À la tête de la Société Africaine d’Ingénierie et d’Intermédiation Financières (SA2IF), Constantin Dabiré incarne une nouvelle génération de dirigeants africains, à la croisée de la finance de marché et de l’innovation stratégique. Acteur influent au sein de l’UEMOA, il milite pour une démocratisation de l’investissement et un approfondissement des marchés financiers régionaux. Dans cet entretien, il revient sur les défis et les opportunités du secteur, tout en partageant sa vision d’un écosystème financier africain plus inclusif, plus digitalisé et plus résilient.
La SA2IF s’est imposée comme une SGI innovante sur le marché de l’UEMOA. Quels sont, selon vous, les leviers qui permettent aujourd’hui à une société d’intermédiation financière de se distinguer dans un environnement en mutation ?
Constantin Dabiré : Pour mieux se positionner dans un environnement très dynamique et en perpétuelle évolution, il faut savoir innover dans ses process comme dans ses produits, être très flexible et à l’écoute du marché. Et s’efforcer d’être toujours plus proche de sa clientèle, anticiper ses besoins pour lui proposer des produits lui permettant d’atteindre ses objectifs.
La digitalisation des services financiers progresse rapidement en Afrique de l’Ouest. Comment anticipez-vous son impact sur le métier d’intermédiaire boursier et sur la relation avec les investisseurs particuliers ?
Chez SA2IF, nous avons compris très tôt qu’il était impossible de prospérer sur ce marché compétitif sans digitalisation. Étant beaucoup plus orientés vers les activités de marchés boursiers qu’une banque traditionnelle, la digitalisation est tout simplement incontournable pour nos clients, et ce où qu’ils se trouvent, qu’ils souhaitent intervenir à la bourse régionale de valeurs mobilières (BRVM) par notre intermédiation, passer des ordres de bourse, suivre leur compte, l’activité boursière ou l’évolution de ce marché.
Banque digitale nous-mêmes, nous savons que les banques les plus performantes sont celles qui ont su prendre les devants en matière de digitalisation. Tous nos partenaires et clients sont unanimes pour dire que nous avions pris de l’avance par rapport aux autres acteurs, et que nous avons su très tôt mettre en avant notre plateforme digitale pour permettre à nos clients à travers le monde d’être connectés à la bourse et d’y mener leurs transactions. Nous sommes aujourd’hui en discussion avec de nouveauxpartenaires internationaux, pour permettre à tous nos clients à travers le monde d’envoyer des fonds sur leur compte à la SA2IF et de réaliser des transactions boursières facilement.
Vous évoquez régulièrement la nécessité d’élargir la base des investisseurs sur les marchés financiers africains. Quels freins demeurent aujourd’hui et que faudrait-il mettre en œuvre pour accélérer cette démocratisation ?
Contrairement à ce que le faible volume de levées de fonds laissait initialement présager, le marché africain est loin d’être aussi liquide qu’on l’imagine. Pour une raison simple, selon moi : les acteurs du marché n’étaient, il y a quelques années de cela, pas suffisamment formés et les émetteurs manquaient d’expérience et d’expertise. Ce qui a posé problème quand les États africains ont commencé à solliciter fortement ce marché : le nombre d’investisseurs institutionnels était en réalité très limité, et ces mêmes investisseurs étaient d’ores et déjà sollicités par les huit États de l’UEMOA, par les banques et les sociétés publiques qui venaient sur le marché pour lever de la ressource sous forme de capitaux, d’actions ou de dettes. Élargir cette base d’investisseurs institutionnels a permis de répondre à cette problématique, en allant chercher de nouveaux produits qui injectaient de la liquidité pour que les émetteurs continuent à lever des fonds. Et ce avec un accent mis sur les particuliers, car nous évoluons dans une zone très peu bancarisée, avec des ménages, des hommes d’affaires ou des commerçants qui conservent parfois beaucoup de liquidités dans leur boutique ou chez eux. Autant de liquidités qui peuvent donc, avec le bon conseil, être injectées dans le circuit financier.
La SA2IF accompagne des levées de fonds pour des États ou des entreprises publiques. Dans quelle mesure le marché régional peut-il répondre aux besoins massifs de financement des infrastructures en Afrique de l’Ouest ?
Les besoins en termes de mobilisation de ressources pour le financement des infrastructures en Afrique de l’Ouest sont énormes, colossaux. Se pose par ailleurs la question de la qualité des projets à même de susciter l’intérêt des acteurs financiers. Dans ce contexte, nous pensons qu’il faut imaginer des produits adaptés au financement des infrastructures. Pourquoi pas des « obligations d’infrastructures », ou encore des « diaspora bonds » qui permettraient de capter la liquidité de la diaspora, de l’investir ou de la placer à travers le financement des infrastructures ? En tout état de cause, rien ne se fera sans d’importantes réformes du système financier de notre région, afin d’accroître, encore une fois, sa liquidité.
Car le marché ouest-africain est en réalité assez stressé. La liquidité existe, certes, mais elle n’est pas sur le bon créneau. Il nous faut donc drainer cette liquidité « dormante » vers le marché boursier et les infrastructures. L’une des particularités de l’Afrique et de la zone UEMOA réside dans l’existence de « caisses mutuelles » – de crédit, de dépôts –, à l’image du Réseau des Caisses Populaires de Burkina (RCPB), qui brasserait plusieursmilliards de francs CFA. Le challenge consiste donc, pour nous, à drainer une partie de ces dépôts sur les places financières pour financer les infrastructures, tout en sécurisant les plans des épargnants.
Quel regard portez-vous sur la capacité actuelle des bourses africaines à jouer un rôle central dans le financement des économies ? Quelles évolutions structurelles restent à conduire ?
Dans nos pays africains, les bourses régionales des valeurs mobilières demeurent embryonnaires. Elles proposent toutes les mêmes types de services compartimentés : d’un côté, le compartiment du marché primaire où a lieu la première émission ; et de l’autre, celui du marché secondaire où a lieu la transaction des titres émis sur le marché primaire. Diversifier l’activité de ces bourses est donc une priorité. La BRVM de l’UEMOA vient, à ce titre, de créer un compartiment dédié aux matières premières : une initiative à saluer car, comme chacun le sait, les matières premières africaines sont le plus souvent exportées pour être transformées à l’étranger, puis cotées à Londres. Cette initiative permettra de coter directement ces matières premières (or, coton) à la BRVM et d’attirer de nouveaux investisseurs vers cette plateforme. Cela faciliterait également l’introduction des entreprises de matières premières à la bourse.
Dans la même optique, la création d’un compartiment dédié aux produits dérivés, qui sont essentiels dans le développement des marchés financiers, notamment en ce qui concerne les options d’achat, les options de vente, les produits à terme est un des projets sur lesquels travaille actuellement la BRVM. Je crois que c’est en développant un certain nombre de compartiments au niveau de nos places boursières que nous rendrons celles-ci plus attirantes et plus liquides.
Comment évaluez-vous la complémentarité entre finances traditionnelles, fintech et financement alternatif dans l’émergence d’un écosystème financier africain plus résilient ?
Le système financier africain évolue avec l’émergence des fintechs en se rapprochant des normes internationales. En témoigne le fait que, la Banque Centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) ait décidé d’encadrer l’activité des fintechs, ce qui montre bien qu’elle a compris que ces technologies représentent une alternative au système financier classique. Par ailleurs la fintech est absolument incontournable dans le cadre de pays africains qui affichent des taux de bancarisation très bas : les plateformes de mobile money permettent d’améliorer le taux de bancarisation, de favoriser la traçabilité des flux qui circulent au sein des économies africaines et d’injecter dans le système financier traditionnel l’épargne des ménages. Il s’agit en somme, encore et toujours, d’accroître les liquidités. Enfin, l’émergence et le déploiement des fintechs en Afrique contribuent selon moi à l’indispensable éducation financière des agents économiques.
Au-delà des marchés financiers, comment la SA2IF s’inscrit-elle dans une logique de transformation durable de l’économie, notamment en matière d’impact social, de financement vert?
Chez SA2IF, nous sommes conscients qu’assumer notre leadership en termes d’innovation nous oblige à intégrer les aspects liés à la RSE – à l’image, par exemple, des levées de fonds de type « obligation verte ».
Être une entreprise responsable, c’est aussi accompagner un certain nombre d’initiatives concrètes, comme lorsque nous parrainons des activités d’éducation financière pour des élèves de primaire au cours de leurs vacances scolaires ; car les jeunes d’aujourd’hui sont les décideurs de demain. Nous organisons également, chaque année, un forum sur l’investissement boursier réunissant plusieurs centaines de personnes autour des problématiques financières. Nous prévoyons aussi d’organiser bientôt une séance de formation à destination des journalistes du Burkina Faso, afin de les sensibiliser aux questions financières. Toutes ces initiatives s’inscrivent dans notre rôle d’entreprise citoyenne, qui contribue activement au développement de la Cité.
Plus globalement, nous avons beaucoup d’ambitions pour la SA2IF, qui je le rappelle a été créée dans un contexte financier très difficile, alors que le Burkina Faso traversait une crise socio-politique fragilisant l’activité financière et boursière ; beaucoup doutaient alors de notre avenir et de notre résilience. Je crois que nous sommes, en réalité, arrivés au bon moment, et avec l’appui des autorités nous avons pu trouver des solutions innovantes pour l’État burkinabé et les entreprises du pays. Nous avons, enfin, une vocation internationale : notre ambition est d’aller chercher des partenaires à travers le monde, que ce soit en Europe, aux États-Unis, en Asie, avec qui nous pourrions travailler en Afrique pour mobiliser des financements et faciliter l’accroissement de la liquidité des marchés financiers.
Enfin, je tiens à rappeler qu’aujourd’hui l’Afrique surperforme en termes de rendements, qui dans la zone de la BRVM de l’UEMOA tournent autour de 8% à 10 %, parfois même davantage. C’est une zone attractive et la SA2IF souhaite résolument apporter sa contribution à son plein développement.