Par Dr Beaugrain Doumongue, Ingénieur et Expert en Intelligence Économique. Fondateur de STRATCO.
Le mercredi 8 octobre 2025 restera gravé dans la mémoire institutionnelle du Togo. Ce soir-là, au Journal de 20 heures, le pays a franchi un seuil conceptuel et politique marqué par la création d’un Ministère de l’Économie doté d’un mandat explicite de veille stratégique. Pour la première fois, l’économie nationale s’arrime à la pensée anticipatrice, érigée non plus en luxe intellectuel, mais en instrument de pilotage d’État. Au-delà de la planification, c’est désormais la prévoyance organisée, l’intelligence décisionnelle, la vigilance stratégique qui érigées en fonction régalienne, gouverneront désormais.
Cette décision fondatrice, audacieuse dans sa formulation et révolutionnaire dans sa portée, marque l’entrée du Togo dans le siècle de la complexité, où les nations ne se contentent plus d’administrer le présent, mais doivent prévoir, prévenir et identifier les dynamiques qui, demain, conditionneront leur souveraineté.
Le signal d’une rupture intellectuelle
Instituer un ministère de la Veille stratégique, c’est reconnaître que le savoir devient puissance, que l’information devient matière première et que la maîtrise du temps devient un enjeu de gouvernance. Dans un monde fracturé par la volatilité des marchés, les ruptures technologiques et les instabilités géopolitiques, la réussite ne récompense plus le plus fort, mais le plus lucide.
Ce ministère symbolise un passage de témoin entre deux paradigmes, celui de la gestion et celui de la projection. Le Togo se donne ainsi les moyens de regarder loin pour gouverner juste. il s’agit-là d’une mutation doctrinale car l’économie cesse d’être un exercice comptable pour devenir, il en était temps, un art d’anticiper, de capter les signaux faibles, d’évaluer les risques et d’identifier les leviers invisibles de la puissance nationale.
Dans un contexte mondial où la donnée, la technologie et la prospective redéfinissent les rapports de force, le Togo fait le choix rare d’un État qui s’arme intellectuellement. La veille stratégique, si elle est correctement pensée, peut devenir l’épine dorsale d’une nouvelle gouvernance publique. Elle englobera la veille économique, destinée à détecter les tendances sectorielles et à orienter l’investissement public ; la veille technologique, apte à capter les mutations de l’intelligence artificielle, de l’énergie et du numérique ; la veille géopolitique, capable d’anticiper les mouvements régionaux pour protéger les intérêts nationaux ; et enfin la veille environnementale, tournée vers la prévention des chocs climatiques et la construction de la résilience territoriale.
L’économie, ainsi adossée à la veille, devient un système nerveux complet, c’est à dire fait de perception, d’analyse, de décision et d’action. C’est une approche systémique, où l’État se dote d’yeux pour voir, d’oreilles pour entendre et d’une conscience pour comprendre.
Un choix politique courageux
Créer un tel ministère, c’est aussi admettre une vérité dérangeante, à savoir que le pilotage à vue ne suffit plus. Les crises successives, qu’elles soient sanitaires, énergétiques, sécuritaires, climatiques, ont rappelé aux nations que la réactivité ne remplace pas la stratégie. Gouverner sans veille, c’est naviguer sans radar. En confiant à l’économie cette mission d’anticipation, le Togo choisit la rigueur sur l’improvisation, la méthode sur l’instinct, la pensée sur la panique. C’est un acte de souveraineté intellectuelle haut en couleurs.
Mais c’est aussi un pari exigeant, car il ne suffira pas d’ériger un ministère. L’enjeu véritable consiste à institutionnaliser une culture, recruter des vigies, bâtir une armée silencieuse d’analystes et surtout placer la lucidité au-dessus de la routine administrative. Ce ministère ne devra pas être une simple façade bureaucratique, mais un cerveau collectif, à la fois discret et décisif, capable d’éclairer les politiques publiques, d’alerter le gouvernement et d’alimenter la planification nationale.
Bien conduit, ce ministère peut devenir le catalyseur du développement structurel du Togo. Il permettra de cibler les secteurs porteurs avant qu’ils n’émergent, de prévenir les crises économiques avant qu’elles ne se matérialisent, de réorienter les ressources publiques selon des priorités objectivées, de protéger les entreprises stratégiques des vulnérabilités concurrentielles, et d’inscrire le Togo dans la cartographie mondiale des États intelligents non pas par la taille, mais par la clairvoyance.
Si la veille stratégique parvient à s’articuler harmonieusement avec les universités, les centres de recherche, les think tanks, le secteur privé et les collectivités territoriales, elle pourra générer une nouvelle économie de la connaissance, où la donnée deviendrait un véritable levier, et la prévision, une valeur ajoutée pure. Ainsi, le développement national ne se construira plus seulement sur la dépense ou sur la volonté politique, mais sur la capacité à comprendre, à anticiper et à transformer l’information en décision.
Gouverner, c’est prévoir
Les plus grands bâtisseurs d’État savaient que le secret de la puissance réside dans l’anticipation. Le Togo, en créant ce ministère, s’offre la possibilité d’échapper à la fatalité du court terme. Il s’autorise à penser plus grand, plus loin, plus haut. Il s’offre, peut-être, l’outil le plus rare en Afrique francophone : une infrastructure cognitive de l’État.
Mais la veille n’aura de sens que si elle se traduit en action, que si les alertes deviennent politiques publiques, que si les signaux faibles, enfin entendus, deviennent leviers de décisions fortes. Alors, le pari togolais prendra tout son sens. Et ce ministère, loin d’être un symbole, deviendra un centre névralgique de l’intelligence nationale, le cœur battant d’une économie qui pense avant d’agir.
Le Togo a choisi d’entrer dans le XXIᵉ siècle par la grande porte de la lucidité. Le pays de l’anticipation vient de naître.Reste maintenant à lui donner un souffle, une méthode et une âme.