Par Dr Mohamed H’MIDOUCHE, Expert international en financement du développement | Inclusion financière | PME africaines | Politiques publiques | Leadership & transformation économique
L’avenir économique de l’Afrique repose sur un paradoxe devenu insoutenable : les femmes, qui constituent la véritable colonne vertébrale de l’économie réelle, restent les actrices les moins financées du continent. Elles produisent, commercent, innovent, amortissent les chocs, stabilisent les foyers, irriguent les villes et les campagnes. Elles sont le moteur le plus fiable, mais aussi le plus négligé. Chaque année, ce sont plus de 42 milliards de dollars de financement qui leur échappent. À force d’être sous-financées, les femmes entrepreneurs deviennent le symbole vivant d’un continent qui se prive lui-même de croissance.
Dans les marchés, les champs, les ateliers, les plateformes numériques, elles portent un potentiel économique que la finance formelle peine encore à reconnaître. Moins de 20 % accèdent au crédit bancaire. Les obstacles juridiques, sociaux ou culturels restreignent leur accès à la terre, au capital, à la technologie. Une marginalisation qui n’est pas qu’une injustice : c’est une perte sèche de PIB, un frein à l’industrialisation, un déficit de compétitivité régionale, un retard dans l’intégration de la ZLECAf, une entrave à l’émergence d’une classe moyenne féminine structurante.
L’Afrique peut-elle réellement changer d’échelle sans financer massivement celles qui la portent déjà ? La réponse est évidente : non. Les femmes africaines sont des bâtisseuses, des stratèges, des innovatrices, des formatrices. Leur résilience absorbe les crises politiques, les pandémies, les dévaluations, les fermetures de frontières. Leur intelligence économique empirique guide les arbitrages quotidiens : gestion de stocks, maîtrise du mobile money, diversification, anticipation des marchés. Elles innovent, souvent sans le dire, sans incubation ni capital-risque, mais avec une efficacité redoutable.
Il suffit de regarder l’histoire : les Mama Benz, pionnières du capitalisme féminin ouest-africain, avaient déjà inventé la microfinance collective, les chaînes de valeur transfrontalières, la diversification patrimoniale et les stratégies régionales avant que ces concepts ne deviennent des modèles de développement. Plus récemment, des figures comme Amina Gerba ou Gina Din-Kariuki illustrent un leadership féminin devenu puissance économique et diplomatique : l’une bâtit des ponts entre l’Afrique et l’Amérique du Nord ; l’autre réinvente les récits du continent et accompagne gouvernements et multinationales dans la maîtrise de leur image.
L’équation est claire : financer les femmes, c’est accélérer la transformation structurelle de l’Afrique. Non pas parce qu’il s’agit d’un enjeu social ou de genre, mais parce qu’il s’agit d’un impératif macroéconomique. Tant que les femmes resteront confinées à l’informel, sans capital productif, l’Afrique restera en marge des chaînes de valeur mondiales.
Les instruments existent pourtant. L’initiative AFAWA de la BAD transforme la perception du risque féminin, tandis que le Groupe de Coordination Arabe (GCA) — via la BADEA, la BIsD et d’autres institutions — injecte un financement massif et structuré dans l’entrepreneuriat féminin, notamment dans les zones les plus fragiles du Sahel et de la Corne de l’Afrique. À cela s’ajoute une coalition internationale élargie — IFC, UE, AFD, USAID, Mastercard Foundation, JICA, GIZ, WE-FI, ITC — qui multiplie les garanties, les lignes de crédit, les programmes de digitalisation et l’appui aux chaînes de valeur féminisées.
Le défi n’est donc plus l’accès aux ressources, mais leur alignement : comment faire converger ces instruments avec les priorités nationales, comment transformer les initiatives pilotes en politiques publiques, comment intégrer pleinement les femmes dans la ZLECAf, le financement des PME, la transition numérique et les stratégies industrielles ?
L’Afrique ne peut plus se permettre d’attendre. Les femmes ne demandent pas la faveur du financement : elles en sont la condition. Financer les femmes africaines, c’est financer la compétitivité, la stabilité et le futur du continent.
Initiative AFAWA (BAD) : L’Accélérateur silencieux de l’inclusion financière féminine
AFAWA – Affirmative Finance Action for Women in Africa, portée par la Banque africaine de développement, constitue aujourd’hui l’initiative la plus structurante du continent pour réduire le déficit de financement des femmes.
Elle repose sur trois piliers :
1. Un mécanisme financier catalytique
Le Guarantee for Growth (G4G) partage le risque avec les banques, réduit les exigences de garanties et stimule le crédit. Avec un fonds d’environ 300 millions USD, AFAWA vise à mobiliser 3 à 5 milliards USD d’ici 2026. Dans certains pays, 1 dollar garanti → 14 dollars prêtés.
2. Un accompagnement technique à double entrée
- Pour les banques : scoring sensible au genre, digitalisation, adaptation des produits, gestion du risque.
- Pour les femmes entrepreneures : formalisation, comptabilité simplifiée, trésorerie, gouvernance, intégration aux chaînes de valeur.
3. Une action institutionnelle et réglementaire
AFAWA appuie les registres de sûretés, milite pour l’accès équitable à la propriété foncière, simplifie les procédures administratives et aide les gouvernements à intégrer le prisme genre dans les politiques PME.
Impact déjà mesurable
- 185 institutions financières partenaires
- Plusieurs milliers de PME féminines financées
- 3 600 femmes formées dans les chaînes agroalimentaires
- Présence dans plus de 25 pays
AFAWA ne finance pas seulement les femmes : elle reconfigure la manière dont les banques africaines perçoivent leur risque, ouvrant la voie à une transformation inclusive et durable.

