Alors que l’on célèbre le 10e anniversaire de l’Accord de Paris, la crise climatique -plus que jamais- est au cœur des préoccupations mondiales. Financial Afrik a demandé à Erick Maville, président de Santé en Entreprise (SEE Association) spécialisée dans le plaidoyer, l’élaboration de politiques et la gestion de programmes de RSE et innovation en santé, quelle devrait être la contribution du secteur privé africain aux principaux objectifs du développement (ODD.) L’ONG internationale SEE Association qu’il a fondée en 2011 a commandité le premier baromètre RSE & Santé 2024, dont la deuxième édition sera présentée lors de la 4ème édition du Forum FORAS 2026, au Maroc.
Propos recueillis par Christine Holzbauer, à Paris
Vous venez de participer à une table ronde consacrée au « secteur privé africain face aux ODD : le rôle stratégique du capital humain » à l’invitation de Tania-Bénédicte M’Baka de l’ONG Migrations et Climat dans le cadre des Journées de la mobilité, du recrutement et de l’entrepreneuriat pour l’Afrique (JMREA), organisées par African Business Club et le cabinet de recrutement AfricSearch, à Paris. En quoi les modifications du climat affectent-elles la santé des populations en Afrique ?
Elles agissent comme un facteur aggravant ou multiplicateur des risques, qui amplifient de nombreux problèmes auxquels sont déjà confrontées les populations. Particulièrement exposée et vulnérable, l’Afrique est impactée par le changement climatique en cours. L’augmentation de la température de l’air a un impact direct sur la santé de la population avec une multiplication des hyperthermies et des maladies cardio-vasculaires ou respiratoires pouvant entrainer des pics de mortalité. Les personnes les plus vulnérables sont les jeunes enfants, les personnes âgées et les femmes enceintes.
Par ailleurs, l’intensification des catastrophes naturelles (crues, inondations, incendies, etc.) augmente le nombre de sinistrés et par voie de conséquence le nombre de décès et de victimes. Une modification des conditions climatiques entraîne un ensemble de réactions en cascade, de l’implantation de nouvelles espèces à un changement de comportement, en passant par une modification des milieux pouvant conduire indirectement à des nuisances pour les populations locales. L’augmentation des températures peut favoriser l’apparition et la prolifération d’espèces microbiennes, végétales et animales pouvant être à l’origine d’allergies, d’intoxications et de maladies infectieuses.
Selon l’ONG Oxfam, les inégalités entre les riches et les pauvres en termes d’empreinte carbone se creusent. Depuis 1990, les 0,1 % les plus riches d’Europe ont augmenté leur part des émissions totales de gaz à effet de serre de 14 % ; tandis que la moitié la plus pauvre a réduit la sienne de 27 %.Quelle devrait être la contribution des entreprisesface à ce dilemme climat/santé à l’échelle planétaire ?
La santé des dirigeants et des collaborateurs devrait être considéré comme le premier actif immatériel de l’entreprise responsable. La crise du COVID en 2020 a accéléré la prise de conscience qu’aucun business ne peut être durable sans talents et capital humain en bonne santé. En tant qu’employeurs et opérateurs économiques ancrés dans des territoires, les entreprises sont appelées à faire davantage dans le domaine de la promotion de la santé, dans la mesure où cette situation s’impose à elles comme un enjeu stratégique actuel et futur au cœur de leur responsabilité sociétale.
Dans ce sens, elles doivent désormais agir autrement en articulant les trois sphères de la santé au travail, de la santé publique et de la santé des écosystèmes. Cette tendance devrait s’affirmer dans les prochaines annéesgrâce, notamment, au déploiement de l’approche One Heath/Une seule santé qui vise à une approche intégrée de tous les aspects de santé humaine, santé animale et gestion des écosystèmes. Ce concept met clairement en avant la nécessité de politiques intégrant la santé humaine et la biodiversité et devrait permettre aux entreprises de mieux articuler les enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance de leur stratégie RSE.
Où en sommes-nous dans l’atteinte des ODD en ce qui concerne la santé ?
Les maladies infectieuses qui se transmettent par le biais d’animaux et d’insectes dits « vecteurs », font l’objet d’une attention toute particulière en santé environnementale. Des études ont montré l’influence du changement climatique sur les maladies vectorielles, dont la recrudescence est liée à la hausse des températures qui favorise leur développement, l’extension de leurs aires de distribution et l’accélération du développement des agents pathogènes. C’est le cas, par exemple, du moustique tigre responsable de la transmission du chikungunya, de la dengue et du Zika.
Alors qu’il ne reste que cinq ans pour atteindre les objectifs de développement durable (ODD) de l’ONU à l’horizon 2030, les progrès mondiaux sont largement insuffisants, avec seulement 17% des objectifs en bonne voie, selon le dernier bilan annuel de l’ONU. S’agissant de l’ODD nº 3 (Accès à la santé et au bien-être pour tous), des progrès ont certes été réalisés depuis 2015, notamment en ce qui concerne la mortalité infantile et les décès liés au sida. En revanche, du retard a été pris dans d’autres domaines comme la mortalité maternelle ou l’accès aux soins pour tous. L’incidence croissante des maladies non-transmissibles (diabète, maladies cardiovasculaires, cancers…) ainsi que la (ré)émergence de nouvelles épidémies mondiales liée au changement climatique et à la perte de biodiversité (Dengue, Mpox…) constituent des défis majeurs à relever dans tous les pays, notamment en Afrique.
Quelles leçons tirez-vous des conclusions de votre premier Baromètre RSE & Santé publié en 2024 ?
Bien plus qu’un outil de communication, la RSE doit désormais être considérée comme une démarche stratégique pour les entreprises appelées à traiter les impacts négatifs de leurs activités et à relever le défi de la durabilité de leur modèle d’affaires. C’est pourquoi, mon association a lancé en 2024 la première étude dédiée à la place de la santé dans les stratégies RSE des entreprises. Les enquêtes ont été réalisées de novembre 2023 à octobre 2024, à partir de la revue et du criblage des rapports RSE de 135 entreprises (SBF120 + 9.) Il en est ressorti que la promotion de la santé ne fait pas partie des principaux objectifs de développement durable pris en compte par les entreprises opérant en Afrique.
Parmi les cinq ODD les plus « priorisés » par les entreprises interrogées, on trouve : l’ODD-9 (industrie, innovation, infrastructures, 97%) ; l’ODD-13 (Climat, 95%) ; l’ODD-12 (consommation et production responsables, 93%) ; l’ODD-7 (accès à l’énergie propre, 86%) et l’ODD-17 (Partenariats, 75%.) L’ODD-3 (Bonne santé et bien-être) n’apparaît qu’au 10ème rang sur 17 dans le classement : 49% pour l’ensemble du panel et 52 % pour les entreprises opérant en Afrique. De surcroit, le reporting de durabilité des actions des entreprises ainsi que la mesure de leur contribution à la réalisation de l’ODD-3 restent en deçà des attentes.
Attendez vous des résultats similaires pour la deuxième édition de votre baromètre dont les résultats seront publiés les 8 et 9 octobre 2026 ?
Nous espérons qu’une prise de conscience se sera produite d’ici là face à l’accumulation de catastrophes naturelles Quelles sont les grandes tendances observées en matière de reporting de durabilité dans le contexte de l’application différée de la nouvelle directive CSRD de l’Union européenne, intervenue en 2025 ? Comment les entreprises africaines se saisissent-elles de ces enjeux ? La santé est-elle davantage prise en compte comme une priorité stratégique au sein des COMEX ? Quelle place occupe la RSE et les enjeux liés à la santé dans l’agenda des organisations européennes et africaines du secteur privé ? Ce sont quelques-unes des questions que nous allons poser lors du sondage. L’essentiel, pour nous est de cerner si les entreprises augmentent leur contribution à l’atteinte des ODD et quelles sont les thématiques et actions prioriséesqu’elles ont adoptées dans le domaine de la santé et avec quelle mesure d’impact. Enfin, quelles stratégies les investisseurs privés mettent-ils en place -dans le contexte de réduction généralisée de l’aide publique au développement (APD)- pour booster les programmes de santé. En d’autres termes, après le retrait des Etats-Unispour financer ce secteur, quels sont les nouveaux modèles de partenariats qui sont mis en place pour pallier le déficit de financement.

