À la veille de l’élection présidentielle d’octobre, et ce quelles que soient les orientations politiques des différents candidats en lice, il est un sujet qui fait consensus : le Cameroun doit urgemment relever le défi qui lui permettra de bâtir un appareil productif et compétitif afin d’accélérer sa transformation économique et d’améliorer le bien-être de ses populations.
À l’heure actuelle, leurs perspectives d’emploi dans l’économie formelle sont telles que d’après les données récentes d’Afrobarometer (2024), six Camerounais sur dix aspirent à créer leur propre entreprise. Cet élan entrepreneurial est un atout, mais il ne saurait constituer à lui seul un levier de transformation durable.
Faute d’infrastructures fiables, de financements adaptés, d’accès aux marchés et d’un tissu industriel solide, l’initiative privée se heurte invariablement à des limites. L’entrepreneuriat demeure ainsi trop souvent un instrument de survie et de résilience plutôt qu’une voie vers la prospérité partagée.
Il ne s’agit pas seulement de multiplier des initiatives entrepreneuriales isolées, mais de transformer nos richesses potentielles pour faire émerger des champions nationaux capables de rivaliser sur les marchés africains et mondiaux. En un mot, passer d’une économie fragile à une économie productive et prospère.
C’est tout le sens du Livre Vert, fruit d’un travail collectif issu du premier « Okwelians Summit » tenu à Yaoundé en mars dernier. Ce Livre Vert repose sur une conviction simple : la prochaine décennie doit être celle de l’industrialisation durable. Pour réaliser ce saut qualitatif, décideurs publics et privés se sont accordés sur des orientations majeures.
Ainsi, pour réussir sa transformation économique, le Cameroun doit placer la durabilité au cœur du modèle : engager un effort massif et continu en recherche-développement, accélérer la mobilisation de nos savoirs endogènes et se doter d’une feuille de route écologique crédible (gouvernance durable, économie circulaire, finance verte, etc.). Cette boussole de « durabilité » doit guider l’investissement public comme privé et orienter les incitations sectorielles.
L’innovation doit s’ancrer dans les territoires grâce aux clusters industriels régionaux, à l’implication des collectivités et des chefs traditionnels, et à une gouvernance locale moteur d’inclusion et de justice sociale.
De plus, un État stratège et facilitateur s’impose. À l’intérieur du pays, il s’agit de fixer un cap clair, développer les infrastructures (routières, maritimes, ferroviaires et aériennes, énergétiques, etc.), attirer l’investissement et protéger la production locale lorsque nécessaire ; tout en garantissant le dialogue, la transparence et la reddition de comptes (open data budgétaire, suivi des projets, etc.).
À l’extérieur du pays, une diplomatie économique alignée sur l’industrialisation devra ouvrir des débouchés et intégrer les entreprises camerounaises dans les chaînes de valeur régionales et mondiales. Cette ambition s’appuiera sur un patriotisme économique assumé : faire du « Made in Cameroon » un vecteur de fierté, de qualité et de compétitivité, et non un simple slogan.
La transformation économique repose aussi sur la compétitivité des PME. Cela suppose de leur donner, via l’accélération numérique, les outils pour acheter, produire, vendre et se financer en ligne (connectivité, cloud local, paiements, cybersécurité).
Elle suppose également de structurer les filières agro-industrielles et minières afin de transformer localement nos richesses au lieu d’exporter des matières premières brutes. Standards, logistique, certification et financement patient doivent cimenter cette compétitivité.
Enfin, il est essentiel d’investir massivement dans le capital humain : réforme de l’enseignement technique et professionnel, passerelles formation-emploi (apprentissage, stages, incubateurs) et revalorisation du statut des enseignants. Ainsi, par son génie et son travail, la jeunesse deviendra un acteur et non plus un simple spectateur de cette ambition transformationnelle.
Ces orientations ne sont pas partisanes, elles reflètent un consensus entre acteurs publics et privés. Elles répondent à une urgence : celle d’un Cameroun qui, dix ans avant l’achèvement de la Vision 2035 voulue par le gouvernement, doit embrasser sans détour sa voie.
Dépasser les logiques de survie économique, dépendante des importations et des aléas extérieurs, pour devenir une économie souveraine, compétitive et durable. 2035 n’est pas un horizon lointain, c’est déjà demain. Et demain ne se construira pas seul : il dépend de notre capacité, collectivement, à transformer nos ambitions en un modèle économique gagnant.
Les signataires*
Jacques Jonathan Nyemb, Président de The Okwelians (photo ); Professeur Jonathan Bikanda, Enseignant-chercheur ; Dr Faty-Myriam Mandou Ayiwouo, Linguiste/cognitiviste et Ingénieure en management de projets éducatifs ; Professeur Youssouf NvuhNjoya, Enseignant-chercheur à l’Université de Yaoundé II ; Dr Denis Foretia, Executive Chairman du Nkafu Policy Institute ; Joël Sikam, Président du Patronat des Jeunes Entrepreneurs du Cameroun (PAJEC) ; Bertrand Solanga, Président de l’Association des Petites Entreprises du Cameroun (APEC) ; Yanis Arnopoulos, Président de l’Eurocham Cameroon ; Professeur Hamadou Sanoussi, Enseignant-chercheur à l’IAE Lyon School of Management, Université Jean Moulin ; Stéphane Tiki, Directeur du Développement & Porte-parole du Groupement du Patronat Francophone; Jean-Paul Betchem, Secrétaire permanent du REMCESS ; Alfred Kamokwe, Président d’AIVARA ; Majesté Mvondo Bruno, Chef traditionnel, Président du Réseau des Chefs Traditionnels d’Afrique (ReCTrad), Chef du village d’Akak (Sud, Cameroun) ; Lobna Jeribi, Ancienne Ministre et Présidente du Think Tank SOLIDAR ; et André Siaka, ancien Président du GICAM.