Par Pr Amath Ndiaye – Économiste, FASEG-UCAD
J’ai mal en observant l’incompétence de la junte malienne face à l’avancée des groupes jihadistes. Le pays est littéralement coupé en deux, et Bamako s’asphyxie à mesure que les voies d’approvisionnement se ferment. On mesure aujourd’hui le prix d’une grave erreur stratégique : celle de dirigeants autoproclamés révolutionnaires, plus soucieux de leur survie politique que de l’avenir du Mali.
En rejetant les forces de Barkhane et celles de l’ONU, ils prétendaient restaurer la souveraineté nationale ; en réalité, ils cherchaient à consolider un pouvoir fragile. L’opération Barkhane, lancée en 2014 par la France, visait à lutter contre les groupes armés terroristes au Sahel, en appui aux armées locales.
Quant à la MINUSMA (Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali), elle déployait près de 13 000 casques bleus pour protéger les populations civiles, soutenir la réconciliation nationale et stabiliser le pays. Ces forces n’étaient pas parfaites, mais leur retrait brutal a laissé un vide sécuritaire béant que ni les forces russes du groupe Wagner ni l’armée malienne ne sont parvenues à combler.
Résultat : le Mali s’enfonce dans le chaos, l’État se délite et la population paie un lourd tribut. Les régions du Nord échappent désormais presque totalement au contrôle de Bamako, tandis que les zones du centre deviennent le théâtre d’affrontements quotidiens.
Les États-Unis viennent d’ailleurs de recommander à leurs citoyens de quitter le Mali, signe évident de la gravité de la situation sécuritaire et de la perte de confiance internationale envers les autorités actuelles.
Claironner une souveraineté irréfléchie partout mène au désastre. À se demander si, dans ce contexte de guerre jihadiste, la fermeture de la base militaire française au Sénégal était réellement opportune ? L’histoire nous enseigne que les guerres ne se gagnent jamais dans l’isolement, mais avec des alliances, parfois même contre nature.
Le 23 août 1939, l’Allemagne d’Hitler et l’Union soviétique de Staline signaient le pacte de non-agression dit Molotov-Ribbentrop, du nom de leurs ministres des Affaires étrangères. Cet accord inattendu entre deux régimes idéologiquement opposés illustre parfaitement que la diplomatie, en période de tension, obéit à la logique des intérêts stratégiques et non à celle des émotions. Quelques mois plus tard, Staline rompait le pacte et se joignait aux Alliés contre l’Allemagne nazie.
Sans l’entrée en guerre des États-Unis, la France et le Royaume-Uni n’auraient pas remporté la Première ni la Seconde Guerre mondiale. De même, la présence durable de bases militaires américaines en Allemagne et au Japon n’a jamais amputé leur souveraineté. Bien au contraire, ces alliances stratégiques leur ont offert la stabilité nécessaire pour devenir respectivement la troisième et la quatrième puissance économique mondiale.
À cette faillite militaire s’ajoute une erreur diplomatique majeure : la sortie précipitée du Mali de la CEDEAO, qui l’a privé d’un cadre régional de coopération économique et sécuritaire. Cette décision, motivée par des considérations politiques internes, a isolé davantage le pays et aggravé la méfiance de ses voisins.
Les relations tendues avec l’Algérie, autre acteur clé de la stabilité sahélienne, achèvent de réduire les marges de manœuvre de Bamako. Au lieu d’un dialogue constructif avec ses partenaires naturels, la junte a préféré la confrontation et le repli.
Le Mali, isolé diplomatiquement, affaibli militairement et déchiré territorialement, paie aujourd’hui le prix d’une rhétorique souverainiste déconnectée du réalisme géopolitique. Et cette dérive n’est pas sans conséquences pour la sous-région : le Sénégal subit déjà les contrecoups économiques, commerciaux et sécuritaires d’un voisin en implosion.
L’histoire est sans appel : aucun pays n’a jamais gagné seul une guerre qu’il ne pouvait se permettre de perdre.

