Par Christian Kazumba, expert en développement du secteur privé subsaharien.
La dette publique et l’endettement des États : combien de fois ce sujet a-t-il été débattu, questionné, analysé — en Afrique, en Europe, en Asie ou en Amérique, au cours de ces derniers mois ? Mais qu’en est-il réellement de la situation sur notre continent ? L’Afrique est-elle menacée par le spectre du surendettement, comme l’affirment certains économistes, ou dispose-t-elle encore de marges de manœuvre substantielles ?
Essayons d’y voir plus clair.
À ce jour, la dette publique de l’Afrique représente environ 65 % de son PIB, un ratio bien inférieur à ceux observés dans des économies développées comme le Japon, les États-Unis, la Chine, la France ou l’Allemagne. Toutefois, cette moyenne masque des disparités importantes entre pays africains, rendant toute conclusion globale peu pertinente.
À titre d’exemple, la République démocratique du Congo affiche un ratio dette/PIB inférieur à 20 %, tandis que ce même indicateur dépasse 200 % au Soudan ou en Érythrée.
Au-delà du simple niveau d’endettement, ce sont les conditions dans lesquelles les États africains contractent leur dette qui méritent une analyse approfondie. Contrairement à certaines idées reçues, l’endettement peut être un levier de développement s’il est bien structuré, à des coûts soutenables et sur des maturités compatibles avec les investissements financés.
Depuis la fin des années 2000, plusieurs pays africains ont commencé à émettre des euro-obligations (Eurobonds) sur les marchés internationaux, attirant des investisseurs privés, souvent non-résidents. Si cette diversification des sources de financement témoigne de l’attractivité grandissante du continent, elle soulève plusieurs enjeux :
- Utilisation hétérogène des fonds : Ces emprunts servent aussi bien à financer des infrastructures qu’à couvrir des dépenses courantes ou à refinancer d’anciennes dettes. L’impact sur la croissance varie donc fortement selon l’usage qui en est fait.
- Coût élevé : Les taux d’intérêt sur les euro-obligations sont en moyenne six fois supérieurs à ceux des prêts concessionnels accordés par les bailleurs bilatéraux ou multilatéraux (tels que le FMI ou la Banque mondiale). Ce surcoût alourdit les charges budgétaires, parfois au détriment de secteurs essentiels comme la santé ou l’éducation.
- Risque de change : Libellées en devises étrangères, souvent en dollars américains, ces obligations exposent les pays emprunteurs à une volatilité du taux de change, pouvant entraîner une augmentation imprévue du service de la dette.
- Maturités courtes : Nombre de ces titres ont une échéance inférieure à 10 ans, imposant un remboursement rapide et intensifiant la pression sur les finances publiques. De telles échéances sont peu adaptées au financement de projets structurants dont les retours sur investissement s’inscrivent dans le long terme.
- Souveraineté fragilisée : Le recours accru aux marchés internationaux peut accroître la dépendance des États africains vis-à-vis de créanciers privés, exposant leurs économies aux aléas des décisions extérieures.
En conclusion, le niveau d’endettement ne peut être considéré comme le seul critère pertinent. Il convient d’évaluer la dette publique à l’aune de plusieurs paramètres clés : le coût du financement, la durée de remboursement, la finalité des emprunts, la devise utilisée, et la nature des créanciers. Ce n’est qu’à travers cette lecture multidimensionnelle que l’on peut juger de la soutenabilité réelle de la dette et de la bonne gouvernance des finances publiques en Afrique.
A propos de Christian Kazumba
Travaillant depuis quinze ans sur le continent africain, Christian Kazumba a un parcours qui lui a permis d’évoluer successivement au Maroc, au Mali, au Burkina Faso, au Togo, en RD Congo et au Gabon à des postes de Direction opérationnelle ou générale, dans des entreprises du secteur des services. Il a notamment piloté, pour le compte d’un « Big Four » en RDC, un projet Banque Mondiale visant à mettre en place des centres de PME à Kinshasa, Lubumbashi, Goma et Matadi. Après avoir dirigé la filiale gabonaise d’Entrepreneurial Solutions Partners, un cabinet de conseil et d’investissement ciblant le développement du secteur privé subsaharien, il est aujourd’hui localisé à Abidjan où il exerce les fonctions de Chief of Staff pour ce même cabinet.