Par Christian Kazumba, expert en développement du secteur privé subsaharien.
En moyenne, la dette publique sur le continent africain représenteentre 60 et 65 % du PIB. Si ce pourcentage a doublé sur les quinzedernières années, force est de constater qu’il reste nettement inférieur à la moyenne de l’Union européenne, à ce qui est observé en France, en Italie, en Espagne, au Japon ou aux Etats-Unis. Par ailleurs, ce ratio reste moins élevé que la limite des 70 % imposée par l’UEMOA à l’ensemble de ses pays membres.
Une analyse sommaire et certainement trop rapide de ces quelques chiffres pourrait nous amener à conclure quel’endettement du continent est sous contrôle. Hélas, c’est loin d’être le cas !
En effet, le coût de la dette africaine a triplé depuis la période 2007-2008. En conséquence, les intérêts de la dette représentent, dans un très grand nombre de pays subsahariens, plus de 25 % de leurs recettes publiques.
Cette charge financière croissante constitue à date, dans certains pays,le premier poste de dépense de l’état et devance les fonctions régaliennes que sont la santé, l’éducation, la justice, la défense nationale et l’investissement dans les infrastructures. Elle limite donc considérablement les marges de manœuvre budgétaires des paysconcernés.
Plus que notre niveau d’endettement, c’est bel et bien la charge d’intérêt qui est susceptible de peser lourdement et de remettre en cause la soutenabilité de notre dette.
Peut-on mettre en avant le lien entre agences de notation et coût de la dette africaine ?
Beaucoup de débats passionnés et passionnants pointent du doigt la responsabilité des agences de notation américaines qui concentrentplus de 90 % du marché de la notation souveraine mondiale (Standards & Poor’s, Moody’s et Fitch). Ainsi, un grand nombre de spécialistes soulignent l’importance et l’urgence de noter les pays africains en monnaie locale et non en dollars, en euros ou en Yen.
Il est certain que la notation en devise étrangère accentue artificiellement le risque perçu et par conséquent renchérit le coût de l’emprunt en tenant compte notamment des éventuelles fluctuations monétaires ainsi que d’un affaiblissement potentiel des réserves de change lié à des chocs exogènes incontrôlables.
Une mobilisation fiscale encore trop faible
Au-delà des critiques externes, aussi justifiées soient elles, les pays africains doivent aussi se concentrer sur les pistes internes de progression. Rappelons à cet effet, qu’avec une moyenne de 15 %, le taux de mobilisation des recettes fiscales en Afrique est le plus faible de la planète. Il demeure très éloigné des performances enregistrées au sein de l’OCDE (plus de 30 %) et de l’union européenne (plus de 40 %).
Il est incontestable, selon moi, que cette immense faiblesse structurelle oblige les états africains à s’endetter vis à vis de l’extérieur, afin de financer leurs politiques publiques, à des conditions très défavorables (taux d’intérêt élevés et maturités courtes).
Le cas français : un exemple de mobilisation fiscale
En dépit d’un déficit budgétaire en constante augmentation depuis quelques années (5,8 % en 2024), d’un stock de dette publique supérieur désormais à 3 400 milliards d’euros et d’une actualité politique rythmée par l’incertitude et l’instabilité, les taux d’intérêts français ne s’embrasent pas pour le moment. Si plusieurs raisons peuvent expliquer cette relative accalmie, les marchés internationaux saluent régulièrement la capacité de la France à lever l’impôt en toutes circonstances grâce, en particulier, à une administration fiscale jouissant d’une excellente réputation en termes de structuration, de digitalisation et d’efficacité.
L’épargne informelle, un potentiel encore inexploité
En Côte d’ivoire, 80 % de l’épargne est informelle. Si nos pays africains arrivaient à mieux drainer cette épargne informelle vers le financement de projets d’intérêt collectif (tels que la construction et la gestion de logements sociaux), leur niveau d’endettement serait vraisemblablement impacté à la baisse et cela ne manquerait pas de générer un regain de confiance des marchés (domestiques et internationaux). Tout ceci pourrait contribuer à une détente de leurstaux d’intérêts et une amélioration de leur notation souveraine.
A ce sujet, les initiatives récentes de mise en place et de développement de caisse de dépôts et de consignation en particulier au Sénégal, en Côte d’ivoire et au Bénin doivent être encouragées et saluées. Leurs rôles en termes de structuration de l’épargne nationale et de financement de l’économie réelle pourraient apporter une solution viable et contribuer à la soutenabilité de la dette africaine.
Conclusion : une souveraineté financière à développer
Selon moi, la mobilisation accrue des ressources internes est une « condition sine qua non » en vue de l’appréciation de la notation souveraine des pays subsahariens. Certaines critiques adressées aux agences de notation américaines me semblent parfaitement fondées. Néanmoins, elles ne doivent pas éloigner les États africains de certains « prérequis » au développement : le renforcement de la structurationdes administrations fiscales locales, la fiscalisation d’un secteur informel qui reste prépondérant, la mobilisation et l’orientation de l’épargne populaire vers le financement de projets d’intérêt commun.
C’est en bâtissant une confiance durable entre les citoyens, les institutions et les marchés que l’Afrique pourra améliorer sa notation, réduire le coût de son endettement et affirmer sa souveraineté économique.
Christian Kazumba
Travaillant depuis seize ans sur le continent africain, Christian Kazumba a évolué successivement au Maroc, au Mali, au Burkina Faso, au Togo, en RD Congo et au Gabon à des postes de Direction opérationnelle ou générale, dans des entreprises du secteur des services.
Il a notamment piloté, pour le compte d’un « Big Four » en RDC, un projet de la Banque Mondiale visant à mettre en place des centres de PME à Kinshasa, Lubumbashi, Goma et Matadi.
Après avoir dirigé la filiale gabonaise d’Entrepreneurial Solutions Partners, un cabinet de conseil et d’investissement ciblant le développement du secteur privé subsaharien, il est aujourd’hui localisé à Abidjan où il exerce les fonctions de Chief of Staff pour ce même cabinet.

