Par Hella Ben Youssef
Consultante en politiques publiques, politique migratoire, genre et leadership féminin
Vice-présidente de l’Internationale Socialiste des Femmes pour la région Méditerranée Nord-Sud.
Le 31 octobre 2025, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté la résolution n°2797, qui reconnaît que le plan d’autonomie présenté par le Maroc constitue la base la plus réaliste et crédible pour une solution politique durable au conflit du Sahara occidental. Un texte qui relance l’espoir, mais redéfinit aussi les équilibres régionaux.
À Rabat, la réaction officielle fut mesurée et empreinte de responsabilité. Le roi Mohammed VI a évoqué un « dialogue fraternel » avec l’Algérie, ouvrant la porte à un possible réchauffement des relations. À Alger, la diplomatie s’est également montrée prudente mais constructive. Les autorités ont souligné que le texte ne contredisait pas la vision algérienne d’un règlement politique, tout en affichant un ton apaisé envers le voisin de l’Ouest. Ces positions, pour la première fois depuis longtemps, vont dans le sens d’un apaisement. Elles traduisent une prise de conscience mutuelle : la confrontation permanente a un coût économique, politique et symbolique trop lourd pour les deux pays.
Une médiation américaine discrète mais désormais assumée semble d’ailleurs encourager cette évolution. Ce contexte ouvre la possibilité d’un dialogue direct entre Rabat et Alger, prélude, peut-être, à un début de réconciliation. Un scénario que tout esprit lucide dans la région ne peut qu’espérer : sans entente maghrébine, il n’y a ni stabilité durable, ni avenir commun.
Et la Tunisie dans tout cela ? C’est ici que les questions se posent avec acuité. Alors que le Maroc et l’Algérie s’avancent, timidement mais sûrement, vers une forme de détente, la Tunisie semble, pour l’heure, en retrait. Notre diplomatie a, ces dernières années, rompu avec cette neutralité positive qui constituait sa marque de fabrique et lui valait respect et crédibilité. L’accueil à Tunis d’Ibrahim Ghali, chef du Front Polisario, avait marqué un tournant, vécu à Rabat comme une provocation et interprété à l’international comme un alignement sur une ligne désormais dépassée. Cette inflexion a fragilisé la position d’un pays déjà en quête de stabilité interne.
Mais l’histoire diplomatique tunisienne n’est pas écrite à l’encre de la fatalité. Fidèle à l’esprit de son fondateur, Habib Bourguiba, qui rappelait que « la Tunisie est trop petite pour s’isoler, mais assez grande pour rassembler ».
La résolution 2797 a modifié le rapport de forces et clarifié les positions internationales. La communauté mondiale, de Washington à Paris, en passant par Londres et Madrid, converge désormais autour du plan d’autonomie marocain. Même l’Algérie, sans le dire explicitement, adopte un ton plus conciliant. Dans ce contexte, la Tunisie n’a rien à gagner à camper dans un isolement diplomatique ni à maintenir un flou perçu comme de la défiance. L’heure est à une réévaluation lucide de notre position, et à la reconstruction d’une politique étrangère réaliste et souveraine, fondée sur nos intérêts nationaux, non sur des postures.
Pour un Grand Maghreb de raison et d’avenir, et au-delà du seul dossier du Sahara, la résolution de l’ONU pourrait relancer l’idée d’un Maghreb réconcilié, fort de ses 100 millions d’habitants, de ses 6 millions de km², de ses ressources naturelles et d’un PIB combiné de plus de 500 milliards USD. Un espace capable de peser géopolitiquement et de s’affranchir des dépendances extérieures. Mais cela suppose une volonté politique, une vision économique et surtout une diplomatie maghrébine ouverte, intelligente et courageuse.
La Tunisie, par son histoire, son positionnement et son capital moral, devrait être au cœur de ce renouveau, non à sa périphérie. Car dans le monde qui vient, le Grand Maghreb uni n’est pas seulement un idéal : c’est une condition de survie politique, économique et identitaire.
Un conflit qui a trop longtemps éclipsé les aspirations démocratiques
Depuis un demi-siècle, la question du Sahara a servi de paravent commode, détournant les peuples du Maghreb de leurs véritables priorités : la démocratie, la justice sociale et la prospérité partagée. Cette querelle territoriale a gelé les rêves d’intégration régionale, paralysé l’Union du Maghreb Arabe et permis à des régimes fragiles de reporter indéfiniment les réformes politiques et économiques exigées par leurs sociétés.
Aujourd’hui, alors qu’une fenêtre d’opportunité s’ouvre, les peuples du Maghreb réclament autre chose : la dignité, l’emploi, la transparence et la liberté. Ils ne demandent plus des slogans d’unité, mais des actes de coopération. L’histoire retiendra ceux qui auront su dépasser les rancunes du passé pour construire un avenir commun.
La résolution 2797 pourrait être le début de cette transformation : celle d’un Maghreb qui se réconcilie avec lui-même, avec sa jeunesse et avec le monde. Et la Tunisie peut encore retrouver le chemin de l’équilibre et du dialogue pour redevenir un trait d’union entre ses voisins, une voix d’apaisement et de raison dans un Maghreb en recomposition.

