Par Alpha Seydi BA, Expert Senior en Communication Stratégique et Relations Publiques.
Le débat sur le contenu local en Mauritanie s’inscrit aujourd’hui dans un contexte de mutation stratégique où la volonté politique se manifeste par l’adoption de nouveaux instruments juridiques et institutionnels. La promulgation récente de la loi n°2024-045 ainsi que son décret d’application marquent un tournant incontestable dans le mode de gestion des industries extractives et énergétiques du pays.
L’objectif fondamental de cette réforme est d’inscrire l’exploitation des ressources naturelles dans une logique de création de valeur partagée, où la population, les entreprises et le tissu industriel local deviennent les premiers bénéficiaires, rompant ainsi avec les modèles d’extractivisme traditionnel souvent associés à une faible redistribution des richesses au niveau national.
Cette nouvelle réglementation entend structurer l’implication des acteurs locaux à tous les niveaux de la chaîne de valeur, qu’il s’agisse de l’emploi, de la sous-traitance, de la formation technologique ou du développement industriel. La création du Conseil national du contenu local, adossée à une unité spécialisée au sein du ministère compétent, fixe un cap stratégique pour l’ensemble des parties prenantes. Le Conseil est chargé d’élaborer la politique et la stratégie nationale, de mobiliser ressources et expertises pour assurer l’ancrage économique des secteurs minier, pétrolier, gazier et énergétique. Les opérateurs et leurs sous-traitants doivent désormais remettre des plans triennaux prévisionnels et des rapports annuels détaillant leur politique d’emploi national et leur intégration de fournisseurs locaux. L’innovation réside aussi dans la digitalisation du suivi : une plateforme numérique dédiée hébergera les plans, suivra les performances, et centralisera les données sur l’emploi et la sous-traitance, ce qui permettra une traçabilité accrue et une transparence dans l’évaluation des progrès réalisés.
L’enjeu pour la Mauritanie va bien au-delà de la simple création d’emplois locaux. Il s’agit de stimuler durablement le développement de compétences nationales, à travers la formation professionnelle, le transfert de savoir-faire et la « nationalisation » progressive des postes de responsabilité. La réglementation mise en place donne la priorité à la main-d’œuvre locale dans les recrutements et concède un avantage compétitif aux entreprises mauritaniennes pour la fourniture de biens et de services. Pour encourager les opérateurs à respecter les engagements pris, des mesures incitatives seront instaurées, tandis que des sanctions financières et administratives sont prévues en cas de non-conformité.
Ce modèle de contenu local n’est pas une innovation isolée en Afrique : le Nigeria, le Ghana, le Sénégal et l’Angola ont déjà expérimenté des stratégies volontaristes avec des succès variables mais des points communs. Au Nigeria par exemple, la loi sur le contenu local a imposé des quotas de fourniture locale et un suivi institutionnel rigoureux, ce qui a permis une véritable montée en puissance des PME nationales et une intégration progressive de la chaîne d’approvisionnement. Au Ghana, la combinaison de quotas et d’un soutien actif à la formation technique a entraîné la structuration de tout un secteur de PME spécialisées dans les services pétroliers et miniers. L’Angola a misé sur une articulation de mécanismes incitatifs et de quotas tout en favorisant le financement des PME par la création de fonds spécifiques, et le Sénégal collabore désormais étroitement avec la Mauritanie autour du projet gazier GTA pour mutualiser les bonnes pratiques et accélérer l’intégration industrielle régionale.
Les grandes références mondiales telles que celles du Brésil et de la Norvège montrent que le succès des politiques de contenu local repose sur une adaptation progressive des objectifs réglementaires à la réalité du tissu économique, associée à un effort massif de formation et de transfert de technologie. Le Brésil a élaboré une politique flexible, combinant quotas temporaires, incitations, et accompagnement renforcé des PME, avec des résultats visibles en matière de développement industriel. La Norvège, quant à elle, est parvenue à bâtir une filière pétrolière solide grâce à une gestion stratégique des partenariats, à l’exigence de transferts de compétences et à la montée continue des capacités nationales.
Pour donner toute sa portée à la réforme mauritanienne, une stratégie gagnante devrait miser sur une approche pragmatique et évolutive : il s’agit d’aligner les objectifs du contenu local sur les capacités réelles du tissu industriel tout en planifiant leur rehaussement via des programmes de formation structurés et des politiques d’innovation ciblées. L’accompagnement des PME doit se concrétiser par un accès facilité au crédit, l’accélération des procédures administratives, des incitations fiscales adaptées et la diffusion de bonnes pratiques en matière de gestion de projet et de gouvernance. La surveillance de ces dynamiques doit être appuyée par une digitalisation totale du processus de suivi, assurant transparence, traçabilité et responsabilisation des parties impliquées.
Le renforcement du capital humain, pilier essentiel du contenu local, passe par des partenariats solides entre l’État, les centres de formation, les universités et les opérateurs privés, pour répondre réellement aux besoins des projets industriels majeurs. Il convient aussi de favoriser les co-investissements, de promouvoir les joint-ventures et de multiplier les synergies avec les acteurs régionaux et internationaux, afin de donner à l’économie mauritanienne les moyens de sa compétitivité. Enfin, la responsabilité sociale et l’inclusion doivent être intégrées à chaque étape, pour garantir que le développement industriel s’accompagne de retombées concrètes pour les communautés et d’une protection accrue de l’environnement.
En définitive, la stratégie gagnante pour la Mauritanie exige une mobilisation collective, une gouvernance transparente et une adaptation constante des outils à la réalité du terrain. Si elle est suivie de manière rigoureuse et ambitieuse, cette politique de contenu local fera de l’exploitation des ressources naturelles un levier puissant de transformation économique, industrielle et sociale pour le pays, tout en lui permettant de s’inscrire de façon crédible dans les meilleures pratiques africaines et internationales en la matière.