Par Christine Holzbauer, envoyée spéciale à Conakry
Avec le scrutin présidentiel du 28 décembre 2025, la Guinée se trouve à un nouveau carrefour de son histoire. Quatre ans après le coup d’État militaire qui a renversé le président Alpha Condé, le général Mamadi Doumbouya troque le treillis pour le costume de candidat, avec l’ambition de transformer l’essai de la transition en un mandat de sept ans.
Candidat indépendant, Mamadi Doumbouya, 41 ans, se présente sous la bannière « Bâtir ensemble. » Cet ancien officier de la Légion étrangère, marié à une Française, est l’homme fort mais discret du régime de transition qu’il a présidé depuis le coup d’État contre Alpha Condé, le 21 septembre 2021. Pour son directeur de campagne et porte-parole, le Premier ministre Bah Oury, le général vise la continuité, allant même jusqu’à remettre au goût du jour Sekou Touré, le premier président de la Guinée qui avait résisté au général De Gaulle en dotant le pays de son franc guinéen, avec son ambitieux plan pour l’emploi des jeunes et le secteur minier.
En plus des panneaux électoraux affichant les portraits des neuf candidats en lice, les références au programme « Simandou 2040 », avec son titanesque gisement de fer inauguré en grande pompe il y a quelques semaines, s’affichent partout dans la capitale. A la faveur d’un changement de la constitution, le général putschiste est parvenu à imposer sa candidature à l’élection présidentielle guinéenne du 28 décembre. Pendant un mois, ce natif de Kankan, a mobilisé des supporters qui ont convergé vers la capitale le 25 décembre, pour les derniers meetings. Avec un seul mot d’ordre : convaincre les électeurs dimanche qu’il est le seul avenir possible pour la Guinée, quitte à enrôler -de gré ou de force- la presse et l’opposition dans l’ambitieux plan national de développement pour le pays qu’il propose.
Le « contrat de refondation »
A la lecture de son programme, on ne peut en effet qu’être convaincu de sa détermination à transformer les richesses naturelles de la Guinée en levier de développement inclusif. Avec trois grands axes pour y parvenir : le projet Simandou, tout d’abord qui se veut le « poumon de l’économie » pour faire décoller la Guinée d’ici à 2040. Véritable fer de lance de sa campagne électoral, l’exploitation du plus grand gisement de fer au monde a débuté fin 2025. Le président de la transition, s’il est élu, -ce qui ne faisait aucun doute à la veille du scrutin-, a en effet promis d’utiliser les revenus miniers pour financer son plan national de développement visant à créer des dizaines de milliers d’emplois.
Ce programme met notamment l’accent sur l’obligation pour les entreprises minières de transformer sur place les matières premières (comme, par exemple, la bauxite en alumine) afin de capter plus de valeur ajoutée. A cette exigence d’une souveraineté accrue grâce à la transformation locale, il ajoute la modernisation et la digitalisation pour amener plus de transparence dans les affaires. Fort de ses réformes durant la transition, il prévoit également de généraliser le e-procurement(marchés publics en ligne) et la digitalisation de l’administration afin de lutter contre la corruption et assainir les finances publiques
Bénéficiaires directs de la manne minière par le bais d’un fonds de développement, l’agriculture et le tourisme sont les deux secteurs charnières pour accélérer la transition vers une « économie verte », à condition d’investir massivement dans les infrastructures rurales pour réduire la dépendance alimentaire. Dans le programme du candidat, ils sont conçus comme les piliers de la diversification pour éviter le « syndrome hollandais » (dépendance exclusive aux mines.) Premier employeur du pays (70 % de la population active)., l’agriculture sera mécanisée avec la distribution de tracteurs et de semences certifiées ainsi que les aménagements hydro-agricoles dans les 33 préfectures du pays. Le tourisme reste le secteur le plus « neuf » du programme avec un focus sur le tourisme insulaire et la protection du patrimoine.
Entre « mirage économique » et « exclusion politique »
Si le bilan infrastructurel de la junte séduit une partie de la jeunesse, l’opposition et plusieurs analystes indépendants pointent des failles majeures, à commencer par une compétition électorale jugée déloyale Les principaux ténors de l’opposition, comme Cellou Dalein Diallo et Sidya Touré, sont en exil, tandis que d’autres candidats, comme Lansana Kouyaté, ont été disqualifiés pour des motifs techniques. L’opposition dénonce une élection « sur mesure » où Mamadi Doumbouya est à la fois juge (via les institutions de transition) et partie.
Bien que la mine de Simandou soit présentée comme une solution miracle, des sources indépendantes notent que la fin des travaux d’infrastructure a paradoxalement entraîné des milliers de licenciements de travailleurs locaux. L’économiste et candidat Abdoulaye Yéro Baldé critique une gestion opaque des revenus miniers et dénonce une « militarisation de l’économie » qui effraie, selon lui, certains investisseurs étrangers hors secteur extractif.
Des évaluations du PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability) reprises par l’Agence française de développement et Expertise France soulignent que, malgré une croissance du PIB de 7,5% en 2025, portée essentiellement par les mines, pour atteindre plus de 11 % en 2027-2030, la discipline budgétaire reste fragile. Le passage d’un mandat de 5 à 7 ans (via la nouvelle constitution) fait également craindre des dérives autoritaires qui pourraient entrainer une instabilité politique à long terme, préjudiciable à la notation financière du pays.
Un scrutin sans surprise
Bien que le général Doumbouya soit le grand favori face à huit adversaires moins connus du grand public et ne disposant pas des mêmes moyens pour faire campagne, le scrutin de dimanche s’annonce sous haute tension. L’enjeu majeur, selon nombre d’analystes, reste le taux de participation, l’opposition ayant appelé au boycott dans certains fiefs. La restriction des libertés civiles et de la presse durant la campagne fait également craindre des contestations post-électorales si les résultats ne sont pas jugés transparents par les observateurs, dont ceux de la CEDEAO et de l’ONU.
Une victoire de Doumbouya dès le premier tour est l’hypothèse la plus probable. Cela marquerait le début d’une nouvelle ère où la Guinée devra prouver qu’elle peut transformer ses succès miniers en réduction réelle de la pauvreté. La viabilité du programme du président Doumbouya dépendra, aussi, de sa capacité à rassurer les partenaires internationaux sur le retour à un ordre constitutionnel réel, au-delà de la simple formalité électorale. Le programme « Bâtir Ensemble » est un pari sur le long terme. Mais comme le soulignent de nombreux analystes et opposants, la réussite économique ne pourra pas faire l’économie d’une paix sociale. Pour l’un d’entre eux, le pari de la transition est clair : « on ne peut pas ‘faire l’amour’ à la Guinée tout en bâillonnant ses enfants. Le développement sans liberté est une prison dorée qui finit toujours par s’écrouler ! »

