Par Djeinaba Kane, spécialiste en politique publique et relations internationales
Alors que de nombreux pays renforcent leur engagement auprès de leurs diasporas à travers le monde, la Mauritanie se trouve à un moment décisif pour approfondir la collaboration avec ses citoyens établis à l’étranger. Sur directives récentes du Président Ghazwani, visant à consolider les liens avec les communautés mauritaniennes outre-mer et à renforcer leur rôle en tant que partenaires du développement national, le Ministère des Affaires étrangères a annoncé l’organisation d’un forum des Mauritaniens à l’étranger, prévu à Nouakchott en novembre 2025.
Ce forum constitue une opportunité unique de faire entendre la voix des Mauritaniens établis à l’étranger, de mettre en lumière les initiatives de la diaspora et d’encourager tous les fils et filles de la Mauritanie à contribuer activement au développement du pays.
Cette initiative n’est pas entièrement nouvelle. Des efforts antérieurs, notamment sous l’ancienne présidence, avaient abouti à des politiques telles que l’autorisation de la double nationalité et des mesures facilitant la circulation des communautés mauritaniennes à l’étranger. Cependant, les évolutions géopolitiques, les priorités nationales changeantes et le contexte socio-économique en mutation imposent une approche renouvelée : la diaspora doit désormais être reconnue comme un moteur clé du développement et de la cohésion sociale.
Avec les récentes nominations de Mauritaniens à des postes strategiques de haut niveau dans le développement international, les expatriés professionnels apportant leur expertise et leurs réseaux divers, et les migrants vivant quotidiennement à travers les Amériques, l’Europe et l’Asie, la coordination des efforts de ces différents groupes de diaspora au sein d’un programme unifié pourrait considérablement renforcer les initiatives gouvernementales. Une telle coordination permettrait non seulement d’amplifier les contributions au développement national, mais aussi d’aligner ces efforts sur les Objectifs de Développement Durable des Nations Unies et l’Agenda 2063 de l’Union africaine.
La diaspora mauritanienne a déjà apporté des contributions significatives au développement de ses régions d’origine, animée par un sens du devoir social et une volonté de redonner. Un exemple notable est ACTUME (Association contre la Tuberculose et les Maladies Endémiques), une organisation à but non lucratif basée en France, dirigée par des membres de la diaspora. Grâce à leurs efforts, une pharmacie communautaire, un jardin de plantes médicinales et le Centre de santé de Tékane ont été créés, renforçant l’infrastructure sanitaire locale. Des initiatives similaires existent également dans les régions d’Adrar, Guidimakha et ailleurs, illustrant l’impact concret de la diaspora.
Imaginez le potentiel de cet engagement s’il était soutenu et coordonné avec les autorités nationales. Les gouvernements jouent certes un rôle clé, mais il est aussi du devoir des citoyens, au pays comme à l’étranger, de remplir leur responsabilité patriotique en contribuant partout où ils le peuvent, afin d’accroître leur impact sur le développement national.
Le 13 septembre, le Sénégal voisin a annoncé le lancement d’obligations pour la diaspora, un nouvel instrument d’épargne publique avec une dimension à impact social, surnommé « Obligations Sociales et Patriotiques ». Ces obligations offrent des rendements attractifs allant de 6,40 % sur trois ans à 6,95 % sur dix ans.
Le Sénégal rejoint ainsi le Nigeria, le Kenya et le Bangladesh ainsi que d’autres pays du monde, qui ont su mobiliser les ressources et l’expertise de leurs diasporas pour soutenir des projets de développement dans l’agriculture, les infrastructures, la technologie et l’immobilier entre-autres. En 2011, la Banque centrale du Kenya avait lancé une obligation infrastructurelle de 12 ans d’une valeur de 20 milliards KES (environ 200 millions USD), offrant un rendement de 12 % aux investisseurs, avec une allocation spéciale pour la diaspora. Les transferts de fonds peuvent aussi constituer un instrument de financement du développement pour la diaspora. Le Bangladesh, pour sa part, a mis en place des initiatives ciblées telles qu’une prime de 2,5 % sur les transferts de fonds via les canaux officiels, le développement de l’infrastructure bancaire numérique et le lancement d’obligations et de produits financiers pour les migrants, renforçant ainsi la stabilité macroéconomique et l’accès aux services financiers.
Ces exemples soulignent le potentiel pour la Mauritanie de mobiliser sa diaspora en tant que partenaire stratégique pour le développement national. Sur la base de ces succès internationaux, les autorités mauritaniennes sont encouragées à prioriser les mécanismes financiers et d’investissement qui sollicitent la diaspora, favorisant sa contribution aux entreprises sociales et la création de solutions de financement innovantes.
Avec le secteur minier en plein essor et la croissance de la production pétrolière et gazière, une vague de nouvelles opportunités s’ouvre. Dans ce contexte, l’engagement avec la diaspora mauritanienne s’avère d’une importance stratégique renouvelée. Les experts recommandent la création d’une institution semi-publique, telle qu’un Conseil National de la Diaspora, rattaché directement à la Présidence ou au Premier ministre, tout en conservant une certaine autonomie et une gouvernance rigoureuse. Ce partenariat public-privé marquerait la priorité stratégique de l’initiative et le rôle vital de la diaspora dans le développement national.
Le gouvernement devrait fournir un financement initial en mobilisant des partenariats institutionnels et des ressources budgétaires. Le conseil pourrait ensuite lancer des programmes allant des subventions pour entreprises sociales aux initiatives de cofinancement, ciblant des secteurs clés tels que la santé, l’exploitation minière, l’agriculture, l’industrialisation, le tourisme et la technologie à travers le pays. Ces initiatives offriraient à la diaspora une double opportunité : obtenir un retour sur investissement tout en contribuant activement au développement durable de la Mauritanie.
Pour garantir l’efficacité, le conseil travaillerait en étroite collaboration avec des institutions existantes, telles que l’Agence pour la Promotion des Investissements en Mauritanie (APIM) et le Programme d’Appui à la Finance Innovante, Inclusive et Durable (PAFIID), afin de concevoir des mécanismes de financement innovants permettant l’engagement de la diaspora tout en soutenant des initiatives sociales via la création d’entreprises sociales. En offrant des programmes d’accompagnement, des incitations fiscales, des procédures simplifiées et l’accès aux marchés publics, le pays viserait à stimuler les projets économiques portés par sa diaspora. Encourager l’investissement de la diaspora pourrait également transformer les transferts de fonds en source durable de financement du développement, orientés vers des produits d’épargne structurée, des opportunités d’investissement ou des obligations pour la diaspora, créant ainsi une base de capital pérenne pour le développement national.
À ce moment tournant de l’histoire de la Mauritanie, il est temps d’agir de manière décisive pour le développement socio-économique du pays, en mobilisant tous les fils et filles de la nation pour façonner son avenir.
NB : Cet article reflète les opinions personelles de l’auteur et non celles d’une institution ou d’une organisation.