Par Mamadou Ismaïla KONATÉ
Avocat à la Cour – Barreaux du Mali et de Paris
Ancien Garde des Sceaux, ministre de la Justice.
Au lendemain d’une annonce de suspension temporaire de ses services routiers vers le Mali, le groupe CMA-CGM, géant mondial du transport maritime, a finalement choisi la voie du dialogue et de la continuité. Entre impératifs sécuritaires, pénurie de carburant et exigences contractuelles, l’épisode met en lumière la fragilité logistique d’un pays enclavé et la responsabilité partagée entre acteurs publics et privés pour maintenir le commerce vivant. Une leçon à la fois juridique et stratégique sur la dépendance des États africains à leurs corridors d’approvisionnement.
I. Une annonce qui a semé le doute
Le 4 novembre 2025, le groupe CMA-CGM, acteur majeur du transport maritime mondial, a annoncé la suspension temporaire de ses services routiers vers le Mali, invoquant des risques sécuritaires accrus sur les corridors terrestres et une pénurie de carburant affectant la logistique intérieure du pays. Cette décision, relayée par plusieurs canaux de communication du groupe, concernait l’ensemble des corridors reliant le Mali aux ports d’Abidjan, de Dakar, de Tema et de Conakry. Pour un pays enclavé dont plus de 90 % du commerce extérieur dépend de ces axes, la nouvelle a immédiatement suscité inquiétude et réactions au sein des milieux économiques et institutionnels maliens.
II. La réaction rapide des autorités maliennes
Face à l’onde de choc provoquée par cette annonce, le ministère malien des Transports et des Infrastructures a convoqué, dès le 6 novembre 2025, une réunion d’urgence avec les représentants de CMA-CGM et des principaux opérateurs logistiques. À l’issue de cette concertation, le groupe français a finalement revu sa position. Dans un communiqué rectificatif, il a précisé qu’il maintenait ses opérations vers le Mali, y compris le transport terrestre, tout en reconnaissant des conditions logistiques difficiles, des délais allongés et une hausse des coûts liés à la sécurité et à l’acheminement du carburant. CMA-CGM a ainsi choisi de préserver la continuité de ses services, en coopération étroite avec les autorités maliennes, confirmant sa volonté de « soutenir la résilience du commerce régional ».
III. Chronologie des faits
Début novembre 2025, CMA-CGM annonce la suspension temporaire de ses services routiers vers le Mali, affectant les corridors d’Abidjan, de Dakar, de Tema et de Conakry. Le 6 novembre 2025, à la suite d’une réunion entre CMA-CGM et le ministère malien des Transports, le groupe décide de maintenir finalement ses activités et confirme la poursuite de ses opérations vers le Mali. À ce jour, les transports terrestres et intermodaux demeurent assurés, bien que confrontés à des retards et à des surcoûts dus à la situation sécuritaire et à la distribution du carburant sur le territoire malien.
IV. Le droit et la réalité : une force majeure requalifiée en risque maîtrisé
Sur le plan juridique, l’épisode illustre la manière dont la force majeure peut être invoquée, puis levée, selon l’évolution du contexte et le dialogue avec les autorités. En annonçant sa suspension, CMA-CGM s’appuyait sur une clause contractuelle standard : « Le transporteur n’est pas responsable lorsqu’un événement extérieur, imprévisible et irrésistible empêche l’exécution du transport. » Mais après concertation, l’entreprise a considéré que la situation, bien que difficile, ne rendait pas matériellement impossible l’exécution de ses obligations. Elle a préféré assumer un risque accru plutôt que de provoquer une rupture logistique majeure pour le Mali. Cette décision illustre un usage équilibré du droit maritime : la force majeure n’est pas une obligation, mais une faculté d’exonération ; son invocation exige une proportionnalité entre la gravité du risque et la décision prise, et son retrait témoigne d’une approche responsable et partenariale.
V. Les effets économiques et logistiques
En maintenant ses opérations, CMA-CGM évite une paralysie du commerce malien. Cependant, les conséquences économiques demeurent réelles : hausse des coûts de transit et d’assurance liée aux dispositifs sécuritaires, allongement des délais entre les ports côtiers et Bamako, et dépendance persistante à des infrastructures fragiles et à la disponibilité du carburant sur le territoire malien. Le groupe maintient sa collaboration avec CEVA Logistics et les autorités locales pour renforcer la sécurité des convois et assurer la fluidité des échanges.
VI. Un signal de responsabilité partagée
Cette séquence démontre deux réalités complémentaires : d’un côté, la vulnérabilité structurelle du Mali, dépendant de corridors soumis à des aléas sécuritaires et énergétiques ; de l’autre, le rôle stratégique des opérateurs internationaux comme CMA-CGM, dont la décision de poursuivre ses activités devient un acte de cohésion économique régionale. Le geste du groupe français n’efface pas la crise, mais il préserve l’essentiel : la continuité de l’approvisionnement d’un pays enclavé.
VII. En guise de conclusion : entre risque, droit et responsabilité
CMA-CGM a illustré une lecture dynamique du droit et une éthique de responsabilité économique. En renonçant à suspendre ses activités après dialogue avec les autorités maliennes, l’entreprise démontre qu’un équilibre est possible entre prudence juridique et solidarité logistique. Le Mali doit, pour sa part, tirer les leçons de cet épisode : investir dans des infrastructures de transport résilientes, renforcer la sécurité des corridors et instaurer un mécanisme permanent de concertation logistique avec les opérateurs internationaux. La souveraineté logistique d’un État enclavé ne se décrète pas ; elle se négocie, se protège et se construit.

