La 4ᵉ édition du President’s Roundtable de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (BIDC/EBID) s’est tenue le 24 novembre 2025 à Accra avec une ambition clairement affichée : replacer l’Afrique de l’Ouest au cœur des chaînes de valeur mondiales, non plus comme un simple fournisseur de matières premières, mais comme une région capable de transformer sa richesse agricole en puissance économique. Le panel retransmis dans différentes télévisions a démarré par l’intervention du du Président George Agyekum Donkor de la BIDC, réaffirmant le rôle de l’institution et son engagement à accompagner le secteur agro-industriel ouest africain. La région est leader dans la production du cacao, de la mangue et, entre autres de la noix de cajou. Les débats ont mis en lumière les paradoxes d’une zone qui domine le cacao, la mangue ou l’anacarde, tout en captant une portion marginale de la valeur ajoutée mondiale.
Prenant part à la rencontre, Kyle Kelhofer, IFC Senior Country Manager pour le Bénin, le Ghana, le Liberia, la Sierra Leone et le Togo, a rappelé que la compétitivité des chaînes de valeur repose d’abord sur une vérité simple : « more and better jobs ». Autrement dit, sans investissement massif dans les PME, la logistique et la transformation, les ambitions industrielles resteront rhétoriques. L’IFC déploie donc un arsenal allant de l’equity aux garanties, en passant par des lignes de crédit de long terme destinées à fluidifier l’accès au capital patient.
Proparco, représentée par Ange-Pascal Kouassi (directeur pour le Ghana et le Libéria) , a rappelé injecter chaque année près de 150 millions d’euros dans les systèmes alimentaires africains, avec deux vecteurs : des partenariats bancaires pour dérisquer le crédit et un financement direct des PME, notamment celles qui peinent à fournir les collatéraux exigés par les banques. « Le risque majeur pour les PME, c’est l’accès aux garanties. Nous finançons les banques pour qu’elles financent à leur tour les entreprises », a-t-il résumé.
Au cœur de la mécanique régionale, Dr Andrew Amankwah, Directeur du Trésor et de la Mobilisation des Ressources à la BIDC, a livré une analyse structurante du panel. Selon l’expert, l’Afrique de l’Ouest doit prendre en compte le « missing middle», les PME, à travers la mise en place de chaînes de valeur efficientes entre la ferme et le port – où se concentrent les goulets d’étranglement : transport, stockage, certification, transformation primaire, traçabilité. La BIDC y répond par une ingénierie financière sophistiquée : blended finance mêlant capitaux climatiques, ressources concessionnelles et fonds d’impact, prêts longs, participations en equity pour catalyser l’investissement privé, et mécanismes de garantie conçus pour absorber les risques que le marché refuse d’assumer seul.
Les chiffres donnent la mesure de l’enjeu : 50 milliards USD pour le marché mondial de la mangue, près de 30 milliards USD pour le cacao, un dynamisme similaire pour la noix de cajou. Et pourtant, les risques persistent. Le premier, celui de la qualité de la matière première, conditionnée par des certifications et une conformité accrue aux standards européens. La très redoutée EUDR — la réglementation européenne sur la déforestation — menace directement la filière cacao, surtout pour les petits producteurs dont la traçabilité reste imparfaite. S’y ajoute la volatilité extrême des prix : le Ghana produit 600 000 tonnes de cacao, mais reste exposé à des chocs climatiques et phytosanitaires qui déstabilisent les recettes publiques comme les revenus paysans. Enfin, le coût prohibitif de l’énergie – jusqu’à 17 cents le kilowatt-heure au Ghana – annihile les efforts de transformation locale.
George Dunkor l’avait dit dans son message introductif, :« l’Afrique de l’Ouest dirige le marché mondial du cacao, de la mangue et du cajou, mais n’en transforme presque rien. Les emplois se créent ailleurs. » Le fameux missing middle n’est donc pas qu’un déficit financier ; il est logistique, réglementaire, institutionnel.
Dans ce concert de voix, l’intervention de James Boateng, ancien CEO de Cadbury Ghana, a introduit une dimension souvent négligée : la valeur d’une filière ne se construit réellement que lorsqu’elle se prolonge dans la marque. « Le produit ne vaut rien tant que la marque n’existe pas », a-t-il rappelé, appelant à développer une discipline industrielle accrue, des compétences locales et des solutions de leasing pour équiper les PME à moindre coût.
Les discussions ont également mis en avant le rôle déterminant des instruments structurants : Africa Food Security Fund, African Agriculture Fund, solutions de warehousing, intégration des PME dans les chaînes formelles via des lignes de crédit dédiées, assistance technique publique, incubateurs privés, accélérateurs, coaching stratégique.
Au final, cette 4ᵉ édition du President’s Roundtable a confirmé que l’Afrique de l’Ouest ne manque ni de potentiel ni de capitaux disponibles, mais de cohérence stratégique pour capter la valeur. L’équation est connue : industrialiser, réguler, certifier, transformer et dérisquer. Encore faut-il désormais, comme l’a rappelé Donkor que les décideurs régionaux « fassent converger leurs ambitions » pour que la région cesse enfin d’être le grenier du monde et devienne l’un de ses ateliers.

