Par Lauric NGOUEMBE, Docteur ès sciences économiques, Expert consultant en finances publiques, Cabinet ITONGA Consulting & Co., Congo-Brazzaville.
En comparaison avec les autres États de la CEMAC, voire de toute l’Afrique subsaharienne, la République du Congo détient, hélas, le triste record d’instabilité notoire dans la gouvernance des finances publiques. En effet, entre 2021 et 2025, le Congo a vu se succéder quatre (4) titulaires du portefeuille des Finances, soit une moyenne d’un ministre par an ! Cette cadence de changements impacte naturellement le rythme et l’efficacité des réformes des finances publiques.
Diagnostic stratégique des services du Trésor public, vision et plan stratégique du ministère de l’Économie et des Finances (2022–2026), programme pluriannuel d’actions prioritaires (PPAP) pour réformer le Trésor public, assortis d’un cadre de dépenses à moyen terme (CDMT) et d’un projet annuel de performance (PAP) pour chacun des cinq (5) programmes du ministère, ainsi qu’une série d’indicateurs clés de performance (KPI) choisis : autant d’instruments de stratégie et de planification budgétaire conçus avec la participation active des équipes (points focaux) du Trésor, au cours de deux ateliers organisés en 2023, semblent ne pas retenir l’attention. Un travail pourtant considérable, qui s’inscrit dans l’arsenal des réformes prévues par la directive de la CEMAC n° 01/11-UEAC-190-CM-22 relative aux lois de finances, transposée dans le droit positif congolais à travers la publication d’une série de textes.
Ces réformes, fondées sur une approche conceptuelle (théorique) et une vision globale et cohérente, mobilisant les cadres et agents du Trésor autour d’objectifs crédibles, productifs et durables, intègrent une démarche qualité conforme à la norme ISO 9001 version 2015. Elles visaient un objectif général : moderniser la gestion de cette institution financière, afin de :
- améliorer la productivité et la qualité de ses services ;
- renforcer l’efficacité et l’efficience de la gestion publique par une meilleure allocation des ressources et une optimisation des performances ;
- promouvoir une gestion budgétaire moderne et performante.
L’implémentation de ces réformes a conduit à la réorganisation des services du Trésor, consacrée par le décret n° 2024-99 du 6 mars 2024 portant attributions et organisation de la direction générale du Trésor, et par l’arrêté n° 28.132 du 11 décembre 2024 relatif aux services de cette même direction. Un an seulement plus tard, ces textes sont abrogés par le décret n° 2025-114 du 16 avril 2025, qui rétablit l’organisation de 2003 — celle même visée par le diagnostic stratégique précité, et dont les insuffisances avaient été relevées par les cadres et agents.
Cette abrogation semble entériner le gel de la réforme amorcée depuis 2023 et soulève une série d’interrogations. Qu’est-ce qui a entravé la mise en œuvre effective de la réforme prévue par le décret n° 2024-99 du 6 mars 2024 ? La culture de la redevabilité et de la performance individuelles, introduite dans la gestion des finances publiques par ce texte, a-t-elle été difficile à intérioriser ? Les récentes réformes organisationnelles du Trésor public permettent-elles réellement de relever les défis de la modernisation de la gestion financière en République du Congo ?
Fondamentalement, il s’agit ici d’apporter des réponses à la problématique de l’efficacité et de l’efficience dans la gestion des finances publiques, avec la direction générale du Trésor comme épicentre. Trois (3) points structurent cette analyse :
i) la situation de la réforme à la direction générale du Trésor public,
ii) les fondements théoriques et empiriques de la réforme du Trésor,
iii) les conséquences du gel de cette réforme.
iii) – Défis et enjeux de la réforme du Trésor, iv) – Implémentation effective de la réforme, et v) – Leviers d’accompagnement de la réforme.
1.1 – Le cadre légal et le contexte de la réforme
La loi organique relative aux lois de finances (LOLF), le code relatif à la transparence et à la responsabilité dans la gestion des finances publiques, le règlement général de la comptabilité publique, la loi d’orientation de la performance de l’action publique, la gestion axée sur les résultats, le management de la performance et la gestion en mode budget-programme sont autant de dispositifs qui concourent à une gestion efficace et efficiente des finances publiques, deux éléments clés de l’implémentation de toute réforme en la matière.
Bien que faisant partie intégrante du droit positif congolais, ces dispositifs qui encadrent les réformes peinent à être effectivement mis en œuvre. En réalité, depuis le dernier trimestre de 2022, le processus de réformes économiques et financières s’est accéléré, notamment à travers un état des lieux des services, en particulier ceux du Trésor. Ainsi, les orientations et axes d’action ont été définis par le ministre de l’Économie et des Finances, Jean-Baptiste ONDAYE, autour de la relecture du paradigme de la gestion axée sur les résultats (GAR) censé encadrer toute action, la revue de la documentation stratégique et du cadre juridique et institutionnel existants, l’organisation d’un premier atelier sur l’amélioration de la gouvernance économique et financière (juin 2023), l’élaboration d’un diagnostic stratégique (notamment du Trésor), puis l’organisation d’un second atelier sur la gestion budgétaire en mode programme (août 2023), ayant conduit au basculement de 2024 et à la refonte du cadre juridique et institutionnel des services du ministère.
Onze (11) décrets portant attributions et organisation des différents services du ministère de l’Économie et des Finances, dont celui du Trésor public, ont ainsi été initiés et publiés au Journal officiel de la République du Congo le 7 mars 2024.
1.2 – L’état des lieux : Diagnostic stratégique
Il sied de rappeler que toute réforme doit s’appuyer sur un diagnostic stratégique et opérationnel. Ainsi, les cadres managériaux et agents du Trésor public, sous l’égide du ministre de l’Économie et des Finances, ont relevé en juillet 2023, entre autres pathologies de gestion publique au sein de leurs services respectifs : cumul de fonctions, conflits de compétences, crise de pilotage et de management stratégiques, mauvaise gestion des ressources stratégiques (capital humain, ressources humaines, informationnelles, financières, infrastructurelles…), détournement de fonds publics, opacité dans la gestion des comptes publics, reddition erronée des comptes (états financiers, tableau des opérations financières de l’État – TOFE, etc.), absence de redevabilité, corruption, impunité, etc.
Ainsi, comme pour d’autres services du ministère, le cadre juridique et institutionnel de la direction générale du Trésor a été profondément réformé dans son organisation et son fonctionnement, en conformité avec les référentiels actualisés et le principe de séparation des fonctions. En effet, la dynamisation du système de contrôle (contrôle de gestion et audit interne), les différents niveaux de décision et d’opérationnalisation, les contre-pouvoirs, la séparation des responsabilités, les fonctions de contrôle, d’études, de statistiques et de prévision entre services, l’émergence du Trésor banquier avec ses métiers d’ingénierie financière, l’implémentation effective du compte unique du Trésor (CUT), la redéfinition du métier de secrétaire, la prise en charge des ressources stratégiques au service de la performance… tous ces éléments ont été intégrés dans les textes organiques réformateurs.
1.3 – Les défis et les enjeux de la réforme du Trésor
Pour relever les défis identifiés, tout en prenant en compte les enjeux associés, le ministre congolais de l’Économie et des Finances, Jean-Baptiste ONDAYE, a entrepris, dès novembre 2022, l’élaboration d’un plan stratégique portant sa vision et ses orientations, structurées en axes stratégiques précis, en vue de rationaliser la gouvernance économique et financière de l’État, conformément aux directives de la CEMAC et aux principes du paradigme de la gestion axée sur les résultats.
La mise en œuvre de ce plan stratégique met en lumière l’importance de la compétence, du capital humain et d’autres ressources stratégiques, soutenue par un dispositif de contrôle interne efficace, un management de la performance solide, un sens renforcé de la redevabilité, ainsi qu’une culture budgétaire rationnelle fondée sur la conduite du changement.
1.4 – L’implémentation effective de la réforme du Trésor
1.4.1 – Du postulat de la réforme :
Le Ministre Jean-Baptiste ONDAYE avait posé le postulat de cette réforme. Cette dernière devait se fonder sur le paradigme de la gestion axée sur les résultats, le management de la performance, le principe de la séparation des fonctions incompatibles, ainsi que l’utilisation adéquate des couloirs de compétences affectés. Sur cette base, l’implémentation de la transparence et de la responsabilité dans la gestion orthodoxe des ressources financières de l’État par le Trésor public induit l’application du principe de la séparation des fonctions et le renforcement du dispositif de contrôle interne (l’audit interne et le contrôle de gestion), pour un meilleur suivi-évaluation de la performance des programmes et de leurs responsables et gestionnaires.
Le principe de séparation des tâches concerne les champs de compétences des gestionnaires du budget de l’État et des budgets locaux (ordonnateur et comptable), corroborant leur distinction et leur indépendance, d’une part, et les fonctions de ces acteurs dans le déroulement des deux phases de gestion (administrative et comptable), assorties de responsabilité individuelle établie par la loi, d’autre part. Ce principe permet de relever les défis et d’éliminer certains dysfonctionnements nodaux constatés par les cadres managériaux du Trésor à travers leur propre diagnostic stratégique.
Cette réforme en profondeur devait être accompagnée d’un réel changement de culture et de mentalité des cadres managériaux et opérationnels du Trésor. Autrement dit, l’abandon d’anciens comportements et de vieilles habitudes, qui confondaient et cumulaient les fonctions de pilote et de manager, d’ordonnateur et de comptable, de comptable et de caissier, de décideur et d’exécutant. Au final, il était devenu difficile de mettre en exergue la redevabilité individuelle, les rapports annuels de performances par activité, par action et par programme, rendant ainsi impossible l’implémentation de la gestion en mode budget-programme et le management de la performance au sein du Trésor, entre autres.
1.4.2 – De la nouvelle architecture du Trésor :
En fait, la modernisation de l’organigramme du Trésor, arrimée aux principes de la transparence et de la responsabilité, ainsi qu’aux directives de la CEMAC en matière de gestion des finances publiques, a été consacrée par le décret n° 2024-99 du 6 mars 2024 portant attributions et organisation de la direction générale du Trésor, et par l’arrêté n° 28.132 du 11 décembre 2024 portant attributions et organisation des services de la direction générale du Trésor. Les fonctions d’audit interne et de contrôle de gestion, ainsi que les fonctions support et métiers, entre autres, y ont été introduites et le principe de séparation des fonctions appliqué, avec comme implications un contrôle interne accentué et la traçabilité des décisions et des opérations du Trésor, chères à la transparence y afférente, recommandée par les instruments juridiques nationaux et les partenaires techniques et financiers internationaux.
Cette réforme avant-gardiste, très poussée, apporte une nouvelle approche de gestion des compétences et de nouveaux métiers dans cette régie financière en déliquescence. Les métiers relatifs à la gestion des opérations de marché des capitaux, de dépôts et consignations, de monétique, de gestion monétaire, de banque, de l’inclusion financière, etc., autrefois moins développés parmi les cadres du Trésor, devaient l’être grâce aux instructions du ministre, ainsi qu’à la formation et au renforcement du capital humain en cours d’implémentation. L’ingénierie et l’inclusion financières, la gestion des moyens de paiement innovants, la gestion des opérations de marché de capitaux et de banque, la culture d’audit interne et de contrôle de gestion, la gestion de la performance et des résultats sont autant de nouveautés apportées par la réforme introduite par le Ministre de l’Économie et des Finances, Jean-Baptiste ONDAYE.
La recette générale, la paierie générale et la trésorerie centrale, dont les animateurs ont tous rang de directeur général adjoint, se sont vues confiées des missions sur la base du principe de la séparation des fonctions et de la redevabilité individuelle. Le trésorier central, qui centralise les opérations de banque et de caisse du Trésor, supplée le directeur général du Trésor quant à la signature sur les comptes du Trésor dans les livres de la BEAC. Cependant, il ne peut ni encaisser ni décaisser de l’argent sans les titres émis, respectivement, par le receveur général (pour les recettes) et le payeur général (pour les dépenses), sauf en cas de faux et usage de faux en écriture publique.
Ce dispositif de contrôle interne au Trésor visait à sécuriser l’unicité de la caisse, le compte unique du Trésor (CUT) et de la trésorerie de l’État, ainsi que la traçabilité des opérations du Trésor. Chacun des trois comptables secondaires devait assumer sa redevabilité individuelle devant tous les organes de contrôle (Cour des comptes et de discipline budgétaire, Assemblée nationale, Sénat, Inspection générale des finances, etc.) et leur hiérarchie administrative.
1.5 – Les leviers d’accompagnement de la réforme du Trésor.
La réforme du Trésor s’est opérée progressivement avec la participation active des cadres managériaux et opérationnels de cette structure. Elle a débuté par un diagnostic stratégique établi par ceux-ci, et dont le constat a été transcrit dans le projet annuel de performance du programme n° 48, le 5ᵉ du ministère, « gestion de la trésorerie et de la dette », avec une pertinence et un réalisme incontestables dans l’approche des problématiques identifiées. Ce diagnostic a dégagé des orientations de solutions claires, allant jusqu’à contribuer à l’élaboration d’un nouvel organigramme et à l’introduction de nouveaux métiers, au regard d’une analyse comparative avec d’autres pays francophones de la sous-région et de l’Afrique de l’Ouest.
1.5.1 – De la résistance des vieilles habitudes au Trésor :
Comme toute réforme, celle-ci suscite toujours des craintes parmi les cadres concernés : peur de l’inconnu, de perdre les avantages acquis – donc leur « zone de confort » –, ou de ne pas être à la hauteur des nouvelles tâches. Les vieux démons redoutaient l’application stricte du décret de mars 2024 et de l’arrêté subséquent de décembre 2024, au détriment de leurs privilèges ou intérêts associés au cumul de fonctions. Après la suppression du foisonnement de la caisse du Trésor entre les trois ex-fondés de pouvoir, la direction des titres et valeurs (ancienne formule) et la caisse centrale du Trésor, l’anxiété et la volonté des trois nouveaux hauts fonctionnaires du Trésor, ayant rang de directeur général adjoint (DGA), de disposer chacun d’une caisse, comme les trois fondés qui les ont précédés, ont attisé des contradictions et des conflits entre eux ; climat que le directeur général du Trésor n’a pu apaiser.
La participation active des cadres du Trésor avait pourtant déjà permis la compréhension et l’intériorisation des enjeux et des défis de la réforme engagée dans leur administration.
1.5.2 – De l’implication du Ministre :
Le Ministre de l’Économie et des Finances, Jean-Baptiste ONDAYE, a effectivement accompagné cette réforme. En plus du décret et de l’arrêté organiques, d’autres textes subséquents (autres arrêtés, notes circulaires, instructions, notes de service, etc.) ont été pris pour clarifier les missions des différents services au niveau central et déconcentré. Les receveurs des régies financières, les régisseurs et comptables de collectivités locales ainsi que ceux des autres entités publiques ont vu leurs missions et rôles clarifiés dans le processus de mise en œuvre de la gestion axée sur les résultats, du management de la performance et de la gestion en mode budget-programme (actions, activités et tâches), ainsi que de la production des rapports annuels de performances à différents niveaux.
Il s’est agi là d’un changement radical de culture et de comportement dans la gestion des services et des opérations du Trésor à différents niveaux, avec en ligne de fond la recherche de la performance et de l’efficacité dans le pilotage et l’exécution des opérations d’encaissement, de paiement et de trésorerie de l’État.
Les efforts de sensibilisation et de communication, au travers des points focaux désignés par le directeur général du Trésor, à l’instar d’autres administrations du ministère, ont tout aussi concouru à accompagner la conduite de ce changement à ce niveau.
2 – Les fondements théoriques et empiriques de la réforme du Trésor.
En général, les fondements théoriques de la réforme du pilotage stratégique, du management de la performance au Trésor public et de la gestion des finances publiques s’appuient sur plusieurs courants de pensée en économie, en management public et en administration, à travers une analyse structurée des principaux concepts théoriques sous-jacents.
D’abord, le concept de Nouveau Management Public (NMP), inspiré des travaux d’éminents auteurs comme Osborne et Gaebler (Reinventing Government, 1992), promeut l’introduction de méthodes du secteur privé dans l’administration publique. Les principes clés appliqués au Trésor public incluent désormais : la décentralisation et l’autonomie des gestionnaires (responsabilisation individuelle des acteurs), la séparation des tâches ou fonctions, la gestion axée sur les résultats (plutôt que sur les procédures), le pilotage par la performance (indicateurs, benchmarking, évaluation), et l’approche client/usager (amélioration des services aux citoyens et aux entreprises).
En effet, la directive de la CEMAC et la LOLF susmentionnées incarnent cette logique en remplaçant la logique de moyens par une logique d’objectifs et de performance par programme.
Ensuite, la théorie de l’agence (Jensen & Meckling, 1976) et du principal-agent analyse les relations entre le principal (l’État, les citoyens) et l’agent (l’administration fiscale, les gestionnaires publics), ainsi que les problèmes d’asymétrie d’information et d’alignement des intérêts. Selon ce courant de pensée, la réforme du Trésor public cherche à réduire ces asymétries par les contrats de performance (objectifs clairs, redevabilité), l’instauration de systèmes de contrôle de gestion et d’audit (Cour des comptes, inspections), la promotion de la transparence budgétaire (Open Data, rapports publics).
En outre, la gestion budgétaire moderne se fonde sur la gestion par résultats (GPR), qui s’inspire de la budgétisation axée sur la performance (performance-based budgeting), de la méthode du Balanced Scorecard (Kaplan et Norton) pour aligner stratégie et indicateurs, et de l’évaluation des politiques publiques (méthodes quantitatives et qualitatives). Au sein du Trésor public, cela se traduit par la modernisation des outils budgétaires (programmes, objectifs, indicateurs), l’optimisation des ressources (rationalisation des dépenses), et l’évaluation ex post des politiques fiscales et financières.
Puis, cela appelle à la mise en exergue des théories de la gouvernance publique (B. Guy Peters, 2000) qui, quant à elles, s’appuient sur l’approche néo-institutionnelle et soulignent la nécessité de la coordination multi-niveaux (État, collectivités, CEMAC), la participation des parties prenantes (consultation des acteurs économiques), et la lutte contre la corruption (transparence, éthique). Ces dimensions sont intégrées à la réforme des finances publiques via la déconcentration et la décentralisation (rôle des directions départementales), la digitalisation (dématérialisation, lutte contre la fraude), et les normes internationales ou sous-régionales (CEMAC). Ainsi, la réforme du Trésor public s’inscrit dans une dynamique de changement institutionnel (North, 1990), avec des incitations à l’innovation managériale, une adaptation aux exigences de la CEMAC (notamment les directives budgétaires), et une résistance aux rigidités bureaucratiques (culture administrative traditionnelle).
Par ailleurs, l’utilisation croissante des données massives (Big Data) et de l’intelligence artificielle repose, à travers une approche économétrique, sur l’analyse prédictive et la modélisation (optimisation du recouvrement fiscal), la détection des fraudes (algorithmes, croisement de bases), et le pilotage en temps réel (tableaux de bord dynamiques).
Enfin, les réformes du pilotage stratégique et du management de la performance du Trésor public ainsi que de la gestion des finances publiques s’appuient sur des fondements théoriques qui reposent, à leur tour, sur le NMP et la LOLF (logique résultats vs moyens), la théorie de l’agence (contractualisation de la performance), la gouvernance multi-niveaux (coordination État/territoires), l’économie numérique (data, IA, transparence). Ces fondements visent à moderniser l’administration du Trésor, améliorer la sécurité des recettes publiques, renforcer l’efficience des dépenses publiques et améliorer la redevabilité envers les citoyens.
Autrement dit, ces réformes reposent principalement sur les principes du nouveau management public (NMP) et du management par la performance. Elles s’appuient donc sur une vision globale et cohérente qui mobilise les cadres et agents du Trésor autour d’objectifs crédibles, productifs et durables. Quant au management de la performance, il est fondé sur une architecture sociale partagée qui définit les comportements attendus, suscite l’adhésion aux valeurs et institue un mécanisme de contrôle social (cf. Warren Bennis et Burt Nanus, 1985). Le management stratégique comprend l’engagement du leadership, l’orientation des usagers, la gouvernance, et la définition claire des rôles et responsabilités individuels pour assurer la qualité du service public. La performance dans le secteur public se mesure de manière multidimensionnelle, intégrant des dimensions économiques, sociales et environnementales, avec des outils comme le tableau de bord prospectif (Balanced Scorecard).
En somme, la gestion des finances publiques repose sur une gestion rigoureuse et stratégique de la trésorerie pour assurer la performance financière et la qualité du service public. Elle se définit comme la planification, l’organisation, la direction et le contrôle des ressources financières, visant à optimiser la performance financière des entités publiques. Elle est essentielle pour assurer la capacité du Trésor à répondre aux exigences budgétaires et à la qualité du service public, en lien avec les contraintes institutionnelles et organisationnelles. Ainsi, la performance financière d’un État est liée à une bonne stratégie de gestion de la trésorerie, qui permet d’atteindre les objectifs financiers et d’améliorer la qualité de la gestion publique.
3. Les conséquences du gel de la réforme du Trésor
Le déni et la résistance au changement ont été largement théorisés par de nombreux auteurs. De façon générale, le gel de la mise en œuvre d’une réforme conduit à la stagnation de l’efficacité administrative, dans la mesure où la réforme engagée visait à moderniser la gestion pour améliorer la productivité et la qualité des services.
Les développements de ce paragraphe s’articulent autour des trois (3) points suivants : i) Impact théorique du gel de la réforme, ii) Conséquences du retour au cadre institutionnel et organisationnel de 2003, et iii) Remise en cause des perspectives du PREF-CEMAC.
3.1. L’impact théorique du gel de la réforme
Le gel de la réforme du Trésor public maintiendra en son sein des processus bureaucratiques lourds, réduisant la réactivité de ce service. Il pourrait entraîner la démotivation des cadres et agents publics qui ont diagnostiqué les maux dont souffre leur administration et proposé des thérapies adaptées, alors que la réforme prévoyait une meilleure reconnaissance du mérite ainsi qu’une évolution de leurs carrières. En effet, l’on pourrait relever certains risques financiers et budgétaires liés à une gestion moins optimisée, susceptibles de perpétuer des coûts supplémentaires (délais allongés, erreurs accrues), une moindre maîtrise des dépenses publiques, une perte des économies ou gains d’efficacité attendus, ainsi qu’un retard dans la modernisation numérique du Trésor, dès lors que la réforme incluait l’informatisation (Core Banking System – CBS, compte unique du Trésor) et des outils digitaux (dématérialisation, data analytics).
Sur le plan technologique, ce gel pourrait retarder l’intégration de technologies (IA, big data, blockchain) dans la gestion trésoraire et l’implémentation du compte unique du Trésor (CUT) et du Trésor banquier, pourtant cruciales pour digitaliser et moderniser la direction générale du Trésor, lutter contre la fraude et améliorer l’efficience de cette institution. Il ralentirait également la transition vers une administration plus numérique, affectant la confiance des citoyens et des partenaires techniques et financiers, qui pourraient percevoir négativement cet immobilisme.
En conséquence, le gel de la réforme entraînerait un blocage susceptible d’être interprété comme un manque de volonté réformatrice, alimentant les critiques sur la gestion de l’État et d’éventuelles tensions avec les cadres ou les syndicats. Il perpétuerait les inégalités, les dysfonctionnements et les disparités existantes. Il freinerait l’innovation managériale, alourdirait les coûts, dégraderait le climat social au sein du Trésor public et ralentirait la dynamique d’amélioration continue engagée, qui visait à maintenir un niveau de performance soutenu et à conduire le Trésor public vers l’excellence.
Le gel de la réforme pourrait également entraîner la perte de gains qualitatifs en management stratégique et en efficacité opérationnelle qui auraient pu être obtenus grâce aux réformes, et favoriser la réapparition de dysfonctionnements dans la gestion des ressources, des dépenses et du contrôle interne, comme observé dans le contexte antérieur.
À moyen et long terme, le gel de la réforme risquerait d’entraver l’amélioration de la performance de l’État, avec des conséquences sur l’équilibre budgétaire et la qualité des services publics. Il pourrait également pérenniser des méthodes de gestion obsolètes et affaiblir la capacité de l’administration du Trésor à s’adapter aux enjeux fiscaux, monétaires, financiers et socio-économiques contemporains. Ainsi, ce gel pourrait freiner la modernisation et la performance du Trésor public, accroître le risque de persistance de l’inefficacité dans l’exécution budgétaire et la gestion des programmes publics, compromettant la capacité de l’administration à répondre efficacement aux enjeux budgétaires contemporains (dette publique, contrôle des dépenses, encaissement des recettes, etc.) et aux exigences croissantes en matière de transparence budgétaire et de redevabilité (reporting financier).
Le Trésor pourrait alors voir sa marge de manœuvre réduite en cas de choc financier (déficit accru, difficulté à prioriser les investissements). Il en résulterait une difficulté à assurer une gestion budgétaire efficace, tandis que la maîtrise de la trésorerie, la programmation budgétaire pluriannuelle et le suivi performant des dépenses seraient compromis. Cela pourrait entraîner une allocation inefficace des ressources publiques, un risque de dégradation des finances publiques, une absence de maîtrise de la dette publique et de sécurisation de la mobilisation des ressources, ainsi qu’une aggravation du..
ainsi qu’une aggravation du déficit budgétaire, rendant plus difficile le respect des engagements financiers de l’État. Ce contexte pourrait conduire à une baisse de la crédibilité du Trésor public auprès des partenaires techniques et financiers, nuisant à l’attractivité du pays pour les investissements publics ou privés.
Par ailleurs, l’absence de mise en œuvre de la réforme pourrait affaiblir les capacités de prévision, de programmation et de contrôle des finances publiques, rendant le pilotage macroéconomique plus incertain. Cela limiterait également l’efficacité des politiques publiques, faute d’outils modernes de suivi et d’évaluation de la performance.
En définitive, le gel de la réforme compromettrait les objectifs d’efficience, de transparence et de soutenabilité des finances publiques, alors même que le Trésor public constitue un levier stratégique pour la transformation de l’action publique et la conduite de politiques budgétaires crédibles, performantes et orientées vers les résultats.
3.2 – Conséquences du retour au cadre institutionnel et organisationnel de 2003
La détermination particulière des fonctionnaires du Trésor, à contre-sens et opposés à la réforme en cours, contrairement aux autres services des régies financières du Congo, semble avoir prévalu, entraînant un recul notoire et paralysant, matérialisé par la publication du nouveau décret n° 2025-114 du 16 avril 2025 portant attributions et organisation de la direction générale du Trésor.
À la lecture de ce décret, l’attention est principalement attirée par : i) les textes visés ; ii) la légèreté des attributions de ce service (article 1er) au regard de sa mission dans l’appareil d’État ; iii) le retour, à 99 % près, à l’organisation prescrite par le décret n° 2003-141 du 31 juillet 2003 (articles 3 et 37), notamment en ce qui concerne la direction du contrôle et de l’audit interne (articles 3, 7 et 8) ; et iv) les dispositions diverses (articles 28 à 40).
3.2.1 – Des textes visés :
Une incongruité juridique et administrative avérée. L’absence du décret portant organisation du ministère des Finances, du Budget et du Portefeuille public parmi les textes visés retire toute valeur juridique au décret du 16 avril 2025. En effet, ce décret, pris sur une base inexistante, ne repose sur aucun fondement légal. Le décret fixant les attributions du ministre des Finances, du Budget et du Portefeuille public ne suffit pas, à lui seul, à justifier l’exercice d’une tutelle effective sur la direction générale du Trésor. Comme l’a montré l’expérience passée au Congo, des raisons politiques ont déjà conduit à placer ce service, par décret, sous l’autorité du ministre de l’Économie ou même du Premier ministre.
3.2.2 – De la nature des attributions de ce service :
Sur 15 attributions recensées, seulement 6 sont fermes et propres (soit 40 %), en rapport avec la mission assignée au Trésor public à l’article 1er du décret du 16 avril 2025 : « gestion de la trésorerie et exécution comptable du budget de l’État, des collectivités locales et des autres organismes publics soumis aux règles de comptabilité publique ».
Les autres attributions sont soit contributives (participer à, contribuer à…), soit théoriques (organiser ou centraliser…), alors que le comptable principal, assermenté pour les recettes, les dépenses et la trésorerie de l’État, détient l’exclusivité des actes (assurer la gestion…). Ces dispositions semblent ignorer la portée juridique de la loi organique relative aux lois de finances, de la loi portant code de transparence et de responsabilité, ainsi que du décret relatif à la comptabilité publique.
3.2.3 – De l’organisation de la direction générale du Trésor :
Malheureusement, l’élan initial de réforme, bien structuré, a été interrompu en janvier 2025 avec la création du ministère des Finances, du Budget et du Portefeuille public. Le principe de continuité de l’État en ressort affaibli, notamment avec la promulgation du décret n° 2025-114 du 16 avril 2025, remplaçant celui du 6 mars 2024 (décret n° 2024-99), dont la durée de mise en œuvre n’aura été que d’un an. Ce retour à l’ordre ancien, officialisé par ce décret, entérine la suspension de la réforme et engendre une désarticulation du fonctionnement des finances publiques.
Certes, ce nouveau décret abandonne les anciens postes de fondés de pouvoir, désormais remplacés par un seul directeur général adjoint. Toutefois, il ressuscite presque intégralement les anciennes directions centrales, pourtant critiquées dans l’enquête stratégique de juillet 2023, ainsi que la majorité des services associés, en conformité avec l’architecture du Trésor de 2003 — comme si les enjeux, défis et l’environnement financier et professionnel de cette régie n’avaient pas évolué depuis 22 ans. Le décret ignore également l’importance stratégique des ressources humaines et informationnelles, moteurs de la performance et du changement, en les réduisant au rang de simples services.
Nulle part il n’est fait mention de la gestion par programme, de la gestion de projet, du rapport annuel de performance, de la redevabilité, de la transparence ni de la recherche de performance dans la gestion des opérations du Trésor.
La disparition de la Trésorerie centrale laisse présager, de facto, la restauration de plusieurs mini-caisses : à la direction des recettes, via les caisses des receveurs ou le réseau de certains comptables du Trésor ; à la direction de la dépense, à travers le service de la dépense ; à la direction des opérations de capitaux et des marchés, pour le remboursement de la dette de marché ; ainsi qu’à la direction de la centralisation comptable, avec la caisse centrale. Cette architecture, qui rétablit plusieurs caisses à différents niveaux, pourrait être perçue comme une réponse aux incompréhensions récemment exacerbées entre les anciens directeurs généraux adjoints du Trésor. Toutefois, elle demeure inappropriée dans le cadre du nouveau paradigme de gestion efficace des finances publiques.
S’il s’agissait d’éliminer des conflits interpersonnels, motivés par la volonté de faire prévaloir des intérêts privés sur ceux de l’État, ce recul, porteur de nouvelles perspectives de contre-performance, vise surtout à déconstruire l’organisation existante pour recentraliser la chaîne des opérations de la direction générale du Trésor entre les mains exclusives du directeur général ou de son adjoint. Cela présente des risques accrus de déperdition de recettes — un phénomène déjà mis en lumière dans le diagnostic stratégique établi par les cadres de cette institution.
Le gel de la réforme est d’autant plus consacré par le rôle désormais prépondérant accordé à un directeur général adjoint du Trésor. Celui-ci disposerait d’attributions propres — bien que l’article 37 du décret ne les détaille pas — et se verrait confier la coordination des directions supports dédiées au pilotage stratégique du Trésor. Cette configuration soulève une question légitime : ne constitue-t-elle pas une porte ouverte aux conflits de compétence et de leadership entre le directeur général et son adjoint ?
En effet, le directeur général adjoint du Trésor pourrait être amené à :
- Contrôler la gestion et auditer les services placés directement sous l’autorité du directeur général ;
- Assurer la centralisation des opérations des directions métiers relevant du directeur général, ainsi que celles de l’ensemble du réseau des comptables du Trésor — dont 18 postes relèvent directement de ce dernier.
Dans sa configuration actuelle, cet organe essentiel de l’État semble voué à fonctionner à rebours, générant des dysfonctionnements réglementaires, tant en interne qu’en interaction avec les autres services du ministère.
Faudra-t-il encore, après quelques mois seulement, revoir cette architecture, qui n’a pas fait l’objet d’une étude préalable d’identification des causes des contre-performances de la direction générale du Trésor constatées depuis un an ?
3.2.4. De la direction du contrôle et de l’audit interne :
Le décret en question présente deux fonctions aux objets différents : le contrôle et l’audit interne, d’une part, et le contrôle interne et l’audit, d’autre part (articles 3, 7 et 8), cette distinction reposant sur la position de l’adjectif « interne » dans l’intitulé de la direction.
Quoi qu’il en soit, ce qui reste particulièrement regrettable dans ce gel de la réforme, c’est la suppression de la fonction de contrôle de gestion. Celle-ci figurait dans l’ensemble des décrets du 6 mars 2024 et visait principalement à appuyer la prise de décision stratégique, optimiser les performances de l’organisation, analyser les écarts entre les objectifs fixés et les résultats obtenus, afin de planifier et ajuster les actions à venir. Cette fonction, pourtant essentielle à l’atteinte des objectifs institutionnels, a été remplacée — selon les dispositions du décret du 16 avril 2025 — par un simple « contrôle » ou par le « contrôle interne ».
Or, le contrôle, dans son acception générique, n’est qu’une procédure visant à s’assurer du bon fonctionnement d’un système. Le contrôle interne, quant à lui, permet de garantir la fiabilité des processus, de limiter les risques d’erreurs ou de fraudes, et de veiller au respect des normes juridiques. Il ne peut en aucun cas se substituer au contrôle de gestion, outil stratégique de pilotage et de performance.
3.2.5. Des dispositions diverses :
Le contenu de ses 13 articles suggérerait la prise en compte du volet « fonctionnement » dans l’intitulé de ce décret.
Autrement, ces dispositions feraient l’objet d’un document de procédure des actes du Directeur général du Trésor, comptable principal de l’État.
3.3 – La remise en cause des perspectives du PREF-CEMAC
La directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011, visant à améliorer toujours davantage la transparence dans la gestion des finances publiques dans les États membres, d’une part, et à adapter les directives communautaires aux standards internationaux et aux bonnes pratiques en matière de gestion des finances publiques, d’autre part, fixe le cadre et les modalités de la réforme de la gouvernance financière, notamment de la gestion en mode budget-programme.
Ainsi, le Programme des Réformes Économiques et Financières de la CEMAC (PREF-CEMAC), qui en est l’émanation, élabore les canevas de la gestion en mode budget-programme et oblige les États à adapter le cadre légal et institutionnel des entités publiques impliquées dans cette réforme.
En effet, le décret n° 2024-99 du 6 mars 2024 susmentionné avait pris en compte toutes les dispositions légales nécessaires à l’implémentation de cette directive de la CEMAC. Cependant, le nouveau décret n° 2025-114 du 16 avril 2025 constitue de fait une grave régression par rapport aux ambitions affichées en matière de gestion en mode budget-programme et de management de la performance, dont le Projet Annuel de Performance et le Rapport Annuel de Performance des programmes représentent des supports clés de planification budgétaire et de redevabilité comptable individuelle.
Autrement dit, la nouvelle approche de gestion des finances publiques recommandée par la directive n° 01/11-UEAC-190-CM-22 du 19 décembre 2011, pourtant inévitable, est mise à mal. Celle adoptée actuellement par les autorités congolaises repose désormais sur des principes inadéquats de confusion des fonctions et des missions, avec une redevabilité diffuse. Ce qui limite drastiquement les perspectives définies dans le cadre du PREF-CEMAC et compromet le processus de mise en œuvre du mode budget-programme en République du Congo, malgré le sursis accordé par la CEMAC en repoussant la date de son application dans l’ensemble des pays membres au 1er janvier 2027.
4. En guise de conclusion
En conséquence, compte tenu de ce recul, dû au gel de la réforme institutionnelle de son Trésor public, la République du Congo prendra du retard dans la quête de performance et d’efficacité dans la gestion de ses finances publiques, ainsi que dans le respect des directives de la CEMAC en matière de transparence, de redevabilité et de basculement en mode budget-programme.
La faiblesse de l’État dans la conduite des réformes en matière de finances publiques, au profit de quelques privilégiés et/ou intérêts privés, repousse les échéances des défis à relever et des objectifs à atteindre. Les pouvoirs publics devraient surmonter cette emprise des intérêts privés et revenir à l’orthodoxie, afin d’être à jour dans l’agenda des réformes édictées par la CEMAC dans le sillage des bonnes pratiques internationales de gestion des finances publiques et de développement.
La détermination de l’État dans l’imposition des réformes devrait découler d’une analyse des enjeux et du rôle de leadership que le pays entend jouer dans la mise en œuvre des réformes décidées par la sous-région. La République du Congo n’est pas en droit de remettre en cause son propre leadership dans la mise en œuvre du PREF-CEMAC.