Par Dr Mohamed H’Midouche, Banquier, économiste,auteur de “GEN+ Leadership: FromPHD to PHU”.
Dans mon ouvrage GEN+ Leadership: From PHD to PHU, j’explique que le développement durable d’une nation dépend autant de la qualité de ses institutions que de la mentalité de ses acteurs. Deux attitudes s’opposent : le PHD – Pull Him/Her Down, cette propension à freiner, envier, voire saboter la réussite des autres ; et le PHU – Pull Him/Her Up, cette disposition à encourager, soutenir et hisser autrui vers le succès.
Le sport illustre parfaitement cette opposition. Un entraîneur qui fait confiance à un jeune joueur, un capitaine qui motive son équipe, un athlète qui partage son expérience avec les plus jeunes — voilà l’essence du PHU. Le sport, par sa nature collaborative, rend visibles les dynamiques d’entraide et de dépassement collectif qui manquent parfois dans nos environnements professionnels ou politiques.
Les champions africains, mentors d’une génération
L’histoire sportive africaine regorge de figures inspirantes. Ahmed Faras, disparu en juillet 2025, reste une légende : capitaine du Maroc lors de la CAN 1976 et Ballon d’Or africain en 1975, il incarna la fidélité, la simplicité et le dévouement. J’ai eu le privilège de le connaître à Mohammedia — un homme humble, respecté, dont la grandeur résidait dans le silence et l’exemple.
Saïd Aouita et Nawal El Moutawakel furent les pionniers de la gloire olympique marocaine: l’un, champion du monde et médaillé d’or du 5 000 mètres à Los Angeles en 1984 ; l’autre, première femme musulmane et africaine à décrocher l’or olympique au 400 m haies. Devenus mentors et ambassadeurs, ils incarnent cette transmission que le PHU valorise.
Sur d’autres terrains, Mohamed Salah, Sadio Mané, Riyad Mahrez, Victor Osimhen, Achraf Hakimi ou encore EliudKipchoge et Haile Gebrselassie ont montré que la performance pouvait devenir un acte de foi et de solidarité. George Weah, Ballon d’Or 1995 et ancien président du Libéria, symbolise à lui seul la transformation du mérite individuel en leadership politique.
Le Mercato et l’économie du talent
Le sport n’est plus seulement un spectacle : il est devenu une économie du mérite. Selon le FIFA Global Transfer Report 2024*, publié le 30 janvier 2025, 78 742 transferts internationaux ont été enregistrés pour 8,59 milliards USD de dépenses dans le football masculin professionnel, tandis que le football féminin a connu 2 284 transferts (+20,8 %) pour 15,6 millions USD, soit plus du double du total 2023.
Ces chiffres confirment que le talent est un capital économique. Ils traduisent la valeur croissante du capital humain dans un monde où la performance, la rigueur et la solidarité deviennent des leviers de prospérité. Le marché des transferts illustre la logique du GEN+ Leadership : dépasser le modèle PHD (Pull Him/Her Down), qui freine la réussite, pour adopter celui du PHU (Pull Him/Her Up), fondé sur la coopération et la reconnaissance du mérite. Chaque joueur africain formé sur le continent et transféré à l’international incarne cette dynamique vertueuse : le succès individuel devient fierté collective. Le Mercato rappelle une vérité universelle : les sociétés progressent quand elles valorisent l’effort, partagent le mérite et cultivent la réussite des autres.
Le sport comme soft power et instrument de développement
Au-delà des stades, le sport est un outil diplomatique et un levier d’image. L’organisation au Maroc de la Coupe d’Afrique des Nations 2025 (décembre 2025 – janvier 2026) constituera une vitrine du savoir-faire africain et de sa capacité à relever des défis d’envergure. Le nouveau stade Moulay Abdallah de Rabat, récemment inauguré, en est une illustration : une infrastructure moderne, fonctionnelle et durable, symbole d’un Maroc tourné vers l’excellence. Ce projet préfigure également le futur Grand Stade de Casablanca, en construction à Benslimane, dans la perspective de la Coupe du Monde 2030.
En parallèle, le pays modernise ses autres stades, améliore ses infrastructures routières, construit de nouveaux ponts pour fluidifier la circulation et prolonge la ligne à grande vitesse (LGV) de Tanger à Casablanca jusqu’à Marrakech, puis Agadir. Ces projets traduisent une vision globale : faire du sport un catalyseur de développement territorial, de cohésion sociale et de fierté africaine, tout en répondant aux aspirations légitimes d’une jeunesse en quête d’opportunités.
Ces investissements traduisent une vision d’ensemble : faire du sport un catalyseur de développement territorial, de fierté nationale et de cohésion sociale, tout en restant attentif aux aspirations d’une jeunesse en quête d’inclusion, de mobilité et d’avenir.
Vers un modèle africain du leadership sportif
L’Afrique dispose aujourd’hui des ressources humaines, institutionnelles et culturelles nécessaires pour bâtir un modèle endogène du leadership sportif.
Au-delà des performances individuelles, il s’agit désormais de structurer un écosystème durable, fondé sur la formation, la gouvernance, la coopération et la valorisation du capital humain.
Les académies sportives africaines — telles que la Mohammed VI Football Academy au Maroc, Génération Foot au Sénégal, Right to Dream au Ghana, Kadji Sports Academy au Cameroun ou encore l’ASEC Mimosas en Côte d’Ivoire — démontrent que le continent peut produire des champions à la fois performants et conscients de leur responsabilité sociale.
Ces institutions incarnent la philosophie du PHU (Pull Him/Her Up) : former, transmettre et élever les jeunes talents, dans un esprit d’entraide et d’excellence.
Mais pour transformer le potentiel sportif africain en levier de développement, il faut aller plus loin :
– Professionnaliser la gouvernance du sport, en y intégrant la transparence, la redevabilité et une gestion orientée résultats ;
– Créer des fonds africains pour le sport, afin de financer la formation, la recherche et les infrastructures locales ;
– Renforcer la coopération régionale pour harmoniser les cadres juridiques, mutualiser les expertises et accroître la compétitivité des ligues africaines ;
– Promouvoir la diplomatie sportive comme outil de paix, de cohésion et d’intégration continentale, en phase avec l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
A cet égard, la diplomatie sportive est devenue un levier de coopération et d’influence africaine.
Elle permet aux nations du continent de dialoguer, de coopérer et de renforcer leur image sur la scène internationale à travers des valeurs partagées : respect, discipline, inclusion et solidarité.
Les grandes compétitions, telles que la CAN 2025 ou la Coupe du Monde 2030, offrent des espaces de convergence politique et culturelle où l’Afrique affirme son leadership et sa capacité d’organisation.
Dans cette perspective, le Maroc, le Sénégal, la Côte d’Ivoire, l’Égypte, l’Algérie, le Nigeria, le Kenya, le Rwanda, l’Ouganda, la Zambie, l’Éthiopie ou encore l’Afrique du Sud jouent un rôle pionnier en accueillant des événements continentaux majeurs et en développant une stratégie d’influence fondée sur le sport.
Cette approche consolide l’intégration régionale en rapprochant les peuples par l’émotion collective et par la réalisation de projets communs.
Ainsi, la diplomatie sportive africaine s’impose comme un vecteur de soft power, traduisant dans les faits le principe du PHU (Pull Him/Her Up) : faire du succès individuel une victoire partagée, au service de la paix, de la coopération et du rayonnement du continent.
Le sport, bien gouverné, devient donc un laboratoire du leadership africain : un espace où les valeurs du GEN+ Leadership — collaboration, humilité, discipline et solidarité — se traduisent en résultats tangibles.
C’est dans cette approche que le continent peut forger un modèle qui ne se contente pas d’imiter, mais inspire et innove, en plaçant l’humain, la jeunesse et le civisme au cœur du progrès.
Conclusion – Du rêve au destin collectif
Les exemples d’Ahmed Faras, Aouita, El Moutawakel, Mané, Salah, Weah ou Dembélé ne sont pas que des souvenirs de gloire : ils sont des leçons de leadership. Leur parcours démontre que le sport peut forger des leaders capables d’unir, d’inspirer et de servir.
Ces athlètes servent d’exemples aux futurs champions africains et peuvent émuler la jeunesse du continent, l’encourageant à voir dans le sport non pas un simple divertissement, mais une carrière professionnelle d’excellence. Leur succès individuel est aussi un capital collectif, car chaque médaille, chaque transfert, chaque trophée élève le prestige du continent tout entier.
L’Afrique doit désormais reconnaître que ses champions ne sont pas seulement des athlètes: ce sont des ambassadeurs du leadership, des modèles de rigueur, de courage et de générosité. Comme dans le sport, le véritable leadership se mesure à la capacité de tirer les autres vers le haut — le cœur même du PHU.
* Source : FIFA (2025), « Un pic sans précédent pour les transferts internationaux », Inside FIFA, 30 janvier 2025. Disponible sur : https://inside.fifa.com/fr/legal/news/un-pic-sans-precedent-pour-les-transferts-internationaux