Entre le colonel Assimi Goïta, président de la transition malienne, et son ministre de la Défense, le général Sadio Camara, la guerre larvée est désormais à ciel ouvert. Les deux hommes, jadis alliés dans les coups d’État d’août 2020 et de mai 2021, s’observent aujourd’hui à fleurets à peine mouchetés.
La nuit des généraux
Dans la nuit du 10 au 11 août 2025, la Garde nationale – corps d’origine de Sadio Camara – a été frappée en plein cœur : arrestation du général Abass Dembélé, figure respectée des Forces armées maliennes (FAMa), ancien chef de zone dans le Nord, gouverneur de Mopti, blessé au front à Konna en 2013, et connu pour avoir arrêté le putschiste Amadou Sanogo cette même année. À ses côtés, la générale de brigade Nema Sagara, issue de l’armée de l’air, proche du général Ismaël Wagué (ministre de la Réconciliation nationale), a également été interpellée.
Ces deux arrestations ne sont pas des coups isolés. Elles font suite à une vague plus large, touchant aussi bien les militaires que des civils jugés « gênants ». Dans la ligne de mire : tout ce qui ressemble à un contre-pouvoir au palais de Koulouba.
Le cercle de suspicion
Les proches de Sadio Camara sentent l’étau se resserrer. Des observateurs évoquent une opération de neutralisation méthodique. Malick Diaw, président du Conseil national de transition (CNT), ancien compagnon de Goïta, serait sous pression pour clarifier son alignement. Modibo Koné, patron des services de renseignement, connu pour ses réseaux transversaux, surveille le terrain.
En coulisses, Ismaël Wagué joue profil bas. Officiellement en charge de la Réconciliation nationale, il sait que ses origines dans l’armée de l’air et ses liens avec Nema Sagara le placent dans un équilibre précaire.
Le coup de balai politique
Les civils ne sont pas épargnés. Choguel Kokalla Maïga, ancien Premier ministre et ex-pilier du Mouvement du 5-Juin/Rassemblement des forces patriotiques (M5-RFP), a été placé en garde à vue, accusé d’atteinte aux biens publics sur la base d’un rapport du Vérificateur général. Son avocat, Cheick Oumar Konaré, dénonce une manœuvre politique. Moussa Mara, autre ancien chef du gouvernement, est déjà derrière les barreaux.
L’actuel Premier ministre, le général Abdoulaye Maïga, garde le silence, mais son positionnement est scruté : loyaliste assumé d’Assimi Goïta, il sait qu’il pourrait devenir la figure de proue d’un exécutif recentré et verrouillé.
Un agenda militaire inquiétant
Pendant ce temps, le président Goïta a annoncé le recrutement massif de 124 000 soldats, officiellement pour renforcer la lutte contre le jihadisme. Ses détracteurs y voient la construction d’une force parallèle, sur mesure, échappant au contrôle de Sadio Camara et de l’état-major classique. L’« Opération Dougoukoloko 2025-2030 », censée prolonger l’Opération Maliko, est perçue par certains comme un paravent.
Les critiques les plus virulentes parlent d’un président « fébrile », déterminé à neutraliser toute dissidence dans la grande muette. Les réseaux sociaux bruissent : Pinky Alby (@Albypinky) accuse les généraux « de sauter avec les terroristes » ; Séga Diarrah (@Segadiarrah) défend Abass Dembélé, « formé en France et aux États-Unis », et alerte sur « une purge qui détruit l’ossature républicaine de l’armée ». Mark Abubakari (@MarkA4967) met en garde contre « l’emprise grandissante des mercenaires russes », accusés d’exactions.
L’arrière-plan AES
Dans ce climat tendu, l’Alliance des États du Sahel (AES) – Mali, Burkina Faso, Niger – traverse un passage à vide : difficultés économiques, grogne sociale, pressions jihadistes (l’attaque de Foutouri reste dans tous les esprits). Des fissures apparaissent dans la solidarité des juntes. À Niamey, Abdourahamane Tiani joue sa propre carte. À Ouagadougou, Ibrahim Traoré reste attentif aux turbulences de Bamako.
À ce stade, le pari d’Assimi Goïta, acclamé par d’aucuns en interne et ailleurs pour son « souverainisme », est clair : verrouiller, étendre, intimider. Mais dans un Mali fragmenté, où les loyautés sont mouvantes et les rancunes durables, les purges ont souvent un effet boomerang.
Note interne : plusieurs sources militaires évoquent déjà, off record, l’existence de « listes » de personnalités à arrêter ou écarter, mêlant militaires, politiques et même certains partenaires économiques. Le climat rappelle dangereusement les veilles de rupture des années 2012-2013.