Pr Amath Ndiaye, FASEG-UCAD.
Le 20 août 2025, le Mali a sollicité le marché régional de la dette publique de l’UEMOA pour mobiliser 20 milliards FCFA. L’opération, qui combinait bons du Trésor et obligations assimilables, a suscité une demande de 23,09 milliards FCFA, soit une couverture de 115 %. Finalement, Bamako a choisi de lever 18,79 milliards, en dessous de son objectif initial.
Derrière ces chiffres techniques se cache une réalité politique et économique forte : le franc CFA et l’intégration financière de l’UEMOA offrent aux États un levier de résilience unique en Afrique.
Une demande supérieure à l’offre
La répartition des instruments est révélatrice :
BAT (364 jours) : 13,12 milliards FCFA levés, rendement moyen de 8,5 %.
OAT (3 ans) : 5,59 milliards, rendement de 9,2 %.
OAT (5 ans) : seulement 0,07 milliard, rendement de 7,6 %.
En clair, les investisseurs régionaux ont répondu présent. Mieux encore, la demande a dépassé l’offre, ce qui traduit une confiance tangible dans la signature malienne.
*La solidarité régionale en chiffres*
L’autre enseignement majeur est la provenance des souscriptions. Le Sénégal arrive en tête avec 9,05 milliards, suivi du Burkina Faso (3,73 milliards), de la Côte d’Ivoire (2,96 milliards) et du Bénin (2,53 milliards).
Cet appui des voisins montre que l’UEMOA n’est pas qu’une union monétaire : c’est aussi une communauté de solidarité financière. Lorsqu’un État fait face à des tensions de trésorerie, il peut se tourner vers ses pairs pour lever des fonds, à des conditions nettement plus favorables que sur les marchés internationaux.
Cette possibilité de financement intrarégional constitue une spécificité du franc CFA. Des pays comme la Guinée, le Ghana ou la Sierra Leone n’ont pas accès à un tel mécanisme. Ils dépendent soit de leurs marchés domestiques, souvent étroits, soit d’investisseurs étrangers exigeant des taux très élevés. Résultat : une vulnérabilité accrue et un coût de financement insoutenable.
En comparaison, le Mali a pu mobiliser près de 19 milliards en une seule opération grâce à ses partenaires de l’UEMOA. C’est la démonstration que l’intégration monétaire et financière n’est pas un carcan, mais une assurance collective.
Le franc CFA, plus qu’une monnaie
On réduit trop souvent le débat sur le CFA à une question idéologique : monnaie coloniale ou non ? Mais dans la pratique, c’est un outil vivant de coopération et de stabilité. L’opération malienne en est la preuve éclatante.
Au-delà de la stabilité des prix, le CFA permet :
-de mutualiser les risques,
-d’attirer les investisseurs régionaux,
-et de garantir aux États une solution de financement en cas de tension budgétaire.
L’émission malienne du 20 août illustre un fait que beaucoup d’observateurs négligent : le franc CFA n’est pas une relique figée du passé, mais un instrument africain d’intégration et de résilience. Dans un monde où les crises financières et politiques sont récurrentes, la capacité d’un pays comme le Mali à mobiliser, en pleine période d’incertitude, près de 19 milliards FCFA grâce à la solidarité de ses voisins est une force rare.
Le franc CFA n’est pas seulement une monnaie : il est un outil stratégique collectif, garantissant que, face aux défis, l’unité fait la force.
A propos
Prof. Amath Ndiaye est un éminent économiste sénégalais, titulaire d’un Doctorat d’État en Sciences Économiques de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (2001) et d’un Doctorat de 3e cycle en Économie du Développement de l’Université de Grenoble, France (1987). Depuis 1987, il enseigne à la Faculté des Sciences Économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Expert reconnu, il a collaboré avec des institutions prestigieuses telles que la Banque Africaine de Développement, la Banque Mondiale, et le FMI, se spécialisant notamment dans les domaines des taux de change, de la croissance économique, et du développement institutionnel. Il était expert-membre du comité de pilotage de la Commission de l’Union Africaine pour la Création de la Banque Centrale Africaine.. Prof. Ndiaye est l’auteur de nombreuses publications influentes, notamment sur les régimes de change et la croissance économique en Afrique de l’Ouest. Trilingue, il maîtrise le wolof, le français et l’anglais.