Par Lauric NGOUEMBE, Docteur ès sciences économiques, Administrateur – Associé, Business Unit Manager. Gouvernance macro-économique, Finances publiques et Systèmes d’information,
Cabinet ITONGA Consulting & Co., R. du Congo.
La politique d’endettement de la République du Congo est caractérisée par une volonté des pouvoirs publics à réduire l’emprise de la dette publique (désendettement), particulièrement la dette extérieure et les risques associés sur les équilibres financiers de l’État. Après avoir culminé à 111,1 % en 2021, le taux d’endettement (dette/PIB) avait chuté à 93,6 % en 2024, grâce à la bonne tenue de la croissance économique et aux efforts engagés par le ministre Rigobert Roger ANDELY (2021-2022), amplifiés par le ministre Jean-Baptiste ONDAYE (2022-2024) et maintenus par le ministre Christian YOKA (2025). À contrario, le montant de l’encours de la dette publique, quant à lui, a continué de croître : après un bond de 6 596 milliards de FCFA (en 2020) à environ 8 130,56 milliards de FCFA (soit +23,27 % en 2021), il s’est ensuite tassé en affichant un taux d’augmentation annuel moyen de +4,91 % pour atteindre 8 530,90 milliards de FCFA en 2024. Il pourrait dépasser ce niveau en 2025, en cas de défaut de paiement des échéances à échoir courant le dernier trimestre de l’année.
Cette volonté se confirme au regard du choix des ministres des Finances successifs, notamment depuis 2021, de privilégier la dette intérieure aux dépens de la dette extérieure. Ainsi, la part de cette dernière est passée de 63,46 % en 2020 à 39,29 % en 2024 et, en projection, elle pourrait s’établir à 37,85 % à fin 2025.
Mais, boudé sur le marché financier sous-régional, le ministre des Finances congolais s’engouffre sur le marché international (Londres) pour effectuer un important emprunt obligataire, un pari à hauts risques. Couteau à la gorge, du fait d’une crise financière et économique profonde, avait-il un choix alternatif que de mettre sa tête sous l’eau pour pêcher l’importante somme de 670 M$, afin de faire face à un besoin de refinancement massif ? Cet emprunt, au taux d’environ 10 %, un taux trop élevé reflétant, à la fois, des tensions dans l’environnement commercial mondial et un profil de risque perçu du Congo (l’émetteur), et à la durée de maturation de 7 ans, offre un « mur de remboursement » significatif à l’échéance.
Certes, il est reconnu en théorie économique que l’endettement (ou « levier ») est une arme à double tranchant : il peut amplifier les gains mais aussi les pertes. L’endettement est un outil puissant qui permet de financer la croissance et d’améliorer la rentabilité des capitaux propres. Cependant, il introduit des risques financiers substantiels qui, s’ils sont mal maîtrisés, peuvent mener à la faillite.
En émettant un tel emprunt obligataire en dollars (USD), le Congo s’expose notamment à un risque de change accru, un risque de refinancement élevé et une dépendance totale à la santé de son secteur pétrolier. En effet, le contexte actuel de « guerre commerciale » et d’incertitudes mondiales exacerbe chacun de ces risques en créant une volatilité sur les prix du pétrole, en resserrant les conditions financières globales et en fragilisant les économies émergentes.
Ce revirement de politique opéré par l’argentier congolais, M. Christian YOKA, suscite interrogations et inquiétudes.
I- Le Congo a-t-il tourné le dos au marché financier sous-régional ?
Certes, il sied de placer le choix de l’argentier de la République du Congo dans le contexte désastreux des finances publiques congolaises. Avec un taux d’intérêt aussi élevé, le ministre chargé des Finances semble remettre en cause les engagements pris par son pays dans le cadre du programme de la Facilité élargie du crédit signé avec le FMI, dont cinq revues d’affilée ont été passées avec succès. Le Congo, en accord avec cette institution financière internationale, avait adopté une ligne directrice nationale de privilégier les conditions d’endettement concessionnelles.
Revenons un peu en arrière. Il y a à peine un an, en 2024, grâce au Programme national pour l’optimisation de la trésorerie (PNOT), le marché sous-régional avait permis au Congo de reprofiler plus de 1 300 milliards de FCFA de sa dette et, au Gabon, 700 milliards de FCFA. Alors que, pour 670 millions de dollars américains, soit environ 381,11 milliards de FCFA seulement, le marché sous-régional aurait pu être plus indiqué afin de limiter tous les risques liés au marché financier, surtout au niveau international.
Les emprunts obligataires sont davantage privilégiés pour les gros investissements, avec des maturités plus longues, allant jusqu’à 20, 30 ans ou plus, que pour le fonctionnement de l’État. On est en droit de se poser la question de savoir si l’autorité monétaire congolaise voulait juste tester le marché financier international après plus de 20 ans d’absence. Sinon, quelles pourraient être les véritables raisons d’une telle aventure ?
Au-delà, devrait-on se souvenir des critiques acerbes et des manœuvres à des fins de découragement, sans réelle maîtrise de la réalité et des mécanismes du PNOT, pour faire arrêter la mise en œuvre de ce programme. Cette fois-ci, sans doute pour des raisons inavouées, de ne pas se contredire, et le besoin de s’affirmer, les autorités congolaises semblent avoir fait le pire des choix en matière de finances publiques.
En fait, l’argentier congolais parie certainement qu’il pourrait utiliser les 670 millions de dollars américains de son emprunt obligataire pour générer des rendements bien supérieurs à 10 % par an, afin de couvrir confortablement les intérêts liés et de créer suffisamment de valeur pour rembourser le principal dans 7 ans. Faut-il encore que la volonté politique y soit et que le ministre chargé des finances ait toute la latitude d’action pour imposer une austérité budgétaire.
Cependant, il faut reconnaître que le principal danger de ce pari est l’effet de levier inverse : si l’utilisation des sommes empruntées ne génère pas les rendements escomptés, le poids des intérêts et le « mur » du remboursement du principal pourraient étouffer le pays et mener à une restructuration de la dette, voire à une faillite. La gestion de la trésorerie et la préparation active du remboursement final sont absolument cruciales.
En fait, il fallait que les autorités congolaises fassent quand même quelque chose, face à la pression de trésorerie qu’elles subissent depuis plusieurs mois, voire des années. Mais est-il raisonnable d’agir de cette façon, sachant bien que l’on prend autant de risques pour un butin qui est loin de soulager, sur deux ou trois mois, la pression du service de la dette combinée aux dépenses de fonctionnement de l’État ? Quels sont les risques encourus par le pays dans cette opération économiquement et financièrement aggravante ?
D’emblée, la clé n’est pas de bannir la dette, mais de l’utiliser avec prudence, en s’assurant que son coût et son remboursement restent toujours en adéquation avec la capacité de génération de cash-flow, fonction de la dynamique de toute économie.
II- Analyse des conditions de l’emprunt obligataire et de son utilisation
Cette nouvelle information change radicalement l’analyse et amplifie considérablement les risques de cette opération. Un pays déjà très endetté (94 % du PIB) et qui émet une obligation de 670 M$ (soit 381,11 milliards de FCFA) à 10 % s’expose à des risques systémiques graves.
Le Congo devrait exploiter l’effet de levier induit par les sommes ainsi engrangées et tout mettre en œuvre pour créer de la valeur ajoutée, de telle sorte que, dans 7 ans, il puisse assurer le remboursement de sa dette. Or, la crainte est que les 381,11 milliards de FCFA pourraient essentiellement servir à régler les arriérés de dettes antérieures et à financer les dépenses de fonctionnement de l’État. Si tel est le cas, l’effet de levier attendu n’aurait pas lieu, et le Congo devrait ainsi emprunter à nouveau pour faire face au service de ses …dettes. Il risque bien d’aggraver le cercle vicieux de la dette et de tomber dans la banqueroute économique et
financière.
À la fin de la durée de maturation de cet emprunt obligataire de 7 ans, en novembre 2032, le Congo devrait assurer un service de la dette cumulé d’environ 415,41 milliards de FCFA (à taux de change constant). Ainsi, il devrait épargner 59,34 milliards de FCFA par an. Si en 2032, le Congo n’est pas en capacité de payer les 415,41 milliards de FCFA, la capitalisation des intérêts au taux de 10% crèvera ce plafond de la dette.
Pour aider le commun des mortels à mieux comprendre et percevoir les risques de cette opération, nous présentons ci-après une analyse détaillée des risques financiers par catégorie et des impacts liés à cet emprunt obligataire.
III- Risques souverains critiques
Risque de refinancement aigu (« mur de dette ») :
Dans 7 ans, le Congo doit rembourser l’intégralité des 670 M$ (le « principal ») en plus des intérêts, en une échéance concentrée. C’est le risque le plus critique à moyen terme. En cas de scénario favorable, il aurait accumulé suffisamment de cash (grâce aux investissements financés par son emprunt obligataire) pour rembourser sa dette. Mais dans le cas contraire (le plus risqué), si le résultat fiscal annuel du Congo ne s’améliore pas, le pays pourrait être contraint de refinancer sa dette à des conditions encore plus draconiennes. Si la situation financière du pays continue de se dégrader ou si les conditions de marché …
Risque d’insoutenabilité de la dette.
Pour une meilleure analyse de ce risque, il faut attendre de connaître les détails sur les conditions financières qui entourent cet emprunt obligataire, notamment si le taux adjugé est variable ou fixe.
Effet « boule de neige » : avec un taux d’intérêt (10%) très largement supérieur au taux de croissance
nominal du PIB du Congo, le ratio d’endettement/PIB va mécaniquement augmenter, même sans nouveau déficit. Les intérêts de cet emprunt, qui seuls représentent environ 67 millions de dollars américains par an, s’ajoutent à la charge d’intérêt existante déjà élevée et aux coûts supplémentaires (spécialistes de valeurs du Trésor (SVT) arrangeurs, banques intermédiaires de transferts de fonds, commission de change de devises, banque réceptrice ; soit 5-12%) liés à cette opération.
En fait, avec un taux de 10%, le poids des intérêts et des commissions connexes est non négligeable. Le Congo doit payer environ 67 millions de dollars américains (~38,1 milliards de FCFA) d’intérêts par an, constituant ainsi une sortie de trésorerie fixe et inéluctable.
Par ailleurs, la profitabilité des fonds investis est directement impactée. L’État doit générer une valeur bien supérieure à 67 M$ par an pour couvrir ces intérêts et financer les nouveaux investissements propices à la croissance économique.
Ainsi, des risques structurels (risques de solvabilité) pourraient se révéler, notamment face à la faiblesse de mobilisation des ressources propres hors pétrole, et le taux de couverture des intérêts pourrait s’étioler. En fait, les ratios d’endettement se dégraderaient de plus belle et les capacités de remboursement pourraient être compromises.
Pour y faire face, le Congo devrait d’ores et déjà mettre en œuvre des politiques visant une croissance économique plus robuste (> 10% par an), une augmentation significative des recettes d’exportation et une discipline budgétaire stricte au-delà d’un environnement de taux d’intérêt mondial éventuellement favorable.
Si la situation financière du pays continue de se dégrader ou si les conditions de marché
sont défavorables, le Congo pourrait devoir émettre une nouvelle obligation à un taux encore plus élevé (ex. : 12-15%), aggravant ainsi sa situation, ou pire, ne pas trouver de preneurs.
- Vulnérabilités structurelles de l’économie et risque de change aggravé :
L’emprunt extérieur est dévoreur de devises étrangères. Le service de la dette (intérêts + principal) nécessite des dollars, ce qui exerce une pression sur les réserves de change et augmente le poids réel de la dette en monnaie locale. Pour le Congo, ce risque est majeur en cette période de tensions commerciales entre les USA et les autres puissances économiques mondiales, et d’instabilité des marchés financiers internationaux. La fluctuation de change pourrait engendrer un coût réel du remboursement (des intérêts et du principal) plus important en monnaie locale.
Avant même de considérer le contexte international, le Congo part d’une position économique interne fragile et extrêmement dépendante de la rente pétrolière (environ 80% des recettes budgétaires, plus de 90% des exportations). Toute baisse du prix du baril impactera directement sa capacité à générer des devises et à rembourser sa dette. Avec un endettement déjà élevé et des défauts de paiement à répétition, le Congo est en situation de surendettement et de fragilité financière. La faiblesse de son niveau de réserves de change en devises étrangères, établi à 2,6 mois de couverture des importations, limite la capacité de sa banque centrale à défendre la monnaie locale (le franc CFA, qui est arrimé à l’euro) ou à constituer un tampon pour le service de la dette en dollars, et induit des défis persistants de gouvernance et de l’économie interne face à la pauvreté, à la faible diversification économique, etc.
Par ailleurs, l’émission d’un emprunt obligataire en dollars crée un désalignement fondamental entre les dettes en devises étrangères et en monnaie locale. D’une part, le service de la dette (intérêts et principal) doit être payé en dollars, pendant que les principales recettes de l’État (pétrole), également libellées dans cette devise, sont volatiles, et, d’autre part, les recettes non pétrolières sont libellées en FCFA. Ce désalignement crée un « effet ciseau » redoutable. Si le dollar s’apprécie (scénario probable en période de tension et de hausse des taux de la Réserve fédérale des USA), le poids relatif de la dette augmente, même si son montant nominal est fixe. Par contre, si les recettes pétrolières en dollars baissent (à cause d’une chute des prix ou de la production), l’État aura moins de dollars pour servir sa dette. La combinaison des deux situations est catastrophique : moins de revenus en dollars pour rembourser une dette qui devient plus lourde en termes réels.
IV- Impacts macroéconomiques
- Effet d’éviction :
Le Congo subit déjà un étouffement budgétaire. Les 67 M$/an d’intérêts détournent des ressources qui auraient pu financer la santé, l’éducation, les infrastructures, les investissements productifs… Le ratio service de la dette/recettes fiscales pourrait devenir plus critique.
- Perte de souveraineté budgétaire :
L’État congolais est désormais sous forte pression pour dégager des rendements très élevés sur ses
ressources propres et sur ses investissements, supérieurs au coût de 10%. Cela pourrait encore être plus délicat et conduire à une perte de flexibilité si les obligataires avaient imposé des covenants stricts (ratios financiers à respecter, limitations sur de nouvelles dettes, etc.). En cas de non-respect de ces clauses, les obligataires pourraient exiger un remboursement immédiat, ce qui serait catastrophique. Par conséquent, les conditionnalités imposées conduiraient les créanciers ou les partenaires techniques et financiers à exiger une austérité budgétaire, des réformes structurelles et des politiques économiques spécifiques.
- L’impact du contexte géopolitique actuel :
La « guerre commerciale » et les tensions entre les grandes puissances ne sont pas un conflit isolé. Elles créent une onde de choc mondiale qui frappe de plein fouet des économies vulnérables comme celles du Congo. La volatilité extrême des prix des matières premières, le resserrement monétaire global et la fuite des capitaux sont autant de conséquences du contexte économique mondial actuel. Ce qui pourrait justifier l’alourdissement du coût de la dette (environ 10 %), car en période d’incertitude comme celle-là, les investisseurs se réfugient vers les actifs considérés comme sûrs (dette américaine, or). Les actifs risqués comme les obligations d’un pays comme le Congo sont vendus, rendant l’émission plus difficile et plus coûteuse. - Risque systémique :
Une difficulté sur cette obligation pourrait engendrer un « effet de contagion », au travers d’une dégradation de la notation souveraine, d’une augmentation du coût de tous les emprunts futurs et d’un découragement des investissements étrangers.
Un endettement aussi important à un coût élevé est une alerte pour les agences de notation, qui pourraient être amenées à abaisser la note de crédit du pays, rendant tout futur financement plus cher et plus difficile.
En conclusion, la viabilité de cette opération d’emprunt obligataire n’est pas certaine, car le Congo n’est actuellement pas en mesure de générer une croissance économique rapide, d’améliorer drastiquement ses finances publiques et de transformer ces fonds empruntés en investissements hautement productifs. Sans cela, le pays s’engage potentiellement dans une spirale d’endettement incontrôlable pouvant mener à une crise de dette souveraine.
En effet, cette opération obligataire ressemble à un pari périlleux où la marge de manœuvre du Congo est très étroite, et où les facteurs externes (prix du pétrole, taux du USD, appétit pour le risque) sont largement hors de son contrôle dans un environnement mondial déjà très agité.
Néanmoins, pour atténuer ces vulnérabilités et mitiger ces risques, le Congo devrait mettre en œuvre une série de mesures :
• Poursuivre urgemment la diversification économique pour réduire la dépendance au pétrole.
• Renforcer la transparence budgétaire et la gouvernance pour rassurer les investisseurs.
• Privilégier, si possible, le financement en monnaie locale ou via des institutions multilatérales (FMI, Banque mondiale) qui offrent des taux moins volatils.
• Constituer des fonds de stabilisation substantiels lors des périodes de prix du pétrole élevés pour faire face aux chocs futurs.
• Renforcer les mécanismes de collecte des recettes publiques internes.

