Le gouvernement sénégalais envisage de taxer les transferts d’argent et les paiements mobiles. L’idée, inscrite dans le plan de redressement économique 2025-2028, s’inscrit dans un contexte de pression budgétaire intense : dette supérieure à 100 % du PIB, recettes fiscales plus faibles que prévu, nécessité de financer les grands projets. Mais alors que le numérique constitue la solution financière la plus utilisée du pays, cette orientation fiscale soulève un enjeu central : taxer le mobile money, c’est taxer la vie quotidienne de millions de Sénégalais.
Un secteur devenu vital pour l’économie sénégalaise
Le mobile money est la colonne vertébrale de l’inclusion financière au Sénégal. Moins de 30 % de la population dispose d’un compte bancaire traditionnel, mais plus de 90 % des adultes de plus de 15 ans utilisent un portefeuille mobile pour envoyer, recevoir, payer, épargner, ou soutenir un commerce. En 2025, le volume des transactions mobiles a atteint 15 300 milliards de FCFA, soit l’équivalent de 27 milliards de dollars.
Les transferts familiaux, les paiements marchands, la petite épargne ou la vente de proximité reposent désormais massivement sur cet outil. Y introduire un prélèvement obligatoire, même minime revient mécaniquement à renchérir chaque acte du quotidien.
Une taxe qui frapperait d’abord les plus fragiles
Contrairement à un impôt sur les bénéfices, la taxe envisagée, 0,5 % sur chaque transfert, s’appliquerait à chaque transaction, quel que soit le montant, et quel que soit le profil de l’utilisateur. Elle fonctionnerait comme une TVA sur la circulation de l’argent : plus on se sert du mobile money, plus on paye, même si on est modeste.
Un étudiant qui envoie 1 000 francs, une vendeuse qui règle son stock en petites sommes, un père qui transfère son salaire en plusieurs fois, tous verront leurs coûts augmenter. L’impôt ne portera pas sur la richesse, mais sur le mouvement.
Le précédent africain : quand taxer tue l’usage
Les effets sont pourtant déjà connus parce qu’ailleurs, l’histoire s’est déjà écrite. En Ouganda, en Tanzanie, au Cameroun, au Ghana, des taxes sur les transactions mobiles ont été introduites pour augmenter les recettes fiscales. Partout, les usages ont baissé, les volumes ont chuté, le cash est revenu. La fiscalité conçue pour faire entrer de l’argent dans les caisses a fini par en faire sortir moins. Tel est le paradoxe : on taxe pour récolter, mais en taxant le digital, on coupe la branche qui portait la récolte.
D’autres solutions existent pour augmenter les recettes sans freiner l’inclusion : cibler les bénéfices plutôt que les transactions ; accélérer la digitalisation des paiements publics ; étendre la traçabilité ; fiscaliser les secteurs encore peu contributifs. Une réforme fiscale peut soutenir la prospérité, à condition de ne pas étouffer le moteur qui la fait tourner.
Au fond, la question est simple : le Sénégal veut-il taxer le mobile money comme une richesse, ou le considérer comme la route qui mène à la richesse ? Car si l’on taxe la route, moins de monde l’empruntera. Et tout le pays pourrait ralentir.

