Par Abdou Cissé, Groupe Cisco Consulting -Solviseo
Pour comprendre les raisons pour lesquelles l’Afrique francophone n’a jamais pu bâtir un corps de protection sociale, il faut remonter aux origines de nos régimes de retraite et de santé, copiés sur le modèle français et plus ou moins très mal collés dans les pays de la zone franc CFA.
Ce retour dans l’histoire permettra aussi de bien comprendre pourquoi les pensions de retraite en Afrique sont restées faibles et inadaptées aux réalités économiques actuelles.
Depuis que la solidarité a arrêté de fonctionner en France, la retraite est devenue un horizon pour les français (car plus ils pensent s’en approcher, plus ils se rendent compte qu’ils s’en éloignent à travers un arsenal de réformes de leurs gouvernants).
Par contre, la retraite est un non-sujet en Afrique francophone car aucun retraité ne compte sur sa pension pour vivre (heureusement que la solidarité familiale fonctionne).
Comment en est-on arrivé à ce stade ?
Pour traiter cette problématique de protection sociale, je me suis inspiré des éléments suivants :
– Un de mes mémoires de statistiques des assurances sous la direction de Mr Gourieroux (ENSAE 97), sur l’actuariat des engagements sociaux ;
– Le livre de poche de Bernard Friot ‘Prenons le pouvoir sur nos retraites’ ;
– L’exploitation des statistiques du site Elucid de Berruyer O.
– Et surtout des précieuses contributions de mon frère, ami et collaborateur Claude MOMBO B.
Cet article est diffusé en 5 parties :
1- La première partie est une synthèse globale de la réflexion et une contribution au débat sur la réforme des retraites en France par une approche actuarielle et financière.
2- La deuxième partie revient sur l’historique de la retraite française avant 1945.
3- La troisième partie aborde la retraite française en 1945-1946 et démontre comment le contrat social issu du Conseil National de la Résistance est sorti complètement de la conception de la Vieillesse comme un Risque Individuel pour l’institutionnaliser comme un Risque Social (prise en charge par une collectivité).
4- La quatrième partie est orientée vers la revue actuarielle et financière des réformes et celle des arguments de justifications par les gouvernants français, intégrant une dimension économique. Des solutions de financement futur des retraites en France seront proposées (perspectives).
5- La cinquième partie aborde les perspectives en Afriquefrancophone (zoom sur le Sénégal).
Avant de traiter les 5 parties ci-dessus, il est nécessaire de faire un rappel sur l’actuariat des engagements sociaux. Dans sa Constitution, un Etat inscrit très souvent son Devoir de Protéger le Peuple. Acceptant ce devoir, l’Etat doit s’Engager. Dès que l’engagement prend date alors l’Etat doit signer un contrat social avec son peuple, consistant à assumer ses Engagements Sociaux. Ce contrat donne naissance à un Passif Social dans ses livres, lequel passif social étant issu d’un décalage temporel entre la naissance d’un droit à prestation et son instant de paiement.
L’Etat français s’est engagé sur la voie d’une République Démocratique et Sociale, à travers la signature d’un Contrat Social, qui consiste à assumer ses Engagements Sociaux. Pour atteindre ses objectifs, il a organisé la Protection Sociale des citoyens autour d’un pot commun. Les engagements sociaux sont des Régimes orientés vers la couverture complète des risques sociaux ; un risque social est pris en charge par une collectivité (un Etat, une entreprise ou une organisation) ; un régime, assimilable à une situation financière, est une convention (des droits accordés) qui prévoit les dispositions relatives à des engagements (comme le versement de prestations aux retraités par exemple).
On distingue deux types de régimes :
-Les régimes à Cotisations Définies pour lesquels les cotisations et leur rendement déterminent les prestations promises (Capitalisation) ; ces régimes ne prévoient en général aucun engagement sur le niveau des prestations ;
-Les régimes à Prestations Définies pour lesquels les prestations sont prédéfinies indépendamment de la couverture financière des engagements ; ces régimes prévoient un engagement sur le niveau de prestation à fournir.
Un régime de retraite peut être caractérisée en quatre dimensions : son Mode de Gestion, à savoir sa conception ou l’esprit de sa construction (gestion par Capitalisation ou par Répartition), sesModalités de Financement, ses Prestations et le Suivi de sonEquilibre Actif-Passif.
La Vieillesse peut être perçue de deux manières, selon le traitement nécessaire à sa couverture :
-Un Risque Individuel, auquel cas sa couverture nécessite une épargne long terme avec rendement garanti (retraite par capitalisation) ;
-Un Risque Social, auquel cas sa couverture nécessite de promettre aux futurs retraités un avantage non mesurable et hypothétique (aléatoire) ; le traitement actuariel permet d’assimiler un tel risque social à une somme d’argent temporellement précise (rôle d’un actuaire dans la gestion des risques à long terme).
Le suivi technico-financier d’un régime de retraite relève de l’Actuariat des Engagements Sociaux et de la Gestion d’équilibre Actif-Passif.
La discipline de l’Actuariat a été construite sur la base des statistiques, étroitement liées au retour vers le passé. Certains faits de l’histoire ne sont pas enseignés à l’école française et une partie de l’actuariat (celle des engagements sociaux) a échappé à la continuité de l’histoire des réformes des retraites en France (à rappeler aux économistes français qui se prononcent sur la problématique des retraites). Par exemple, en sortant d’écoles d’actuariat, certains étudiants ont tendance à concevoir qu’un modèle de Répartition se résume chaque année à distribuer aux retraités les cotisations des travailleurs actifs de la même année (modulo des chargements) et que les modes de gestion d’un régime de retraite par Répartition et par Capitalisation sont antagoniques. Seulement, en retournant dans l’histoire, on se rend compte que la Répartition ne se limite pas à la collecte sur l’activité salariale, mais va jusqu’au prélèvement d’une partie de la richesse nationale pour financer des besoins sociaux et l’antagonisme en régimes de retraite français se situe plutôt entre une Répartition Capitaliste et une Répartition Communiste.
Cet antagonisme entre Répartition Capitaliste Répartition Communiste est une idée chère à Bernard Friot que cet article tente de démontrer par une approche actuarielle et financière.
Par cette même approche actuarielle et financière, l’article (en 5 parties) explique comment en un demi-siècle, le libéralisme a mis la France toute entière aux mains des 100 plus grandes entreprises familiales en leur léguant les sociétés d’Etat en grande partie ; comment les gouvernants et certains économistes ont réussi à transformer la résolution d’une équation linéaire et paramétrique à une seule variable (la pension) en une optimisation d’une fonction linéaire sous contrainte budgétaire. Du grand art dans l’histoire de la science.
En somme, l’article cherche à replacer clairement l’actuariat au cœur du débat social en rappelant que la retraite ne peut être regardée uniquement dans une logique comptable, mais plutôt dans une logique actuarielle (statistiques-probabilités) et une logique financière de gestion actif -passif.
Ce préambule introduit les 5 parties
àSUIVRE…………………

