Par Cheikh Traoré Tourad.
Moody’s a abaissé la note du Sénégal de B3 à Caa1 et a placé la perspective en « négative ».La notation caa1 fait partie de la catégorie de risque « substantiel ». Cette catégorie de notation ‘Caa’ est considérée comme spéculative et présentant un risque de crédit élevé.
En réponse , le gouvernement du Sénégal a critiqué l’agence de notation en soulignant la « robustesse des fondamentaux » du paysmarquée par la diversification des sources de financements, « une exécution budgétaire » maintenant le cap pour atteindre l’objectif de déficit de 7,8% du PIB en 2025 ».
Cependant, la position du Sénégal a soulevé des enjeux importants de la notation financière en invitant « Moody’s à davantage de rigueur, d’objectivité et de responsabilité dans ses analyses ».
La dépendance aux agences de notation américaines (Big Three)
Dans l’architecture financière internationale, les agences de notation américaines occupent une place prépondérante. Le niveau de préparation à recevoir des financements (investment grade) des États est tributaire des analyses de ces agences. Plus un État a besoin de ressources extérieures pour implémenter son programme de développement, plus il devient vulnérable par rapport aux analyses portées sur lui par les agences de notation (Big Three).
Pourtant, ces agences de notation ne sont pas exemptes de critiques.
En mars 2011, Moody’s a annoncé avoir abaissé la note du Portugal juste avant une levée de bons du Trésor par ce pays. En réponse à cette notation du Portugal, le commissaire européen chargé des marchés financiers, Michel Barnier, avait proposé l’interdiction à ces agences de noter un pays faisant l’objet d’un plan d’aide international. Il avait aussi émis l’idée de la responsabilité civile des agences de notation en cas d’enfreinte des règles défavorables auxmarchés.
L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF) et l’organisme fédéral américain de réglementation des marchés financiers ont eu à infliger des amendes à ces agences. La première citée a, ainsi en 2021, sanctionné S&P pour une diffusion prématurée de notations de crédit tandis que la SEC américaine les avait sanctionnées en septembre 2024 pour non-conformité dans la conservation des communications électroniques.
Quand la notation étrangère pénalise les efforts le développement africain
Ces exemples montrent que les notations ne sont pas neutres. Elles peuvent être influencées par des intérêts autres que celui d’informer les marchés.
En juin 2025, Fitch Ratings a dégradé la note d’Afreximbank, une institution financière multilatérale africaine, en s’appuyant sur une analyse jugée contestable. L’agence a fondé sa décision sur des prêts considérés comme « non productifs » accordés au Ghana, au Soudan du Sud et à la Zambie. Pourtant, cette logique, davantage commerciale que souveraine, a été remise en question par le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs (MAEP) de l’Union Africaine. Celui-ci a souligné que deux de ces trois pays sont membres fondateurs d’Afreximbank, et donc signataires de son acte constitutif, ce qui rendait incohérente l’analyse de Fitch.
Ce type de notation, fondée sur des critères qui ne tiennent pas toujours compte des spécificités institutionnelles africaines, illustre les limites des méthodologies appliquées par les agences internationales.
Quelques mois plus tard, en octobre 2025, à quelques jours des Assemblées annuelles de la Banque Mondiale et du FMI, c’est la note du Sénégal qui est annoncée, dans un timing qui interroge. Cette succession de notations défavorables, ciblant des États ou institutions africaines à des moments stratégiques, soulève des questions sur la neutralité et la pertinence des agences de notation occidentales dans le contexte africain.
La nécessité d’une réponse continentale coordonnée
Les réponses unilatérales des États africains aux notations jugées injustes ne sont pas suffisantes. Il est impératif de rallier l’Union Africaine, via le MAEP, pour porter une réponse politique et technique coordonnée. L’Union Européenne a soutenu le Portugal et l’Espagne dans des contextes similaires. L’Afrique, en raison de sa trajectoire historique, mérite une solidarité encore plus forte.
Les économies politiques de la majorité des États africains n’ont pas encore permis un véritable décollage. Les cadres macroéconomiques en vigueur prolongent souvent des logiques héritées de la colonisation, avec des structures productives tournées vers l’extérieur et peu articulées aux besoins internes. Cette dépendance historique à des modèles exogènes freine la construction de trajectoires de développement endogènes.
Dans ce contexte, lorsqu’un gouvernement issu d’une alternance démocratique tente de rompre avec ce modèle en définissant un programme de développement plus souverain et plus inclusif, il peut s’exposer à des pénalisations par les agences de notation. Ces dernières, en s’appuyant sur des critères souvent inadaptés aux réalités africaines, peuvent compromettre l’accès aux financements, alourdir le coût du capital et fragiliser la mise en œuvre de politiques publiques ambitieuses au moment ou un nouveau régime politique en a le plus besoin.
Ainsi, la notation financière devient un instrument de régulation externe qui catalyse les perceptions de risque et freine les efforts de transformation structurelle. Dans une telle dynamique, les chances pour les États africains de sortir du piège du sous-développement restent minimes.
C’est pourquoi il est impératif de décoloniser la notation financière, en accélérant l’opérationnalisation de l’Agence Africaine de Notation de Crédit (AfCRA).