Par Thierno Seydou Nourou Sy, Fondateur et Président de Nourou Financial Consulting Dakar – Sénégal.

La cession envisagée des participations de la Société Générale France dans le capital de la Société Générale Sénégal, ainsi que l’éventuelle décision de l’État du Sénégal d’exercer son droit de préemption, doivent être analysées avec rigueur, au-delà des réactions émotionnelles et des lectures strictement politiques. Cette opération s’inscrit dans une dynamique globale de recomposition du secteur bancaire international et pose, de manière centrale, la question de la souveraineté financière des économies africaines.
Pour un pays comme le Sénégal, l’enjeu dépasse largement la simple reprise d’un actif bancaire. Il touche à la structuration du financement de l’économie, à la stabilité du système financier et à la maîtrise de leviers stratégiques essentiels au développement. Cette opportunité, aussi structurante soit-elle, ne peut toutefois être dissociée d’une analyse lucide des risques qu’elle comporte.
Un secteur bancaire mondial en phase de concentration accélérée
Le système bancaire international est engagé depuis plus d’une décennie dans un mouvement profond de concentration et de recentrage. Le renforcement des normes prudentielles issues de Bâle III et les futures exigences de Bâle IV ont profondément modifié l’équation économique des groupes bancaires internationaux. Les besoins accrus en fonds propres, la pression persistante sur la rentabilité et la montée des risques systémiques conduisent les grandes banques européennes à arbitrer leurs portefeuilles d’activités.
L’Afrique, malgré son potentiel de croissance, n’échappe pas à ces arbitrages. Les cessions de filiales observées dans plusieurs pays traduisent une tendance structurelle : les groupes européens privilégient désormais la consolidation de leurs positions domestiques et de quelques marchés jugés stratégiques.
Dans l’espace UMOA, le cadre prudentiel renforcé par la BCEAO et la Commission bancaire impose aux établissements de crédit une taille critique, une gouvernance robuste et une gestion rigoureuse des risques. Dans ce contexte, la question du contrôle des principaux acteurs bancaires devient un enjeu économique majeur, à condition que cette recomposition ne fragilise ni la stabilité du système ni son intégration régionale.
La souveraineté financière comme levier de développement économique
La souveraineté financière ne signifie ni repli sur soi ni fermeture aux capitaux étrangers. Elle renvoie à la capacité d’un État à attirer, orienter et sécuriser les flux financiers vers les secteurs productifs, à mobiliser efficacement l’épargne nationale et à aligner l’intermédiation bancaire sur ses priorités économiques.
L’acquisition de la Société Générale Sénégal par des investisseurs majoritairement nationaux permettrait notamment :
- un meilleur alignement de la politique de crédit avec les besoins de l’économie réelle et les priorités nationales ;
- une rétention accrue de la valeur ajoutée financière sur le territoire ;
- une réduction de l’exposition aux décisions stratégiques prises hors du pays ;
- un renforcement de la résilience du système bancaire face aux chocs externes.
Dans un contexte de besoins croissants de financement des infrastructures, de l’industrialisation et de l’entrepreneuriat, la maîtrise d’un acteur bancaire de premier plan constitue indéniablement un atout stratégique.
Les risques à anticiper pour préserver la stabilité financière
Cette ambition stratégique doit cependant s’accompagner d’une gestion rigoureuse des risques.
Un premier risque concerne la concentration du risque de crédit et l’instabilité systémique. Une banque stratégique contrôlée par l’État pourrait être fortement sollicitée pour financer des projets publics ou des secteurs prioritaires, parfois au détriment d’une analyse strictement financière du risque. En cas de choc macroéconomique, une telle concentration fragiliserait non seulement l’établissement concerné, mais également l’ensemble du système bancaire.
Un risque prudentiel spécifique mérite une vigilance accrue : la consommation excessive des fonds propres liée aux expositions sur l’actionnaire public. Si l’État sénégalais est déjà un emprunteur significatif auprès de la banque, son entrée comme actionnaire majoritaire pourrait accentuer le risque de concentration sur les parties liées. Cette situation pourrait peser sur les ratios réglementaires, limiter la capacité de financement de l’économie privée et attirer une attention renforcée du régulateur, avec d’éventuelles exigences supplémentaires en fonds propres.
S’ajoutent des risques opérationnels et de gouvernance, liés à la transition entre un groupe bancaire international et une structure à capital majoritairement national. Une gouvernance insuffisamment indépendante, une perte de standards en matière de gestion des risques, de systèmes d’information ou de capital humain pourraient entraîner une dégradation de la qualité de l’actif et une perte de confiance des partenaires financiers.
Enfin, dans un espace UMOA fortement intégré, une reprise perçue comme excessivement nationale pourrait susciter des tensions sous-régionales, affecter la coopération financière et, à court terme, compliquer l’accès aux financements internationaux.
Un montage public-privé indispensable à la crédibilité financière
Face à ces enjeux, l’expérience internationale montre que les acquisitions bancaires portées exclusivement par l’État comportent des risques élevés, notamment en matière de gouvernance et d’allocation du crédit. À l’inverse, un désengagement total du secteur public affaiblirait la portée stratégique de l’opération.
La voie la plus pertinente réside dans un montage associant :
- un État stratège, garant de la stabilité et de la vision de long terme ;
- des investisseurs privés nationaux solides, apportant discipline financière, capacités techniques et crédibilité ;
- des institutions financières régionales et, le cas échéant, des institutionnels et la diaspora.
Un tel schéma permettrait de préserver l’intérêt stratégique tout en introduisant des garde-fous contre les risques de mauvaise allocation du crédit et de concentration excessive des expositions.
Vision stratégique et gouvernance : les véritables facteurs de succès
La question du financement de l’acquisition ne saurait être dissociée de celle de la vision stratégique. Les restructurations bancaires réussies reposent sur un projet clair, une gouvernance indépendante et des objectifs mesurables.
L’enjeu fondamental n’est donc pas uniquement de mobiliser des capitaux, mais de définir avec précision :
- le positionnement stratégique de la banque ;
- son rôle dans le financement de l’économie nationale et régionale ;
- des standards exigeants de gouvernance et de gestion des risques ;
- la capacité à préserver les acquis en matière de qualité de services, de produits, de systèmes d’information et de surface financière.
En perspective : la holding financière nationale comme cadre structurant
La réflexion engagée sur la création d’une holding financière nationale pourrait offrir un cadre institutionnel pertinent pour structurer ce type d’opération. En mutualisant les instruments financiers de l’État, en renforçant la coordination stratégique et en améliorant la gestion consolidée des risques, une telle structure pourrait accroître l’efficacité globale de l’action publique dans le secteur financier.
Dans cette perspective, la Société Générale Sénégal pourrait constituer un actif structurant, servant de socle à un pôle financier national capable de soutenir durablement l’investissement et la transformation économique, sous réserve du respect des exigences prudentielles et de l’approbation des autorités de régulation.
Conclusion : une souveraineté financière qui s’exerce avec responsabilité
L’éventuelle acquisition de la Société Générale Sénégal par des intérêts majoritairement nationaux constitue une décision économique stratégique, avant d’être politique. Elle offre au Sénégal une opportunité réelle de renforcer sa souveraineté financière et de mieux orienter le financement de son développement.
Cette ambition ne produira toutefois ses effets que si elle s’inscrit dans une vision claire, adossée à une gouvernance exigeante, un montage public-privé équilibré et une gestion rigoureuse des risques. Dans un contexte de recomposition profonde du paysage bancaire africain, le véritable enjeu n’est pas de posséder une banque, mais de bâtir un acteur financier solide, crédible et durable, au service de l’économie nationale et de l’intégration régionale.

![[Tribune] L’opportunité stratégique et les risques maîtrisables de l’acquisition de la Société Générale Sénégal](https://www.financialafrik.com/wp-content/uploads/2025/12/Thierno-Seydou.jpg)