Par : M. Raphael Nkolwoudou Afane
Docteur en droit (Université Paris Cité, anciennement Paris 5 René Descartes), avocat de formation (EFB Paris, France) et Juriste en droit du numérique.
Imaginez un marché où la promesse du clic se heurte à la frustration du bug, où la fluidité annoncée du streaming se noie dans les coupures incessantes, où l’inclusion financière vantée s’évapore face aux frais cachés et aux interfaces complexes. Cette image, trop souvent réalité dans le paysage numérique africain, freine l’élan d’une transformation pourtant vitale. Face à une qualité de service numérique parfois décevante, comment les pouvoirs publics peuvent-ils véritablement actionner le levier de l’amélioration continue ? La réponse pourrait bien résider dans un mariage stratégique : celui de la co-régulation, où opérateurs et gendarmes du numérique dialoguent pour fixer les règles, et d’une régulation résolument tournée vers le consommateur, armant les usagers pour exiger la qualité qu’ils méritent. La réponse attendue s’inscrirait largement dans la dynamique de la révolution de l’Intelligence Artificielle (IA) intégrée aux exigences de Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF).
Le Contexte Africain : Un Potentiel Énorme, une Qualité à Consolider
L’Afrique est un continent en pleine ébullition numérique. La pénétration croissante du mobile, l’essor des fintechs et l’adoption progressive des services en ligne ouvrent des perspectives inédites pour l’éducation, la santé, le commerce et la gouvernance. Cependant, cette dynamique se heurte fréquemment à une qualité de service inégale. Des zones rurales mal desservies par les réseaux télécoms aux plateformes d’e-commerce aux processus de paiement laborieux, en passant par un service client souvent absent, les consommateurs africains sont trop souvent les victimes d’une promesse numérique non tenue. Cette situation entrave non seulement l’expérience utilisateur, mais aussi la confiance dans l’écosystème numérique et, par conséquent, son adoption à grande échelle. La diversité des infrastructures, des cadres réglementaires et des niveaux de concurrence à travers le continent complexifie d’autant plus la recherche de solutions uniformes. Le rapport 2024 d’AfricaNenda, intitulé « L’état des systèmes de paiement instantané inclusifs (SIIPS) en Afrique« , se concentre principalement sur le paysage et les progrès des systèmes de paiement instantané (SPI) à travers le continent. Bien que l’accent principal soit mis sur l’inclusion financière et les paiements numériques, le rapport aborde des aspects qui croisent la politique et l’accès à internet
La Co-régulation : Quand les Acteurs Deviennent Co-Architectes des Standards
La co-régulation émerge comme une approche collaborative où le régulateur des services numériques (souvent l’autorité des télécommunications, mais potentiellement élargie à d’autres services en ligne) s’associe aux opérateurs pour définir des standards de qualité. L’idée n’est pas de laisser les opérateurs s’auto-réguler sans surveillance, mais plutôt de tirer parti de leur expertise technique et de leur connaissance du terrain pour établir des objectifs réalistes et applicables.
Avantages Illustrés :
• Expertise embarquée : Un régulateur souhaitant améliorer la qualité du service client pourrait, en co-régulation avec les opérateurs télécoms, définir des délais de réponse maximum aux requêtes, des taux de résolution de problèmes au premier contact, en s’appuyant sur les données opérationnelles des opérateurs pour fixer des objectifs atteignables.
• Engagement renforcé : Lorsqu’un opérateur participe à la définition des standards de couverture réseau (par exemple, un pourcentage minimum de la population couverte en 4G d’ici une date donnée), il est plus susceptible de s’approprier ces objectifs et de les atteindre, car ils ne lui sont pas imposés unilatéralement. L’engagement public de respecter ces standards, souvent mis en avant dans leurs communications marketing, devient alors une obligation plus forte.
• Adaptabilité agile : Face à l’évolution rapide des technologies (passage à la 5G, développement de l’IoT), une instance de co-régulation peut se réunir plus rapidement pour adapter les standards existants ou en définir de nouveaux, en intégrant l’expertise des opérateurs sur ces nouvelles technologies.
Les Pièges à Éviter :
Le risque de « capture réglementaire » est cependant bien réel. Si le régulateur manque de ressources, d’indépendance ou de volonté politique, les opérateurs pourraient influencer les standards à leur avantage, fixant des objectifs peu ambitieux ou diluant les mécanismes de contrôle. Par exemple, les tours relais alimentés par l’énergie électrique peuvent accentuer de manière récurrente la latence. Les opérateurs peuvent alors s’appuyer sur ces aléas pour influencer les indicateurs de qualité. Un régulateur fort doit donc être le garant de l’intérêt général et s’assurer que les engagements pris sont concrets et mesurables. De plus, la co-régulation ne doit pas devenir un frein à l’innovation ou à l’entrée de nouveaux acteurs, qui pourraient avoir du mal à respecter des standards initialement conçus par les acteurs dominants.
La Régulation Axée sur le Consommateur : L’Usager au Centre du Jeu
En parallèle de la co-régulation, une approche résolument centrée sur le consommateur donne aux usagers les outils nécessaires pour devenir des acteurs de l’amélioration de la qualité. L’idée est de créer une transparence qui stimule la concurrence et incite les fournisseurs à se surpasser pour attirer et retenir les clients.
Exemples Concrets :
• Plateformes de comparaison indépendantes : Imaginez une plateforme en ligne, financée par des fonds publics ou des organisations de consommateurs, qui agrège des données objectives sur la qualité des réseaux mobiles (fournies par des tests indépendants ou des données agrégées de l’utilisation des clients), les prix des forfaits, la qualité du service client (basée sur des enquêtes de satisfaction) et les taux de résolution des litiges. Un consommateur à Abidjan ou à Nairobi pourrait ainsi comparer en un coup d’œil les performances réelles des différents opérateurs dans sa zone géographique.
• Indicateurs de performance clés (KPIs) publics et vérifiables : Les régulateurs pourraient obliger les opérateurs à publier mensuellement des KPIs clés tels que le taux de disponibilité du réseau (avec des données désagrégées par région), les débits moyens constatés (et pas seulement les débits théoriques), les délais moyens de réponse du service client par canal (téléphone, chat, courriel) et le pourcentage de plaintes résolues dans un délai donné. Des audits indépendants pourraient garantir la fiabilité de ces données.
• Mécanismes de réclamation simplifiés et efficaces : La mise en place de plateformes de réclamation en ligne, accessibles via des applications mobiles ou des numéros courts, et l’obligation pour les opérateurs de répondre et de résoudre les problèmes dans des délais stricts, avec la possibilité pour les consommateurs de saisir une instance de médiation indépendante en cas de désaccord, renforcent le pouvoir des usagers.
La Synergie Gagnante : Co-régulation et Consommateur Main dans la Main
Le véritable potentiel réside dans la combinaison intelligente de ces deux approches. La co-régulation peut établir un socle de standards de qualité négociés et acceptés par les opérateurs, tandis que la transparence et les outils de comparaison axés sur le consommateur créent une pression continue pour aller au-delà de ces standards minimaux.
Scénario Illustratif :
Un régulateur, en collaboration avec les opérateurs, définit des KPIs de qualité pour l’accès internet fixe (débit minimum garanti, taux de disponibilité, délai de rétablissement en cas de panne). Ces KPIs sont ensuite rendus publics via une plateforme de comparaison où les consommateurs peuvent évaluer les performances réelles des fournisseurs dans leur quartier. Les opérateurs qui affichent des performances supérieures peuvent s’en servir comme argument de vente, stimulant ainsi une saine concurrence par la qualité. Parallèlement, le régulateur s’appuie sur les données de réclamation des consommateurs pour identifier les opérateurs ayant des problèmes récurrents et peut utiliser les accords de co-régulation pour exiger des plans d’amélioration concrets.
Recommandations pour une Afrique Numérique de Qualité :
Pour que la transformation numérique en Afrique tienne ses promesses, les pouvoirs publics doivent adopter une approche proactive et équilibrée :
• Institutionnaliser le dialogue co-régulatoire : Créer des instances formelles de collaboration entre régulateurs et opérateurs, avec des mandats clairs et des objectifs précis en matière de qualité.
• Renforcer l’indépendance et les ressources des régulateurs : Leur donner les moyens d’expertiser les propositions des opérateurs, de surveiller le marché et de faire appliquer les règles.
• Investir dans des outils de transparence pour les consommateurs : Soutenir la création de plateformes de comparaison fiables et accessibles, et mettre en place des obligations de publication de KPIs pertinents et vérifiables.
• Simplifier et renforcer les mécanismes de réclamation :Rendre les processus accessibles à tous et garantir un traitement rapide et équitable des litiges.
• Impliquer la société civile et les associations de consommateurs : Leur voix est essentielle pour garantir que les intérêts des usagers sont réellement pris en compte.
• Adopter une approche progressive et adaptable : Les standards de qualité doivent évoluer avec les technologies et les attentes des consommateurs.
Conclusion :
L’amélioration de la qualité des services numériques en Afrique n’est pas une utopie, mais un impératif pour libérer pleinement le potentiel de la transformation numérique. En combinant la force de la co-régulation pour établir des bases solides avec le pouvoir de l’information et de la concurrence induite par une régulation axée sur le consommateur, les pouvoirs publics peuvent créer un cercle vertueux où les opérateurs sont incités à investir dans la qualité, les consommateurs sont mieux servis et l’ensemble de l’écosystème numérique africain prospère. Il est temps de passer d’une jungle de promesses à un jardin de services numériques fiables et accessibles pour tous. Il est temps de transformer un enchevêtrement de promesses en un écosystème de services numériques fiables et accessibles à toutes et tous.
P.S. Pour la production de la présente tribune, je me suis fait assister par outil d’IA de compliance.