« Notre rentabilité reste l’une des plus fortes du continent »
Dans cet entretien exclusif paru dans le magazine Financial Afrik numéro 122, Mustafa Rawji, Directeur Général de Rawbank, revient sur les résultats exceptionnels de la première banque congolaise en 2024, son positionnement dans les financements structurés, la montée en puissance de l’application Illicocash, l’impact du programme “20 000 PME”, et les ambitions ESG de l’établissement. Avec un ton à la fois direct et ancré dans la réalité congolaise, il défend une vision d’une banque solide, inclusive et tournée vers l’avenir.
Rawbank a enregistré un produit net bancaire de 514 millions USD et un bénéfice net de 212,7 millions USD en 2024. Quels leviers stratégiques ont été les plus déterminants pour atteindre ces résultats dans un contexte économique encore contraint ?
Ce n’est pas un miracle. C’est du travail, de la constance, et une vision claire. Malgré l’inflation et une politique monétaire serrée, on a su tenir notre cap. Le produit net bancaire a progressé de plus de 6 % et notre rentabilité reste l’une des plus fortes du continent, avec un ROE de près de 33 %. Ce qu’on a fait, c’est consolider les bases : croissance organique maîtrisée, rigueur dans les marges, maîtrise du coût du risque (0,47 % en Net NPL) et un vrai coup d’accélérateur sur le digital avec Illicocash. Mais au fond, ce qui a fait la différence, c’est notre volonté de rester au service de l’économie réelle. On ne fait pas de la finance abstraite. Chaque dollar de crédit doit avoir un impact sur le terrain. Et c’est ce qui nous rend légitimes. Avec un ratio de fonds propres de 20,44 % sous Bâle III, Rawbank affiche une solidité financière rare dans le paysage bancaire régional.
Cette marge vous permet-elle d’envisager de nouvelles opérations de croissance externe ou d’expansion régionale à court terme ?
Quand on a une base solide, on peut commencer à voir plus grand. Ce ratio, c’est un matelas de confiance, construit avec le temps, le travail des équipes, et la confiance de nos clients. Ce n’est pas un acquis, c’est une responsabilité. Oui, on regarde au-delà des frontières. Mais on le fait avec prudence, humilité et lucidité. On réfléchit en banquier, pas en aventurier. Chaque pas que nous faisons doit être utile, cohérent, aligné avec ce que nous sommes : une banque de proximité, née ici, au service d’une transformation durable de nos économies.
Le nouveau logo qu’on a présenté en 2024, ce n’est pas juste un rebranding. C’est une manière de dire que Rawbank entre dans une nouvelle phase, avec plus d’ambition, mais aussi plus de rigueur et de maturité. On ne prétend pas tout faire ni tout savoir, mais on avance, enracinés en RDC, ouverts au monde, et à l’écoute de notre époque.
Le prêt syndiqué de 400 millions USD pour le développement de KamoaKakula positionne Rawbank comme arrangeur d’envergure. Est-ce le début d’un repositionnement de la banque sur le segment du financement structuré à l’international ?
Ce deal, c’est un tournant, oui, mais surtout un signal fort. Être à la manœuvre sur une syndication de 400 millions USD pour le développement de KamoaKakula, aux côtés d’acteurs de référence comme Africa Finance Corporation, Absa ou FBN Bank, ce n’est pas anodin. Ça prouve une chose essentielle : une banque congolaise peut désormais inspirer confiance à l’international, porter des opérations complexes, et s’imposer comme arrangeur principal sur des financements d’envergure mondiale. Pour nous, c’est une reconnaissance du sérieux de notre travail, de notre discipline financière, mais aussi de notre lecture fine du terrain. On ne change pas d’ADN. On reste une banque de proximité, au service de l’économie congolaise. Mais on élargit notre terrain de jeu. Parce qu’aujourd’hui, structurer un grand projet minier ou d’infrastructure ici, en RDC, ça demande à la fois une expertise technique, une solidité financière, et surtout une légitimité locale. Et ça, c’est exactement ce que Rawbank incarne. On ne veut plus seulement accompagner les projets des autres. On veut les façonner avec eux. Être à la table des décideurs, proposer des solutions sur mesure, et faire en sorte que les grands investissements étrangers profitent réellement à notre pays. Et si demain on peut aussi exporter ce savoirfaire ailleurs sur le continent, alors on le fera. Avec humilité, mais avec confiance.
Le programme “20,000 PME” connaît une progression notable, avec 225 millions USD de crédits accordés en 2024. Quels retours concrets observez-vous sur la structuration du tissu entrepreneurial congolais ? Et comment gérez-vous le risque associé à ce segment ?
Les PME, c’est plus qu’un segment pour nous : c’est l’épine dorsale du développement économique de la RDC. Et on ne peut pas parler d’émergence sans un tissu entrepreneurial solide, structuré, capable de créer de la valeur et de l’emploi. C’est ce constat qui a motivé le lancement du programme “20 000 PME”, et aujourd’hui, on franchit une nouvelle étape. Avec 225 millions USD de crédits accordés en 2024, en hausse de 46 % par rapport à l’année précédente, on ne parle plus d’un simple engagement : on parle d’une montée en puissance. D’un mouvement structuré, réfléchi, accompagné. On le voit dans les chiffres, mais surtout dans les parcours : des sous-traitants miniers qui accèdent à de meilleurs contrats grâce à un financement bien calibré ; des agro-industriels qui investissent dans la transformation locale ; des PME dans les télécoms qui digitalisent leurs services pour gagner en compétitivité.
Ce n’est pas une approche opportuniste. C’est un pilier stratégique. On travaille main dans la main avec des partenaires comme le FPM, on mobilise des mécanismes de garantie, on propose de la formation et de l’assistance technique. On ne balance pas des crédits à l’aveugle : on construit des trajectoires. Le risque, on le connaît. Mais on ne s’enferme pas dans une logique frileuse. Ce serait une faute. Une banque utile dans notre contexte, c’est une banque qui ose financer ceux que d’autres ignorent, mais qui le fait avec méthode, avec rigueur, et avec le souci constant d’emmener ces entrepreneurs vers le formel, vers la solidité, vers la croissance. Ce qu’on bâtit aujourd’hui avec les PME, c’est l’économie congolaise de demain. Et Rawbank veut en être un moteur , pas un spectateur.
L’application Illicocash semble devenir un levier clé de votre stratégie digitale. Quelle est votre vision à moyen terme sur la digitalisation bancaire et le rôle des agents dans un pays où l’inclusion financière reste un défi ?
Illicocash, c’est notre réponse congolaise à la fracture bancaire. Plus de 1,5 million de visites mensuelles, +75 % de transactions en un an, plus de 1 000 agents actifs… ce n’est plus une expérimentation, c’est devenu une infrastructure nationale, un pilier de notre stratégie. Et cette année, Illicocash a prouvé qu’elle n’était pas seulement un outil de croissance, mais aussi un outil de résilience. Dans certaines zones de l’Est, marquées par l’insécurité et les conflits, nos agences ont dû fermer temporairement. Et pourtant, grâce au digital et à notre réseau d’agents, les services bancaires n’ont jamais cessé. Les gens ont continué à recevoir, envoyer, payer, gérer leur argent. Ça, c’est une révolution silencieuse. On ne croit pas à la digitalisation hors-sol. On veut un modèle inclusif, enraciné dans les réalités du pays. Le digital pour aller vite, les agents pour aller loin. Parce qu’il faut des visages, de la proximité, de la pédagogie. Aujourd’hui, avec Illicocash, un commerçant de Tshikapa peut recevoir un transfert depuis Paris en quelques secondes. Mais c’est aussi un déplacé de guerre à Goma qui peut acheter à manger ou transférer un peu d’argent à sa famille. Voilà ce que ça veut dire, une banque qui se digitalise intelligemment, au service de tous les Congolais, même en temps de crise.
Rawbank s’implique de plus en plus dans la finance durable avec des projets concrets, comme la reforestation ou le calculateur carbone. Comment articulez-vous cette stratégie ESG avec vos objectifs de rentabilité et de transformation du modèle bancaire ?
Chez Rawbank, l’ESG fait partie intégrante de notre stratégie de performance durable. Entre 2024 et 2025, nous avons mobilisé 22 millions de dollars pour des projets environnementaux à impact mesurable, en lien avec notre gestion des risques climatiques. Cela inclut le financement de foyers de cuisson améliorés, permettant d’éviter six millions de tonnes de CO2 sur dix ans, et une opération de reforestation structurée dans le Kwilu. Nous avons aussi intégré un Carbon Calculator pour sensibiliser nos clients à leur empreinte carbone et amorcer le développement de futures offres bancaires vertes.