Le rapport général 2022-2023 de la Cour des comptes a été remis au chef de l’Etat mauritanien, Le 8 octobre 2025, par le Président de la Cour des comptes, M. Hemid Ould Ahmed Taleb. Le document dont Financial Afrik a copie dresse un tableau saisissant de la gestion publique mauritanienne : marchés de complaisance, recrutements illégaux, fonds détournés, programmes mal exécutés et institutions déficientes. Des révélations qui jettent une lumière crue sur la gouvernance économique et administrative du pays.
Hydrocarbures et mines : contrats opaques et risques environnementaux
Au ministère du Pétrole, des Mines et de l’Énergie, la Cour pointe des irrégularités dans la conclusion et le suivi des contrats d’exploration et d’exploitation pétrolière, l’absence de contrôle sur les obligations financières des opérateurs et un compte spécial pour la formation du personnel jamais activé. Dans le secteur minier, le rapport évoque la négligence des risques environnementaux, des permis attribués sans évaluation d’impact, des redevances non versées et un non-respect du plan de “mauritanisation” des emplois à Tasiast Mauritanie Ltd. Des « contrats de complaisance » et des carrières exploitées sans autorisation complètent ce tableau préoccupant.
Santé : factures gonflées et marchés douteux
Le ministère de la Santé n’est pas épargné. Le rapport décrit des dépenses non conformes, des achats d’équipements médicaux sans appel d’offres, et des retards de livraison. La Cour relève aussi un mauvais suivi du programme prioritaire PROPEP, des retards de remboursement aux unités sanitaires, et une mauvaise gestion des médicaments fournis par le laboratoire ROCHE : absence de chaîne du froid, de rapports, et de traçabilité.
La gestion des stations de production d’oxygène s’avère tout aussi problématique : pannes répétées, matériel inadapté au climat, et coûts non justifiés.
Formation et emploi : recrutements illégaux et comptes occultes
Au ministère de l’Emploi et de la Formation professionnelle, les auditeurs dénoncent l’absence de contrôle interne, des recrutements irréguliers, et des dépenses non conformes liées à la CAN U-20 de 2021. Un compte bancaire irrégulier a même été ouvert en marge du Trésor public.
Des prêts accordés en violation des règles dans le cadre du programme PROCAPEC et des irrégularités dans l’utilisation de régies d’avance achèvent de dépeindre un ministère en roue libre.
Grands travaux : surfacturations et pénalités ignorées
Le projet routier Néma–Bassiknou–Fassala, financé sur fonds publics et extérieurs, illustre la dérive des grands chantiers. La Cour parle de retards injustifiés, de paiements pour des travaux non exécutés, de non-application de pénalités de retard, et d’une absence de garanties décennales. Les ingénieurs de contrôle et les directions concernées sont épinglés pour manque de suivi et d’expertise technique.
onds Covid-19 : ressources détournées et stocks fantômes
Créé pour la solidarité nationale, le Fonds spécial Covid-19 a vu ses ressources utilisées pour des activités non prévues, sans suivi ni supervision. La Cour constate des stocks mal gérés, une double comptabilisation d’opérations, et même des enregistrements comptables sans contrepartie. Des marchés publics mal encadrés, notamment pour les stations d’oxygène, révèlent une série d’irrégularités contractuelles.
Sociétés publiques : dettes, fraudes et mauvaise gouvernance
Les entreprises étatiques offrent un florilège d’anomalies.
- À la Somelec, les auditeurs dénoncent un système d’information obsolète, des factures estimatives, des clients jamais facturés depuis leur abonnement, et un endettement alarmant.
- Chez Mauritania Airlines, la Cour relève des dettes fiscales impayées, des prestataires sans appel d’offres, et des retards de vols répétés liés à une flotte mal entretenue.
- Les abattoirs de Nouakchott fonctionnent sans contrôle vétérinaire ni manuel de procédures, et la Société mauritanienne des hydrocarbures accorde des prestations gratuites à des entreprises privées, sans base contractuelle ni enregistrement légal.
Le mot de la Cour : transparence ou sanction
Le président de la Cour des comptes, Hemid Ahmed Taleb, conclut le rapport par un appel à la rigueur : « Notre mission n’est pas seulement de constater les dérives, mais de restaurer la confiance dans la gestion publique ». La Cour recommande la mise en œuvre de sanctions disciplinaires et pénales, la digitalisation des contrôles, et la certification intégrale des comptes de l’État à l’horizon 2026.