Par Thierno Seydou Nourou SY, Président et Fondateur de Nourou Financial Consulting (NFC) Dakar-Sénégal.
En dépit d’une évolution satisfaisante des principaux indicateurs du secteur de la microfinance dans l’UMOA au cours des deux (2) dernières décennies, marquée notamment par une prépondérance des institutions de grande taille qui représentent près de 90% des actifs du secteur de la microfinance à fin 2024, une frange importante de nos populations, en particulier les couches les plus vulnérables, demeure exclue de l’accès aux services financiers. La promotion d’un nouveau type d’institution de microfinance dénommée sociétés coopératives de Microfinance Participative (SCMP) pourrait constituer un début de réponse pertinente à cette problématique. .
Depuis deux (2) décennies, le paysage financier de l’Union Monétaire Ouest Africaine (UMOA) s’est progressivement diversifié avec l’apparition et le développement de nouveaux acteurs. Les systèmes financiers décentralisés (SFD), appelés désormais Institutions de Microfinance (IMF) à l’aune de l’entrée en vigueur de la Loi portant réglementation de la microfinance adoptée en décembre 2023 par le Conseil des Ministres de l’UMOA, ont contribué à l’élargissement de l’offre de services financiers et à un financement sain des économies.
Ces acteurs, disposant d’un cadre réglementaire et prudentiel plus souple que celui applicable aux établissements bancaires, étaient pendant de longues années, essentiellement constitués sous la forme de coopératives et de mutuelles, mais aussi d’associations ou de projets à volets crédits mis en place par des ONG. Leur objet social consistait principalement en l’offre de produits et services de micro-crédits ou d’épargne à une cible généralement exclue des systèmes financiers classiques.
Cette souplesse réglementaire qui visait davantage à promouvoir les initiatives de microfinance en direction des couches les plus vulnérables à cependant attiré l’appétence de grands groupes internationaux qui se sont développés au sein l’UMOA à travers l’installation de plusieurs filiales constituées sous formes de sociétés anonymes (S.A).
Disposant de fonds propres solides, parfois autant que certains établissements de crédit, elles pratiquent l’optimisation réglementaire en fonctionnant comme des banques sans en supporter les exigences réglementaires et prudentielles. Elles ont certes contribué à la professionnalisation du secteur de la microfinance , à l’élargissement de l’accès au crédit, et à l’inclusion financièremais force est de constater que cette inclusion est sélective et la mission sociale confiée aux IMF s’en est retrouvée dévoyée. In fine, l’arrivée de ces IMF sous la forme de Société Anonyme a largement contribué à la consolidation des indicateurs financiers et prudentiels du secteur tout en l’éloignant de ses objectifs initiaux. En d’autres termes, elle a contribué à la mise en place d’une finance solide, mais pas plus juste.
Le dilemme du grand écart : solidité financière contre mission sociale
Le modèle dominant, structuré autour de grandes IMF constituées en sociétés anonymes (SA), a transformé en profondeur la microfinance de l’UMOA – mais au prix d’un glissement stratégique majeur : la priorité a été donnée à la méso-finance, c’est-à-dire aux petits commerçants urbains et aux micro-entreprises déjà formalisées.
Ce choix, rationnel du point de vue prudentiel et attractif pour les investisseurs, a eu une conséquence directe : le maintien despopulations rurales ; les femmes précaires, les jeunes sans capital et les acteurs de l’économie informelle ; aux marges du système.
Leurs besoins – crédits agricoles adaptés, épargne sécurisée de proximité, accompagnement, formation – sont devenus l’angle mort d’un système davantage orienté vers la performance financière que vers la transformation sociale.
Cette gouvernance distante, où le bénéficiaire n’a pas voix au chapitre, et cette offre de produits standardisés ont vidé la microfinance de sa mission originelle : l’autonomisation des exclus et la création de capabilités au sein des communautés. Nous avons gagné en stabilité, mais perdu en impact social.
L’impératif d’un nouveau paradigme : l’approche par les communs
Face à cette impasse, il est urgent d’innover en s’inspirant d’une solution profondément africaine, déjà mise en œuvre dans plusieurs pays : le modèle MC2 (Moyens et Compétences de la Communauté) basé sur un modèle coopératif efficace et rentable (1).
Une origine enracinée dans les pratiques africaines
MC2 trouve son origine dans :
● les traditions d’entraide et de solidarité (tontines, associations villageoises),
● les mécanismes communautaires de régulation sociale,
● les principes d’Elinor Ostrom sur les biens communs, qui démontrent qu’une communauté auto-organisée peut gérer une ressource collective mieux qu’un marché privé ou une bureaucratie lointaine,
● les théories du développement des capabilités d’Amartya Sen , pour qui la finance n’est qu’un instrument au service de l’élargissement des choix de vie,
● la microfinance d’émancipation orientée vers la dignité plutôt que le profit.
Des objectifs clairs et profondément transformateurs basés sur les principes coopératifs de l’Alliance Coopérative Internationale.
● Appropriation locale totale : les membres sont propriétaires, gestionnaires et contrôleurs de l’institution.
● Gouvernance démocratique : « 1 membre = 1 voix ».
● Mobilisation de l’épargne avant le crédit.
● Accompagnement continu : formation financière, suivi, renforcement des compétences.
● Développement endogène : les décisions et les investissements sont produits localement.
L’ambition n’est pas simplement de financer des projets, mais de transformer les individus, de créer un pouvoir d’agir et de renforcer la résilience économique et sociale des communautés qui se réunissent autour d’un lien commun.
Des résultats déjà observés
Les expériences MC2 mises en œuvre en Afrique ont montré :
● une réduction tangible de la pauvreté monétaire et multidimensionnelle,
● une forte autonomisation des femmes,
● un regain d’esprit entrepreneurial,
● une discipline sociale élevée,
● une résilience institutionnelle supérieure aux IMF classiques.
Ce modèle a fait ses preuves : il crée une inclusion en profondeur, là où la plupart des sociétés anonymes de microfinances ne créent qu’une inclusion en surface ou se focalisent sur la mésofinance.
Le chaînon manquant des politiques publiques de l’UMOA
L’atout stratégique de MC2 est sa capacité unique à devenir le réceptacle opérationnel des programmes nationaux d’inclusion financière.
Dans toute l’UMOA, les États déploient des fonds d’appui à l’entrepreneuriat des jeunes et des femmes, des dispositifs de garantie, et des programmes d’inclusion économique – comme la DER/FJ au Sénégal, les Fonds d’Insertion des Jeunes, les programmes de financement de l’agriculture, ou les initiatives d’inclusion par le numérique.
Toutefois, ces dispositifs se heurtent souvent à trois (3) obstacles majeurs à savoir :
1. une fragmentation et une inefficacité des canaux de distribution,
2. une faible proximité avec les bénéficiaires,
3. une absence de suivi et de redevabilité locale.
Les sociétés coopératives au sens de l’Acte Uniforme de l’OHADA portant droit des sociétés coopératives sont un continuum du vocable d’institution mutualiste ou coopérative d’épargne et de crédit, tel qu’il avait été retenu dans la réglementation des SFD. Ce type de structure constituent un vecteur de vulgarisation des politiques publiques en direction des couches vulnérables (femmes, jeunes, populations rurales) au regard de leur maillage territorial. En effet, elles font l’effort de s’installer en dehors des centres urbains et de se rapprocher des bénéficiaires.
Le système de gouvernance repose pratiquement sur le contrôle par les pairs dans la mesure où ce sont les coopérateurs (clients) qui sont les actionnaires de l’institution en libérant une part sociale et qui, naturellement, constituent les organes de gouvernance (Conseil d’Administration, organe de contrôle, etc).
Par ailleurs, les sociétés coopératives d’épargne et de crédit crée des effets multiplicateurs via l’épargne et la solidarité interne et ancre les programmes dans une infrastructure sociale durable, proche des réalités locales.
Afin de concrétiser cette vision sans fragiliser le système financier, il est proposé de mettre en place des incitations pour encourager les sociétés coopératives de Microfinance Participative (SCMP) et au besoin de les récompenser sur la base de critères objectifs articulés autour de leur mission sociale .
Si la gouvernance par les membres et coopérateurs peut constituer une faiblesse dans la mesure où ils ne sont pas forcément outillés pour assumer des responsabilités au sein du structure financière et ne sont pas aguerris aux complexités de la réglementation financière, des alternatives peuvent être mises en place. Elles portent notamment sur la mise en place d’un système de contrôle interne fort et efficace, une revue de la comptabilité par des commissaires aux comptes et des formations régulières à l’effet de renforcer les capacités des dirigeants.
Au sein des réseaux de sociétés coopératives dirigées par une structure faîtière, il pourrait être mis en place une supervision déléguée qui confèreraient des responsabilités fortes à cette structure centrale en matière de contrôle interne.
La supervision déléguée porterait sur l’audit,
● les systèmes d’information,
● la formation des élus,
● la consolidation des risques.
Le régulateur bénéficierait ainsi d’une interface unique et fiable, qui représente une innovation majeure par rapport au modèle hiérarchique actuel, tout en respectant les principes fondamentaux de stabilité. Ce modèle est parfaitement compatible avec le principe de proportionnalité déjaencouragé par la BCEAO.
Un modèle parfaitement aligné avec les priorités stratégiques de l’UMOA
Dans le cadre de la transition réglementaire en cours avec l’adoption prochaine de textes d’application à la Loi portant réglementation de la microfinance dont certains portant sur le cadre de gouvernance, la définition de critères pertinents permettant de mesurer l’impact social ainsi que le niveau d’atteinte de la mission sociale viendrait à point nommé. Cela permettrait de compléter et de combler les vides structurels pour atteindre ses objectifs stratégiques les plus pressants :
● Autonomisation des femmes et des jeunes,
● Développement rural,
● Inclusion numérique (communautés phygitales),
● Réduction de la pauvreté multidimensionnelle,
● Efficacité accrue des politiques publiques.
Conclusion : vers une finance des communs ancrée et régulée
L’UMOA est à la croisée des chemins. Elle peut se satisfaire d’une politique du chiffre en matière d’inclusion, portée par des institutions solides mais socialement limitées ou elle peut oser le saut vers une inclusion transformatrice.
Le modèle de société coopérative prévu par la nouvelle Loi sur la microfinance et le rajout d’une batterie de critères relatifs à la mission sociale, combinée à une série d’incitations, offre cette voie nouvelle et réaliste : une finance ancrée dans les territoires, régulée, inclusive, et porteuse de souveraineté économique locale. Cette proposition rejoint le cadre existant en s’appuyant sur ses fondations juridiques et prudentiels, mais le dépasse en créant un pilier dédié à « l’inclusion en profondeur ».
Il est temps de faire des communautés non plus des clientes, mais les propriétaires et les actrices de leur destin financier. Pour le régulateur, soutenir cette innovation c’est renforcer la résilience du système financier dans son ensemble, en y intégrant la force des communautés organisées. L’enjeu n’est plus seulement l’accès au crédit : il s’agit de construire une économie des communs régulée pour l’avenir des peuples de l’UMOA.
(1) le modèle MC2 est une innovation « made in Africa » née au Cameroun de la vision du Dr. Paul K. Fokam. Il propose une synthèse entre la finance formelle et les pratiques communautaires traditionnelles, plaçant l’autonomie, la démocratie économique et le développement local au cœur du processus de microfinance.
Cette tribune s’est aussi inspirée de la thèse de doctorat de Mr Guy Laurent Fondjo Président de Afriland First Holding (AFH) du groupe Afriland First Group.

