Par Dr Mohamed H’MIDOUCHE*
Recapitaliser les institutions financières africaines reste un défi majeur. Avec son nouveau mécanisme, la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA) propose une solution inédite qui ouvre la voie à une autonomie financière progressive du continent.
La recapitalisation des banques régionales africaines a toujours représenté un casse-tête : budgets publics contraints, souscriptions au capital non libérées, institutions financières en manque de fonds propres. En proposant d’octroyer des prêts concessionnels aux États actionnaires pour qu’ils puissent libérer leurs engagements dans les institutions financières régionales ou panafricaines, la BADEA a introduit une innovation méthodologique majeure. Cette approche permet aux institutions de renforcer leur capital sans s’endetter, tout en consolidant leur crédibilité vis-à-vis des marchés.
Un effet multiplicateur spectaculaire
L’opération menée avec le Fonds de Solidarité Africain (FSA) en 2024 illustre cette logique : avec seulement 120,8 millions USD prêtés, la BADEA a permis la libération de 72 milliards FCFA, ouvrant la voie à près de 900 milliards FCFA de garanties nouvelles et à 1 800 milliards FCFA de financements mobilisables. L’effet multiplicateur atteint 31, confirmant le rôle du FSA comme catalyseur de l’accès au crédit pour les PME africaines.
La Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD) a bénéficié d’un dispositif encore plus ambitieux : 400 millions USD de prêts concessionnels aux États, 30 millions USD de participation directe au capital et 100 millions USD de dette hybride. Cette combinaison a renforcé ses fonds propres, amélioré sa notation financière et élargi ses capacités d’émission obligataire.
Quant à Shelter Afrique, l’appui de 120 millions USD a contribué à stabiliser son capital et à soutenir sa transformation en banque panafricaine de l’habitat (ShafDB). Ce soutien intervient dans un contexte où l’Afrique doit faire face à un déficit de logement colossal, estimé par Shelter Afrique à 52 millions d’unités, et par UN-Habitat et l’IFC à plus de 70 voire 100 millions d’unités.
Shelter Afrique : une dynamique à consolider
Au-delà des chiffres, Shelter Afrique représente un enjeu stratégique pour l’avenir urbain du continent. Son nouveau Directeur Général a engagé une dynamique de redressement et de modernisation qui suscite un regain de confiance parmi les actionnaires et les partenaires. L’appui de la BADEA vient renforcer cette dynamique en lui offrant une base de capital plus solide, condition essentielle pour financer des programmes de logements sociaux, stimuler le secteur du BTP et contribuer à l’urbanisation durable.
Une innovation institutionnelle : recapitaliser sans dette
Ce mécanisme présente trois atouts essentiels :
- Préservation de la soutenabilité : les prêts sont portés par les États, permettant aux institutions de se recapitaliser sans alourdir leurs bilans.
- Effet de levier démultiplié : chaque dollar prêté se traduit par des financements additionnels bien supérieurs.
- Crédibilité accrue : des institutions plus capitalisées inspirent confiance aux investisseurs et peuvent lever davantage de ressources sur les marchés.
Cette approche tranche avec les recapitalisations classiques, souvent lentes et incomplètes, et s’inscrit pleinement dans la vision de l’Agenda 2063 et de la ZLECAf, qui visent une Afrique intégrée, prospère et autonome.
Des bénéfices tangibles pour le continent
Les impacts attendus sont multiples et concrets :
- FSA : accroissement des garanties pour les PME, réduction du risque souverain, inclusion financière des jeunes et des femmes.
- BOAD : financement de corridors transfrontaliers, projets énergétiques et infrastructures régionales stratégiques.
- Shelter Afrique : développement de programmes de logements sociaux et abordables, stimulation de l’emploi dans le BTP et valorisation des chaînes de valeur locales.
Ces effets combinés se traduisent par la création d’emplois, le renforcement de l’intégration régionale et la stimulation de la croissance inclusive.
Les conditions du succès
L’innovation de la BADEA n’exonère pas d’une vigilance accrue. Trois conditions seront déterminantes :
- La soutenabilité de la dette publique des États emprunteurs.
- La gouvernance rigoureuse des institutions bénéficiaires, gage de transparence et de crédibilité.
- L’orientation des ressources vers des projets productifs, inclusifs et générateurs d’emplois.
Une transition stratégique à la tête de la BADEA
Cette initiative constitue l’un des legs majeurs du Dr Sidi Ould TAH, dont le mandat à la Banque Arabe pour le Développement Économique en Afrique (BADEA) s’est achevé le 30 juin 2025. Depuis le 1er septembre 2025, il a pris ses fonctions comme Président du Groupe de la Banque Africaine de Développement (BAD), marquant une nouvelle étape dans son parcours. Son successeur à la BADEA, S. E. Abdullah KH Almusaibeeh, a pris ses fonctions le 1er juillet 2025 avec l’engagement de renforcer et d’amplifier cette dynamique novatrice. La continuité de cette stratégie sera déterminante pour consolider le rôle de la BADEA dans l’architecture financière africaine.
Conclusion : un modèle innovant et ouvert
En recapitalisant les institutions régionales via leurs actionnaires, la BADEA a conçu un mécanisme original qui conjugue effet de levier, soutenabilité et crédibilité. Cette approche, encore peu connue du grand public comme de nombreuses parties prenantes, mérite d’être mise en lumière car elle illustre la capacité d’innovation financière africaine au service du développement.
Au-delà de l’opération technique, il s’agit d’un véritable outil stratégique pour le financement des PME africaines et pour la consolidation des institutions financières régionales. En permettant de libérer les souscriptions des États sans alourdir la dette des banques régionales, la BADEA contribue à renforcer l’écosystème financier du continent et à créer un effet multiplicateur sur l’investissement productif.
Ce mécanisme, par son originalité et son efficacité, peut servir de référence et de source d’inspiration pour toute institution de développement intéressée à mobiliser de nouvelles ressources en capital. Il témoigne d’une Afrique capable de proposer ses propres solutions, adaptées à ses besoins et à ses ambitions, dans la droite ligne de l’Agenda 2063 et de la ZLECAf.
En outre, les lois sur le contenu local adoptées par de nombreux pays africains offrent aux PME des opportunités extraordinaires pour contribuer à la réalisation des grands projets d’infrastructures dont le continent a besoin, mais aussi pour générer des emplois, créer des richesses et accroître les recettes fiscales des États. En définitive, l’expérience de la BADEA confirme qu’il est possible d’allier innovation, rigueur et vision stratégique pour soutenir la croissance inclusive, renforcer les institutions financières africaines et donner aux PME le rôle moteur qui leur revient dans le développement économique du continent.
*À propos de l’auteur
Dr Mohamed H’Midouche, ancien haut responsable de la Banque Africaine de Développement (BAD), est CEO d’Inter Africa Capital Group, auteur et consultant international.