Par Pr Amath Ndiaye – Économiste, FASEG-UCAD
La France n’a ni pétrole, ni gaz, ni or, ni uranium, ni lithium, ni cacao, ni fer. Pourtant, elle garantit le franc CFA. Ce paradoxe apparent interroge : comment un pays sans richesses naturelles peut-il soutenir la monnaie de pays africains qui en regorgent ? La réponse se trouve non dans les mines, mais dans la confiance et la solidité économique.
L’OR NE GARANTIT PLUS LES MONNAIES DEPUIS 1971
Jusqu’en 1971, le système de Bretton Woods liait la valeur des monnaies au dollar américain, lui-même convertible en or. Mais depuis la décision du président Richard Nixon de mettre fin à la convertibilité du dollar en or, aucune monnaie au monde n’est plus adossée à un métal précieux.
L’or a cessé d’être le fondement de la valeur monétaire. Depuis lors, la stabilité d’une monnaie repose exclusivement sur la confiance — celle que la communauté nationale et internationale accorde à l’économie qui l’émet.
LA VALEUR D’UNE MONNAIE DÉPEND DE LA CONFIANCE
La force d’une monnaie ne découle pas des ressources naturelles du pays, mais de la confiance qu’inspire son économie. Cette confiance repose sur plusieurs facteurs essentiels : la taille de l’économie et son poids dans le commerce mondial, sa diversification productive, sa stabilité politique et institutionnelle, et ses performances économiques (croissance, inflation, dette, emploi).
C’est pourquoi des pays comme la France, la Suisse ou le Japon, pourtant peu dotés en matières premières, disposent de monnaies puissantes. Leur secret : des économies productives, innovantes et crédibles. À l’inverse, beaucoup de pays africains, bien qu’abondamment dotés en ressources naturelles, restent dépendants des exportations brutes et donc vulnérables aux chocs extérieurs.
CE QUE SIGNIFIE RÉELLEMENT LA “GARANTIE FRANÇAISE”
La fameuse garantie française du franc CFA est souvent mal interprétée. Elle ne consiste ni en une mainmise politique ni en une couverture par l’or. Elle se résume à la possibilité, pour la BCEAO, d’obtenir un financement exceptionnel du Trésor français en cas de pénurie temporaire de devises étrangères.
En d’autres termes, il s’agit d’un filet de sécurité, une ligne de crédit de dernier recours. Cette garantie ne coûte rien aux pays africains et permet à la France de contribuer à la stabilité monétaire d’une zone où elle détient d’importants intérêts économiques et commerciaux.
Mais il faut le souligner : cette garantie n’est plus indispensable. La BCEAO gère aujourd’hui le franc CFA avec rigueur, dispose de réserves de change confortables et applique une politique monétaire prudente reconnue pour sa crédibilité.
L’ENJEU : DES ÉCONOMIES PRODUCTIVES, PAS DES ÉCONOMIES DE RENTE
Le véritable défi pour l’Afrique n’est pas de rompre pour rompre, mais de bâtir des économies capables d’inspirer confiance. Ce ne sont ni les discours politiques ni les gisements miniers qui font la valeur d’une monnaie, mais la capacité à produire, transformer et exporter avec valeur ajoutée.
C’est une économie productive, diversifiée et compétitive qui donnera à l’Afrique des monnaies stables — pas des économies extraverties dépendantes des matières premières.
Les Africains doivent cesser de fantasmer sur leurs ressources naturelles : ceux qui en tirent le plus grand profit sont les pays qui les transforment, c’est-à-dire les nations industrialisées, et non les exportateurs de matières brutes.
La souveraineté monétaire ne viendra pas des mines, mais des usines, de la productivité et de la confiance collective dans les institutions économiques africaines.
EN DÉFINITIVE
Depuis 1971, l’or n’est plus le socle des monnaies. La valeur d’une monnaie dépend de la confiance, fondée sur la taille, la performance et la crédibilité de l’économie. La garantie française n’est qu’un soutien exceptionnel et gratuit en cas de crise de devises. L’avenir monétaire de l’Afrique se construira par l’industrialisation, la diversification et la création de valeur locale, et non par la seule possession de ressources naturelles.

