Par Dr. Mohamed H’Midouche
Expert en finance du développement et partenariats public-privé
De Dublin à Banjul, le débat sur le financement du développement africain entre dans une phase décisive. Face à la contrainte croissante de la dette publique, l’expérience irlandaise offre un enseignement central : l’attractivité des investissements et la soutenabilité financière ne reposent ni sur des incitations ponctuelles ni sur l’endettement excessif, mais sur la capacité à structurer des partenariats public–privé crédibles, fondés sur la prévisibilité, la discipline d’exécution et la confiance institutionnelle. Pour l’Afrique, l’enjeu n’est plus seulement d’attirer des capitaux, mais de les mobiliser autrement — à travers des PPP bien conçus — afin de financer des infrastructures et des hubs économiques sans compromettre l’équilibre budgétaire à long terme.
L’inspiration de cette réflexion est née d’une scène en apparence banale : en périphérie de Dublin, le long d’un axe logistique parfaitement connecté, s’étend une vaste plateforme appartenant à Amazon. Rien d’ostentatoire, mais tout y est lisible pour l’investisseur : accès immédiat aux infrastructures, sécurité juridique, stabilité réglementaire et capacité d’exécution sans friction. Cette plateforme illustre ce que l’Irlande a su construire au fil du temps : un environnement où les multinationales n’investissent pas seulement pour optimiser des coûts, mais pour ancrer durablement des chaînes de valeur.
Cette réalité est d’autant plus significative que Dublin abrite les sièges européens de plusieurs géants du numérique, notamment Google, Amazon et Facebook (Meta). Leur présence a attiré une matière grise multiraciale et cosmopolite de classe mondiale — ingénieurs, data scientists, managers, juristes — transformant la ville en hub de décision autant que de production. Autour de ces pôles se sont développés de grandes chaînes de distribution, un parc hôtelier international, une restauration multiculturelle et des services à haute valeur ajoutée.
Cette attractivité humaine et économique repose aussi sur une connectivité internationale efficace, incarnée par un aéroport performant, siège de la compagnie low-cost Ryanair, qui dessert un large réseau européen et méditerranéen, y compris plusieurs villes marocaines. L’attractivité d’un hub économique apparaît ainsi comme un système, combinant talents, mobilité, qualité de vie et infrastructures.
À cette dynamique s’ajoute une base industrielle pharmaceutique et biotechnologique de premier plan, incluant des groupes d’origine asiatique, notamment sud-coréenne, attirés par des normes élevées de qualité et de conformité. Elle est étroitement liée à la présence d’universités de rang mondial, au premier rang desquelles Trinity College Dublin, qui alimentent en continu le marché du travail en compétences scientifiques et managériales et favorisent les passerelles entre recherche, industrie et pouvoirs publics.
La fiscalité a également joué un rôle. En Irlande, le taux statutaire de l’impôt sur les sociétés est de 12,5 % sur les revenus d’activité (« trading income »), et il s’applique indistinctement aux grandes entreprises comme aux PME. Dans le cadre de la mise en œuvre du Pilier 2 de l’OCDE, un taux effectif minimum de 15 % s’applique aux grands groupes multinationaux (chiffre d’affaires consolidé ≥ 750 millions d’euros), à compter des exercices fiscaux ouverts au 1er janvier 2024, via un mécanisme de complément d’imposition (« top-up tax »). L’essentiel n’est pas le taux en soi, mais sa stabilité dans le temps et son inscription dans un cadre juridique clair et crédible, qui réduit l’incertitude, abaisse le coût du capital et renforce la bancabilité des projets, notamment dans le cadre des partenariats public-privé (PPP).
Sur le continent africain, les flux d’investissements directs étrangers restent fortement concentrés. Quelques pays — notamment l’Afrique du Sud, l’Égypte, le Maroc, le Nigeria ou le Kenya — captent l’essentiel des volumes, souvent tirés par la taille du marché, l’énergie, les ressources naturelles ou de grands projets d’infrastructures. Cette concentration reflète moins une supériorité structurelle qu’une capacité différenciée à transformer l’intérêt des investisseurs en projets effectivement exécutés.
À côté de ces grandes économies, des pays de taille plus modeste démontrent que la qualité de la gouvernance et de l’exécution peut compenser la taille du marché. La Côte d’Ivoire s’est imposée comme pôle sous-régional en Afrique de l’Ouest grâce à une croissance soutenue, des investissements logistiques structurants autour d’Abidjan et de San Pedro, et une attractivité renforcée dans l’énergie, les services et l’agro-industrie. Le Botswana incarne une attractivité fondée sur la stabilité macroéconomique et la sécurité juridique, avec l’enjeu actuel de diversifier au-delà d’un secteur dominant. Le Rwanda, enfin, illustre une attractivité construite sur la lisibilité des règles et la rapidité d’exécution, attirant des investissements dans la logistique, les services et le numérique malgré la taille limitée de son marché.
Ces trajectoires confirment une réalité souvent sous-estimée : l’attractivité ne se mesure pas seulement au volume des flux, mais à leur qualité et à leur durabilité.
Les retraits ou cessions d’actifs observés ces dernières années dans certains pays africains ne traduisent pas un désengagement massif, mais un arbitrage stratégique. Les causes sont bien identifiées : rentabilité insuffisante ajustée du risque, volatilité réglementaire, contraintes de change, lenteurs administratives et incertitudes contractuelles. Là où les projets manquent de visibilité et où les PPP sont mal structurés, l’investissement devient réversible.
À l’inverse, l’expérience irlandaise montre que la véritable réussite consiste à rendre l’investissement irréversible : sécuriser l’exécution, stabiliser les règles du jeu et ancrer les projets dans des écosystèmes locaux capables de créer de la valeur au-delà du capital initialement investi.
Selon les analyses du Fonds monétaire international, les écarts entre les systèmes fiscaux nationaux, combinés à des capacités administratives inégales, favorisent des pratiques d’optimisation fiscale internationale qui réduisent l’assiette de l’impôt sur les sociétés dans de nombreux pays en développement. En Afrique, cette situation contribue à maintenir une pression fiscale nominale relativement élevée sur les entreprises, sans pour autant garantir une mobilisation optimale des ressources domestiques. L’enjeu n’est donc pas de stigmatiser les investisseurs internationaux, mais de renforcer la lisibilité des règles, l’efficacité des administrations fiscales et la coordination régionale, afin de créer un environnement plus prévisible, propice à l’investissement productif et durable.
Le véritable socle du succès irlandais réside dans un modèle de PPP discipliné et orienté vers l’exécution. Le PPP n’y est ni un artifice budgétaire ni un transfert opportuniste de risques. Il constitue un mode de gouvernance économique : l’État planifie, investit dans les infrastructures stratégiques et garantit la stabilité ; le secteur privé apporte capital, expertise et efficacité opérationnelle. Cette relation, fondée sur la sécurité contractuelle et la continuité des politiques publiques, réduit le risque d’exécution et rend bancables des projets complexes — plateformes logistiques, infrastructures numériques, hubs industriels.
À l’approche de la 7ᵉ Édition des Financial Afrik Awards, qui se tiendra du 22 au 23 janvier 2026 au Centre international de conférences Sir Dawda Kairaba Jawara, à Banjul, sous le thème « Les Partenariats Public–Privé comme alternative à la dette publique », l’expérience irlandaise offre une grille de lecture précieuse. Les PPP peuvent constituer une alternative crédible à l’endettement public lorsqu’ils reposent sur des règles stables, des contrats lisibles et une capacité d’exécution éprouvée. Pour l’Afrique, l’enjeu n’est pas d’imiter mécaniquement le modèle irlandais, mais d’en transposer les principes essentiels : stabilité, lisibilité, co-investissement, intégration régionale et discipline d’exécution. C’est à cette condition que l’attractivité cessera d’être réversible et que les flux d’investissement se transformeront en développement durable et mesurable.

