne continentale en quête d’expériences locales.
Des réponses émergent. Le Rwanda reverse 10 % des recettes de ses parcs aux communautés voisines. Le Kenya développe des conservatoires communautaires. Et plusieurs pays – Ghana, Seychelles, Bénin – cherchent à développer une offre à la fois locale et durable.
À l’heure où les flux touristiques mondiaux se redessinent, l’Afrique veut sa part du gâteau. Mais plus encore, elle veut redéfinir ce qu’elle met dans l’assiette. Non plus seulement plages, safaris et folklore. Mais culture vivante, patrimoine restauré, économie connectée. L’enjeu n’est plus de séduire à tout prix, mais de construire un récit.