Par professeur Amath Ndiaye, FASEG – UCAD.
On répète souvent aux Africains qu’il suffirait d’avoir une monnaie nationale et de « l’ouvrir comme un robinet » pour financer les écoles, construire des routes ou payer les fonctionnaires. Mais c’est une illusion. Une monnaie n’est pas une source magique : si on en crée trop sans lien avec la richesse réelle, on provoque l’inflation et, à terme, une crise économique. Beaucoup pensent que les pays riches, comme les États-Unis, le Japon ou la France, recourent librement à la planche à billets. En réalité :
- Les États-Unis sont très endettés, mais leurs dépenses sont financées par des investisseurs du monde entier, parce que le dollar inspire confiance.
- Le Japon est encore plus endetté, mais la dette est achetée par les Japonais eux-mêmes : là aussi, c’est la confiance qui fait tenir le système.
- La France, avec l’euro, reste confrontée à de lourdes difficultés budgétaires. Si « l’impression monétaire » suffisait, elle n’aurait aucun problème à financer ses retraites ou ses hôpitaux.
Conclusion : même les pays riches n’ont pas trouvé de miracle dans la création monétaire illimitée.
Pourquoi pas en Afrique ?
Si « le robinet monétaire » était une solution, des pays comme la Mauritanie, la Gambie ou la Guinée, qui disposent de leur propre monnaie, l’auraient déjà utilisée. Pourtant :
- En Guinée, la crise de liquidités est telle qu’il manque de billets dans les banques.
- En Gambie ou en Mauritanie, la monnaie nationale n’a pas mis fin ni à la pauvreté ni au chômage.
Le Zimbabwe a tenté l’expérience : imprimer massivement pour financer l’État. Résultats désastreux :
- Hyperinflation incontrôlable.
- Prix doublant parfois en quelques heures.
- Billets de millions de dollars qui ne valaient même pas le prix d’un pain.
Au final, l’économie s’est effondrée et le pays a dû abandonner sa monnaie nationale au profit de devises étrangères.
La vraie leçon
La monnaie ne repose ni sur le patriotisme ni sur les slogans politiques. Elle repose sur la confiance :
- Confiance que le billet gardera sa valeur demain.
- Confiance qu’on pourra l’utiliser partout pour payer.
- Confiance que la Banque centrale ne va pas inonder le pays de billets au détriment des ménages.
Imprimer de la monnaie ne crée pas de richesses. Ce sont le travail, la production, l’innovation et la bonne gestion qui produisent la vraie prospérité. La monnaie n’est qu’un instrument qui sert à mesurer et à faire circuler ces richesses.
Injecter abusivement de la monnaie crée de l’inflation, et l’inflation appauvrit le peuple. L’État ne doit pas vivre injustement sur le dos des citoyens en manipulant la monnaie à sa guise. Ce serait profiter de leur travail sans rien donner en retour. La posture juste pour l’État, c’est de lever des impôts et d’offrir en contrepartie des biens et services publics.
A propos de Pr Amath Ndiaye, FASEG – UCAD
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.