Par : Dr Mohamed H’Midouche, ancien haut responsable de la BAD – Auteur et CEO, Inter Africa Capital Group.
Contexte
L’Afrique se trouve aujourd’hui à un tournant décisif de son histoire énergétique. Dotée de plus de 13 000 milliards de m³ de réserves prouvées de gaz naturel (environ 7 % du total mondial) et d’un potentiel renouvelable exceptionnel, le continent dispose des atouts nécessaires pour concilier sécurité énergétique, industrialisation et transition bas carbone.
Cependant, derrière les annonces ambitieuses de grands projets gaziers et d’hydrogène vert, la réalité demeure contrastée : de nombreux projets sur le continent restent encore au stade de montage, faute de partenaires techniques et financiers confirmés. Dans un monde marqué par la géopolitique des ressources, la volatilité des marchés et la rareté des capitaux, l’enjeu est désormais de transformer ce potentiel en projets bancables, capables d’attirer des financements durables et inclusifs.
Gaz : LNG et gazoducs, leviers d’intégration
Le gaz reste l’épine dorsale des stratégies énergétiques africaines. Avec l’Algérie, l’Égypte et le Nigeria comme poids lourds du LNG, le continent représente déjà plus de 10 % du commerce mondial. Nigeria LNG, avec son Train 7 (12 Mt/an) en construction, illustre la volonté d’accroître les exportations, même si le financement et la sécurité dans certaines zones de production constituent des défis persistants.
Les gazoducs régionaux constituent des vecteurs d’intégration : le gazoduc Atlantique Nigeria–Maroc (G2A) de 7 000 km, qui doit relier 13 pays de la CEDEAO, symbolise cette ambition de créer un corridor énergétique pour l’Afrique de l’Ouest et au-delà. De même, le projet transsaharien (TSGP) Nigeria–Niger–Algérie pourrait connecter l’Afrique subsaharienne au marché européen. En Afrique australe et de l’Est, des projets comme Rovuma LNG au Mozambique (coût estimé : 20 milliards USD) témoignent du potentiel, mais aussi des risques sécuritaires, comme en Cabo Delgado, qui ralentissent leur exécution.
Hydrogène vert : ambitions en construction
L’hydrogène vert s’impose progressivement comme le carburant du futur. Plusieurs pays africains ont lancé des feuilles de route : le Maroc, avec des projets pilotes d’ammoniac vert portés par l’OCP et des consortiums internationaux ; l’Égypte, qui vise jusqu’à 8 GW d’électrolyse dans la zone économique du Canal de Suez ; la Namibie, avec le projet Hyphen (9,4 milliards USD) visant à exporter 300 000 tonnes d’hydrogène vert par an d’ici 2030 ; et l’Afrique du Sud, avec la Hydrogen Valley et le hub de Boegoebaai. Toutefois, la majorité de ces initiatives demeurent encore à l’état de préparation et de recherche de financements. La concrétisation dépendra de la capacité à créer des projets bancables, combinant stabilité réglementaire, infrastructures et sécurité des revenus.
Défis transversaux : financement, sécurité et intégration
a) Financement : l’Afrique doit attirer des capitaux dans un contexte où la compétition mondiale est féroce. Les projets hydrogène exigent des investissements initiaux massifs (entre 1 000 et 1 500 USD/kW installé), ce qui impose de recourir au blended finance, associant capitaux publics, garanties multilatérales et investisseurs privés.
b) Sécurité : de l’Est (Mozambique) à l’Ouest (Delta du Niger), en passant par certaines zones sahéliennes, la sécurisation des infrastructures reste un préalable incontournable.
c) Intégration régionale : les marchés énergétiques africains (WAPP, EAPP, SAPP, CAPP) et la ZLECAf offrent un cadre pour harmoniser les règles et favoriser la bancabilité des projets.
d) Durabilité : les investisseurs internationaux exigent de plus en plus de standards ESG, conditionnant leur participation à des garanties de gouvernance, de transparence et de retombées locales.
Cartographie illustrative des projets
i. En exploitation : Idku & Damietta LNG (Égypte), Coral Sul FLNG (Mozambique), NLNG (Nigeria).
ii. En développement : Train 7 NLNG (Nigeria), Rovuma LNG (Mozambique), GTA (Sénégal–Mauritanie), Hyphen (Namibie), projets H₂ Maroc et Égypte.
iii. En montage / pré-financement : gazoduc Atlantique (Nigeria–Maroc), TSGP (Nigeria–Niger–Algérie), Hydrogen Valley (Afrique du Sud), projets H₂ dans plusieurs pays africains.
Cette diversité illustre une réalité : l’Afrique avance, mais à des vitesses différentes selon les régions, la maturité des projets et la disponibilité des financements.
Perspectives stratégiques
L’Afrique dispose d’un potentiel énergétique unique qui pourrait la positionner comme un hub hybride gaz–hydrogène de portée mondiale. Mais la véritable bataille ne se joue pas dans les annonces de projets, aussi ambitieuses soient-elles. Elle réside dans la capacité à transformer ce potentiel en projets bancables et sécurisés, capables d’attirer les financements nécessaires dans un monde en mutation rapide.
Pour y parvenir, il sera essentiel de :
- développer des clusters intégrés combinant gaz, renouvelables, hydrogène et industrie locale (engrais, acier, chimie) ;
- structurer des financements mixtes avec garanties de revenus et contrats d’achat solides ;
- renforcer les cadres réglementaires et sociaux pour maximiser les retombées locales ;
- aligner les projets sur la ZLECAf et les interconnexions électriques régionales ;
- assurer une gouvernance transparente et un suivi rigoureux des normes ESG.
En évitant un modèle extractif exclusivement tourné vers l’export et en faisant du gaz et de l’hydrogène les catalyseurs d’une transformation industrielle et inclusive, l’Afrique pourra bâtir une souveraineté énergétique durable, attractive et alignée sur les aspirations de l’Agenda 2063.