D’anciens ministres des Finances, d’anciens économistes en chef de la Banque mondiale et du FMI, l’ex-secrétaire au Trésor des États-Unis Janet Yellen et le lauréat du prix Nobel d’économie 2024, Daron Acemoglu, se joignent à Thomas Piketty, Gabriel Zucman, Ha-Joon Chang, Kate Pickett, Kate Raworth, Isabella Weber et à des centaines de penseurs de premier plan pour appeler à la création d’une nouvelle institution mondiale chargée de lutter contre les inégalités. Cette lettre ouverte fait suite à la recommandation du tout premier rapport du G20 sur les inégalités mondiales, dirigé par le lauréat du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz.
Vers un « GIEC des inégalités »
Des centaines d’économistes et de spécialistes des inégalités de soixante-dix pays appellent les dirigeants mondiaux à créer un Panel international sur les inégalités (IPI), inspiré du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC/IPCC).
L’IPI constitue la principale recommandation du premier rapport du G20 sur les inégalités mondiales, qui sera présenté lors du Sommet des dirigeants du G20 à Johannesburg la semaine prochaine.
Commandité par le président Cyril Ramaphosa dans le cadre de la présidence sud-africaine du G20, et présidé par Joseph Stiglitz, le Comité extraordinaire d’experts indépendants sur les inégalités du G20 alerte les dirigeants sur une « urgence des inégalités » et plaide pour la création d’un organe international destiné à informer gouvernements, décideurs et communauté internationale.
Une mobilisation mondiale d’économistes et de dirigeants
Dans une lettre ouverte, des chercheurs de renom – dont Daron Acemoglu, Thomas Piketty, Gabriel Zucman, Kate Pickett, Richard Wilkinson, Ha-Joon Chang, Isabella Weber, Jason Hickel, Nora Lustig et Seye Abimbola – exhortent à la création d’un IPI.
Ils sont rejoints par des responsables économiques de haut niveau : Janet Yellen, trois anciens économistes en chef et deux économistes en chef adjoints de la Banque mondiale, ainsi que d’anciens hauts dirigeants du FMI, de la Banque asiatique de développement et de la Banque interaméricaine de développement.
Trois rapporteurs spéciaux de l’ONU sur l’extrême pauvreté et les droits humains, dont l’actuel Olivier De Schutter, soutiennent également l’initiative, aux côtés d’un ancien secrétaire général adjoint des Nations unies pour les affaires économiques et sociales, et d’anciens dirigeants du FMI, de l’OCDE, de l’OIT, de l’UNICEF, du PNUD, de UNU-WIDER et du Comité économique mixte des États-Unis.
Parmi les signataires figurent aussi d’anciens ministres : Martín Guzmán (Argentine), José Antonio Ocampo (Colombie) et Clare Short (Royaume-Uni).
Alerte sur une « urgence mondiale »
Dans leur lettre, les experts se disent « profondément préoccupés » par le fait que « les concentrations extrêmes de richesse se traduisent par des concentrations antidémocratiques de pouvoir, sapant la confiance dans nos sociétés et polarisant nos politiques ».
Ils avertissent que « les inégalités économiques alimentent le changement climatique rapide » et aggravent ses effets sur les plus pauvres et les plus vulnérables.
« L’inégalité n’est pas inévitable ; c’est un choix politique », écrivent-ils.
« Des mesures claires et éprouvées peuvent être mises en œuvre pour la réduire et bâtir des sociétés et des économies plus équitables – fondement même d’un avenir prospère pour tous. »
Les signataires rappellent qu’une meilleure compréhension des causes des inégalités sert « l’intérêt des décideurs de tout bord politique ».
Une problématique multidisciplinaire
Les experts proviennent d’horizons variés : économie, science politique, climatologie, sociologie, épidémiologie, anthropologie, histoire, géographie, philosophie… Tous soulignent que « des niveaux élevés d’inégalités économiques ont un impact négatif sur tous les aspects de la vie et du progrès humain : nos économies, nos démocraties et même la survie de la planète. »
Déclarations de chercheurs de premier plan
Thomas Piketty, professeur à l’EHESS et à l’École d’économie de Paris, co-directeur du World Inequality Lab et du World Inequality Database, auteur de Le Capital au XXIᵉ siècle :
« Nous vivons un moment dangereux de l’histoire humaine. L’inégalité galopante divise nations et communautés, menace notre tissu social, nos droits humains et la démocratie elle-même. Une action mondiale est nécessaire, et l’analyse rigoureuse de ses causes et solutions en est la première étape. Les gouvernements doivent tenir la promesse du G20 : ‘solidarité, égalité, durabilité’, et créer d’urgence un Panel international sur les inégalités. »
Kate Pickett, professeure d’épidémiologie à l’Université de York, co-fondatrice de The Equality Trust :
« Nous savons que les inégalités sapent tous les indicateurs d’une société juste. Des décennies de recherche montrent qu’elles sont liées à une multitude de maux : espérance de vie plus courte, mortalité infantile élevée, performances scolaires faibles, stress et maladies mentales accrus, criminalité et incarcération plus fortes, et perte de confiance sociale. Si nous voulons des sociétés sûres et cohésives, les gouvernements doivent s’attaquer sérieusement aux inégalités – et la création d’un organe de type GIEC est une étape essentielle. »
Ha-Joon Chang, professeur à la SOAS University of London :
« Les fortes inégalités résultent de décennies d’une économie défaillante qui a surtout profité aux plus riches. De nombreuses preuves montrent que des sociétés plus égalitaires enregistrent non seulement de meilleurs résultats sociaux, mais aussi une croissance économique plus rapide. »
Des chiffres alarmants
Selon le rapport du Comité extraordinaire du G20 sur les inégalités, le 1 % le plus riche a capté 41 % de la richesse créée depuis 2000, tandis que la moitié la plus pauvre de l’humanité n’a vu sa richesse augmenter que de 1 %.
En termes absolus, la richesse moyenne du 1 % le plus riche a progressé de 1,3 million de dollars, contre seulement 585 dollars pour la moitié la plus pauvre (en dollars constants de 2024).
Enfin, 83 % des pays – représentant 90 % de la population mondiale – remplissent la définition de la Banque mondiale d’un pays à fortes inégalités.
Les États les plus inégalitaires sont sept fois plus susceptibles de connaître un déclin démocratique que les sociétés plus égalitaires.

