Par Oumar Mamadou Ba
Auteur de l’ouvrage « Les Outils du Contrôle de Gestion au profit de l’Administration Mauritanienne »
Une réflexion devenue réalité
Lorsque j’ai publié mon ouvrage « Les Outils du Contrôle de Gestion au profit de l’Administration Mauritanienne », j’avais une conviction : le secteur public ne peut atteindre la performance sans une culture forte du contrôle de gestion et des outils de pilotage adaptés.
J’y décrivais une administration où, malgré la rigueur budgétaire et la volonté de réforme, l’absence d’un Tableau de Bord Equilibré/Exécutif (TBE) empêchait le Ministère des Finances et les institutions publiques de maîtriser leurs flux financiers et d’évaluer la performance de leurs politiques.
Quelques années plus tard, le Rapport Général 2022-2023 de la Cour des Comptes, publié en juin 2025, confirme tristement ces constats : les lacunes que je dénonçais se traduisent aujourd’hui par des irrégularités budgétaires et une faible visibilité sur la performance publique.
Ce que révèle le rapport de la Cour des Comptes
Le document de plus de 300 pages présente un diagnostic préoccupant du fonctionnement administratif et financier de l’État.
On y observe des failles structurelles qui fragilisent la bonne gouvernance :
- Absence d’un système intégré de tableaux de bord et d’évaluation dans les ministères clés ;
- Dépenses mal imputées ou non justifiées, témoignant d’un déficit de traçabilité ;
- Régies d’avance gérées sans contrôle interne ni rapprochement comptable régulier ;
- Projets exécutés sans indicateurs de performance, limitant toute évaluation d’impact ;
- Et surtout, une utilisation exclusive du tableau budgétaire d’exécution, au détriment des outils analytiques et décisionnels du contrôle de gestion.
Ces constats traduisent une insuffisance de pilotage stratégique.
En l’absence de mécanismes d’alerte et d’évaluation, l’administration publique peine à corriger ses dérives à temps.
Le contrôle de gestion : un levier sous-exploité
Le contrôle de gestion ne se limite pas à vérifier les chiffres.
C’est un instrument de pilotage permettant d’articuler les objectifs stratégiques, les moyens mobilisés et les résultats obtenus.
Dans mon ouvrage, j’ai démontré que l’efficacité du secteur public mauritanien dépend de l’introduction d’une architecture cohérente d’outils de gestion, structurée autour de trois niveaux :
- Le Tableau de Bord Equilibré/Exécutifs (TBE) — pour suivre les grands équilibres budgétaires, la dette et la performance macroéconomique.
- Les Tableaux de Bord de Direction — pour le pilotage opérationnel des ressources humaines, matérielles et financières.
- Les Tableaux de Bord Sectoriels — pour mesurer la performance par programmes, directions et projets.
Cette approche aurait permis d’éviter plusieurs faiblesses révélées par la Cour des Comptes :
manque de visibilité sur les dépenses, absence de suivi des performances, et mauvaise coordination entre directions administratives.
Les défaillances clés mises en lumière
En analysant le rapport, trois points apparaissent comme prioritaires pour repenser la gouvernance financière :
- Une gestion budgétaire sans indicateurs de résultat
Les dépenses publiques sont exécutées, mais rarement évaluées.
L’absence d’un TBE au Ministère des Finances empêche de relier l’exécution budgétaire à la performance réelle des politiques.
- Des contrôles internes fragiles
Les régies d’avance et fonds spéciaux sont souvent gérés sans suivi documentaire fiable.
Cette faiblesse ouvre la porte à des erreurs, voire à des détournements, sans qu’un dispositif d’alerte ne les signale à temps.
- Des entreprises publiques sans pilotage stratégique
La Cour note que plusieurs établissements (SMH, SOMELEC, CNAM…) fonctionnent sans tableaux de bord ni reporting de performance, ce qui fragilise leur gouvernance et leur rentabilité.
Recommandations pour une réforme structurelle
Face à ces constats, la mise en place d’un Système National de Contrôle de Gestion (SNCG) devient urgente.
Ce dispositif reposerait sur quatre axes majeurs :
- Créer des cellules de contrôle de gestion dans chaque ministère
Ces unités auraient pour mission d’élaborer des tableaux de bord, de suivre les indicateurs clés et de produire des rapports trimestriels de performance.
Elles travailleraient en coordination avec la Direction du Budget et la Cour des Comptes.
- Mettre en œuvre un véritable Tableau de Bord Equilibrés (TBE)
Ce TBE permettrait un suivi intégré des engagements, paiements, recettes et projets financés.
Il constituerait un outil de pilotage stratégique national, interconnecté avec les systèmes du Trésor et de la Banque Centrale. Elle fait ressortir notamment les flux non financier qui sont les ressources humaines.
- Renforcer le contrôle interne et la digitalisation
L’adoption de logiciels de gestion intégrée (comme Sage, DELTAT ou Select Système) améliorerait la traçabilité des flux financiers et la fiabilité des rapports.
Chaque direction devrait disposer d’un audit interne permanent.
- Former les cadres publics à la culture de la performance
Un plan national de formation au contrôle de gestion publique doit être lancé.
Sans compétences internes solides, aucun outil ne peut garantir la performance durablement.
Une réforme possible, une volonté nécessaire
Les constats de la Cour des Comptes ne sont pas une fatalité.
Ils représentent une opportunité de transformation pour notre administration.
La réforme de la gestion publique ne pourra aboutir qu’en intégrant le contrôle de gestion comme un pilier de la gouvernance, au même titre que la comptabilité et la planification budgétaire. Il s’agit désormais de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, d’une exécution comptable à une gestion par la performance.
Conclusion : une vision à concrétiser
L’absence de TBE, l’utilisation unique du tableau budgétaire d’exécution et les défaillances de contrôle interne ne sont pas de simples anomalies techniques : ce sont les symptômes d’une gouvernance sans instruments de pilotage.
Mon ouvrage « Les Outils du Contrôle de Gestion au profit de l’Administration Mauritanienne » avait proposé des pistes concrètes pour y remédier.
Aujourd’hui, les conclusions de la Cour des Comptes en confirment la pertinence.
Il est temps de donner au contrôle de gestion la place qu’il mérite : celle d’un levier de performance, de transparence et de modernisation de l’État.

