Séparer l’émotion du capital
Le 22 décembre 2025, sur un plateau de Canal+, l’image est saisissante. Marcel Desailly, ancien capitaine des Bleus, champion du monde 1998, double vainqueur de la Ligue des champions, s’effondre en larmes. Le chiffre tombe, brutal : près de 2 millions d’euros de dettes, une pression fiscale étouffante, des revenus médiatiques taris, une solitude aggravée par le divorce. Plus troublant encore, l’icône du football français reconnaît avoir perdu plusieurs millions d’euros dans des investissements menés en Afrique, notamment au Ghana et, de manière plus indirecte, au Sénégal. Lui qui estimait avoir généré près de 100 millions d’euros sur l’ensemble de sa carrière se retrouve piégé par des projets mal encadrés, des partenariats fragiles, et une gouvernance défaillante.
Ce témoignage a choqué, divisé, parfois dérangé. Il pose surtout une question centrale : le problème est-il l’Afrique… ou la manière dont une partie de la diaspora y investit ? Quand l’émotion précède la méthode Le cas Desailly n’est pas celui d’un investisseur cynique en quête de rendements rapides. Il est, au contraire, emblématique d’un investissement d’attachement : retour vers le continent, volonté d’“aider”, de structurer, de transmettre. Mais l’économie est indifférente aux intentions. Dans ses propres mots, l’ancien international reconnaît avoir engagé des capitaux importants sans les garde-fous standards : due diligence approfondie, contrôle majoritaire, reporting indépendant, clauses de sortie claires. Le chiffre est cruel : quelques millions d’euros investis sans structure ont suffi à fragiliser un patrimoine bâti sur plusieurs décennies.
Le biais classique de la diaspora
La diaspora africaine investit souvent avec une double logique :
• impact affectif (retour, contribution, image),
• rendement espéré (immobilier, sport, formation).
Le piège survient lorsque l’impact émotionnel supplante la discipline financière. Les projets “à impact” exigent pourtant davantage de rigueur que les investissements classiques, car ils opèrent dans des environnements juridiques complexes et parfois asymétriques.
La gouvernance, toujours la gouvernance
Dans le cas Desailly, comme dans beaucoup d’échecs similaires, les difficultés ne semblent pas venir du secteur choisi, mais de la gouvernance des projets :
• partenariats informels,
• dépendance à un intermédiaire unique,
• absence de contrôle opérationnel,
• traçabilité insuffisante des flux financiers.
La règle est universelle : le capital qui ne contrôle pas devient vulnérable. La confiance n’est pas une stratégie de gouvernance.
Notoriété ≠ compétence d’investisseur
Autre illusion fréquente : confondre réussite professionnelle et maîtrise de l’allocation du capital. La notoriété ouvre des portes, mais elle n’ouvre pas les bilans comptables. Les investisseurs institutionnels qui réussissent en Afrique procèdent par étapes : tickets progressifs, audits préalables, comités d’investissement, scénarios de sortie. La célébrité, elle, brûle souvent ces étapes.
Fiscalité et liquidité : les angles morts
Le témoignage de Desailly met aussi en lumière deux risques sous-estimés par la diaspora :
• la fiscalité transfrontalière, mal anticipée ;
• l’illiquidité des actifs, qui transforme un investissement “prometteur” en trappe financière. Un actif peut avoir une valeur théorique élevée et être pourtant impossible à monétiser.
En définitive, trois leçons opérationnelles émergent clairement :
1. Séparer l’émotion du capital : investir par méthode, pas par loyauté.
2. Institutionnaliser les projets : véhicules juridiques solides, audits, gouvernance indépendante.
3. Monter en puissance progressivement : tester la gouvernance avant d’augmenter les montants.
Il va sans dire que dans ce cas-ci comme dans bien d’autres, ce n’est pas l’Afrique le problème. Le cas Marcel Desailly ne doit ni décourager ni stigmatiser. Il doit alerter. L’Afrique n’est pas un piège ; c’est un marché exigeant. Ceux qui y réussissent ne sont pas les plus passionnés, mais les plus structurés. L’investissement de la diaspora gagnera en efficacité le jour où il sera traité comme un métier, et non comme un acte de foi. La gloire protège des trophées, pas des erreurs d’allocation du capital. C’est peut-être la leçon la plus dure — et la plus utile — que nous laisse aujourd’hui Marcel Desailly.

