Elu au premier tour de la présidentielle du 28 décembre avec 86,72% des suffrages exprimés, la victoire –sans surprise– de Mamadi Doumbouya ouvre une nouvelle ère pour la Guinée. Pour le pouvoir en place, elle valide le processus de transition entamé le 5 septembre 2021 avec la destitution d’Alpha Condé par un putsch militaire « qui répondait à un putsch constitutionnel. » Pour ses détracteurs, elle soulève des questions sur l’ouverture démocratique réelle du pays, dont les principaux opposants ont dû s’exiler ou ont été écartés, à un moment où la Guinée veut s’ouvrir aux investisseurs étrangers.
Par Christine Holzbauer, envoyée spéciale à Conakry
Malgré les appels au boycott d’une partie de l’opposition historique, la participation a été presqu’aussi élevée (85%) que lors du référendum du 21 septembre (90%) ayant permis l’adoption d’une nouvelle constitution, mais encadrée -cette fois-ci- par un dispositif de sécurité renforcé. A la suite du référendum, –dont le bulletin et les listes électorales ont servi pour la présidentielle du 28 décembre–, la candidature indépendante (hors parti) de Mamadou Doumbouya a été validée à l’instar de celles de 8 autres candidats. Selon les résultats officiels annoncés 48 heures après la clôture du scrutin , comme s’y était engagée la directrice générale des élections (DGE), ceux-ci arrivent loin derrière l’homme fort de la transition en Guinée avec seulement 6,59% des suffrages exprimés pour Abdoulaye Yero Balde, suivi de Lansana Faya Millimouno (2,04%) et de la seule femme en compétition, l’ancienne ministre Hadja Makale Camara(1,59%). Les quatre autres candidats ne dépassent même pas la barre des 1%.
Un « KO électoral au 1er tour », voulu et assumé par les autorités de la transition, –civiles comme militaires–, compte tenu des réalisations, depuis quatre ans, sur le terrain (routes, dispensaires, points d’eau, etc.) en plus des réformes en profondeur pour doter la Guinée d’institutions stables. Le 28 décembre, jour du vote et depuis la veille, Conakry était bouclée par des véhicules et une présence des forces spéciales omniprésente jusqu’à la fermeture des bureaux de vote« lesquels ont été démultipliés pour faciliter le vote de proximité », explique un cadre de la Génération pour la Modernité et le Développement (GMD), un mouvement qui porte la vision de Mamadi Doumbouya pour le rajeunissement des cadres au sommet de l’Etat et dans les fonctions électives. Ainsi, les longues files d’attente ont été moins fréquentes hormis à l’ouverture des bureaux de vote, le matin, après la prière à la mosquée, heure à laquelle les Guinéens viennent voter en masse.
Elections « apaisées », sous haute sécurité
Ces mesures sécuritaires partout dans le pays ont été dénoncées avec force par les partisans de Cellou DaleinDiallo et de Sidya Touré, –tous deux en exil–, ou d’autres candidats écartés, comme Lansana Kouyaté. Ils ont alerté sur la « militarisation du processus électoral », estimant qu’il s’agissait d’une « nouvelle tentative d’intimidation des électeurs de la part de la junte. » Lors de leurs divers points de presse, les missions d’observateurs n’ont pu que constater que le scrutin s’était déroulé « dans le calme » et « sans incidents violents » sur la quasi-totalité du territoire. « Aucun mort n’est à déplorer, contrairement à ce qui se passe, habituellement, en Guinée, les jours de vote », s’est réjouie la présidente de la Salle de Situation Electorale (SEE) …... Ce qui dénote une grande maturité de la part des électeurs guinéens qui aspirent à vivre en paix, a-t-elle souligné.
Aussi, a-t-elle invité les candidats contestataires à privilégier les recours légaux auprès de la Cour Suprême, seule habilitée à valider les résultats définitifs en l’absence d’une cour constitutionnelle, avant l’investiture du président élu qui aura lieu d’ici à la fin janvier. Dans un communiqué à l’issue du scrutin, Abdoulaye Yéro Baldé a notamment dénoncé de « graves irrégularités » lors de l’accès refusé, selon lui, à ses représentants dans des commissions de centralisation des votes, ainsi qu’un « bourrage d’urnes » dans certaines zones. Tandis que Faya Millimono s’est plaint d’un « brigandage électoral » lié, selon lui, à des influences exercées sur des votants et à un « bourrage d’urnes. »
Pour le président du Conseil national de la transition (CNT), Dansa Kourouma, reste maintenant à organiser des élections législatives, au premier semestre 2026, afin de parachever la nouvelle architecture juridique de l’Etat, dont il est l’artisan. Celles-ci, comme pour les deux autres scrutins organisés en 2025, seront entièrement financées sur le budget de l’Etat, sans aide extérieure, a-t-il confié à Financial Afrik. « La Guinée entre dans une phase où les nouvelles institutions devront prouver leur efficacité pour améliorer -concrètement- le quotidien des citoyens et garantir une stabilité durable », ajoute-t-il. Grand admirateur de Sékou Touré, auquel il a consacré un livre qui sortira en janvier 2026, ce natif de Faranah, docteur légiste de formation, est une figure éminente de la société civile. « C’est pourquoi, dit-il, je ne comprends pas que l’on parle d’une ‘junte’ au pouvoir en Guinée car,hormis le président qui, soit dit en passant, regarde en boucle la chaine parlementaire que nous sommes le seul pays de la sous-région à posséder, il n’y a quasiment que des civils en capacité autour de lui »
À la tête du CNT qu’il préside depuis janvier 2022, « Dansa »a ainsi pu jouer le rôle de « pivot législatif » pour doter la Guinée d’une architecture juridique, capable de rompre avec les cycles d’instabilité passés. Après de nombreuses consultations « dans les villages les plus reculés », se souvient-il, le CNT, sous sa houlette, a pu élaborer un avant-projet de la nouvelle constitution adoptée par référendum. Ce texte introduit des « mécanismes de verrouillage institutionnel » et une « refonte de la gouvernance locale » pour éviter à la Guinée les déboires du tripatouillage d’Alpha Condé du troisième mandat. C’est pourquoi, insiste-t-il, il fallait miser sur une « constitution qui nous rassemble et nous ressemble « , notamment en ce qui concerne la décentralisation et la moralisation de la vie publique. Au plus fort de la crise, il a également œuvré pour maintenir un dialogue avec les instances régionales (CEDEAO) et internationales, justifiant des réformes structurelles comme un préalable indispensable à des élections crédibles et en y apportant sa caution de 2ème personnage de l’Etat.
Vision stratégique partagée
L’issue de l’élection de décembre 2025 consacre non seulement un homme, le général Mamadi Doumbouya, mais aussi une vision stratégique à long terme : le Programme Simandou 2040 qui repose sur cinq piliers. Or, ce programme, qui vise à transformer la manne minière en moteur de développement multisectoriel pour la Guinée, repose sur le travail complémentaire du président du CNT et du Premier ministre. Nommé en février 2024, Amadou Oury Bah (dit Bah Oury) a eu la lourde tâche de conduire l’action gouvernementale dans un climat social et économique tendu. Il a notamment mis en œuvre des « contrats annuels de performance » pour évaluer les ministres. Il a aussi dû gérer les conséquences de l’explosion du dépôt de carburant de Kaloum, en décembre 2023 et stabiliser l’inflation.
En charge de l’organisation technique du référendum de septembre et de la présidentielle de décembre, pour laquelle il a été choisi comme directeur de campagne du candidat président, cet ancien camarade de Cellou Dalein Diallo, avec lequel il a finalement rompu, a apporté son expérience politique et sa « caution civile » à la transition –tout en assumant la responsabilité de calendriers électoraux jugés trop longs par l’opposition ! Son rôle a été crucial pour maintenir le cap de la « Refondation » prônée par le Comité national du rassemblement pour le développement (CNRD). C’est à lui, notamment, que revient de superviser la mise en œuvre des 122 projets prioritaires de « Simandou 2040 », depuis la construction de 50 structures sanitaires régionales à l’accélération de la transition numérique (3e pilier du programme). Il en assure également le contrôle de performance par le biais des CAP, obligeant chaque ministre à aligner ses résultats sur les objectifs de ce programme phare pour le décollage de la Guinée.
« Simandou 2040 a permis de lever le plafond de verre qui pesait sur la Guinée », confie-t-il à Financial Afrik. En plus d’agir comme un chef d’orchestre opérationnel, Bah Oury a transformé la vision présidentielle en une feuille de route concrète. Pour lui, Simandou ne doit pas être qu’une « enclave minière » mais un levier de transformation structurelle. Il insiste sur le développement de l’agro-industrie le long du corridor ferroviaire du Transguinéen (670 km), afin que le pays ne dépende plus uniquement de l’extraction brute.
L’exigence de bonne gestion
Véritable « Plan Marshall », ce programme ne se contente pas d’extraire du minerai ; il vise à transformer durablement la structure socio-économique du pays. Or, l‘après-élection de 2025 marque le passage de la « conception » à la « réalisation ».Alors que le rôle du CNT vise à maintenir un cadre légal inviolable pour protéger les ressources, la Primature doit garantir que les retombées économiques atteignent le panier de la ménagère. Quelle que soit les décisions que le Président élu prendra à l’égard de ses soutiens, leur rôle consistera à transformer les infrastructures (port de Morébaya, chemin de fer) en opportunités réelles pour la jeunesse guinéenne, notamment via la Simandou Academy qui forme déjà les cadres de demain.
Interrogé sur le goulot d’étranglement pour les ressources humaines que représente la mise en œuvre de « Simandou2040 », Bah Oury a révélé avoir déjà négocié avec le FMI, « non pas pour renflouer les caisses de l’Etat, mais pour former massivement des administrateurs capables de gérer les projets », a-t-il précisé. Pour que les investissements dans Simandou (plus de 20 milliards de dollars) soient pérennes, ils nécessitent une stabilité institutionnelle. En dotant la Guinée d’un cadre législatif moderne, le CNT cherche, aussi, à rassurer les partenaires internationaux (Rio Tinto, Winning Consortium) sur la continuité de l’État.
L’autre volet est de promouvoir la « vision Simandou 2040″ lors de sommets internationaux (Rabat, TICAD) comme un outil de « décolonisation économique » et d’intégration régionale. Un forum international consacré au secteur minier, le Simandou Mining Summit (SMS), se tiendra sur l’ile de Kassa, au large de Conakry, le 11 novembre 2026, a annoncé la Direction de la Communication et de l’Information (DCI) de la Présidence de la République. Au final, insiste Bah Oury, c’est la rigueur budgétaire et la transparence dans la gestion du Fonds souverain alimenté par les intérêts des revenus miniers qui fera la différence.
La future assemblée nationale, dont les nouveaux locaux seront prêts d’ici à l’automne 2026, notamment la commission chargée des finances à défaut de cour des comptes, devra veiller à ce que les revenus miniers soient correctement fléchés vers les « piliers » (santé, éducation, infrastructures, etc.) auxquels ils sont destinés. Pour Dansa Kourouma, le succès du premier mandat de Mamani Doumbouya reposera sur sa capacité à faire reculer la pauvreté en Guinée et, donc, à lutter contre la corruption en jetant les bases d’une bonne gouvernance à tous les niveaux de l’Etat. Une revendication qui a également été portée par tous les autres candidats !

