Par Oumar Mamadou BA, Nouakchott.
Un partenariat stratégique… mais à double tranchant
En 2024 et 2025, la Mauritanie a renforcé sa coopération avec l’Espagne et l’Union européenne, signant une série d’accords ambitieux sur la migration circulaire, la sécurité et les investissements.
❖ 210 millions d’euros d’aide européenne ont été accordés début 2024 pour renforcer la sécurité maritime, développer les infrastructures et soutenir des projets économiques.
❖ En 2025, le premier sommet bilatéral Mauritanie–Espagne a abouti à 200 millions d’euros supplémentaires d’appui aux investissements et à de nouveaux accords sur le transport, la cybersécurité et la sécurité sociale.
Objectif affiché : freiner les flux migratoires irréguliers et renforcer la coopération économique.
La justification officielle… et ses zones d’ombre
Officiellement, ces financements servent à répondre aux pressions migratoires et à positionner la Mauritanie comme un partenaire clé dans la gestion des flux vers l’Europe.
Mais de nombreux observateurs dénoncent un paradoxe :
« Ces accords servent surtout à justifier les fonds reçus, sans réelle amélioration des conditions de vie pour les Mauritaniens. »
Quand la politique migratoire frappe l’économie locale
Les témoignages de Nouakchott mettent en évidence une double perte économique :
- Le coût invisible des visas
• 5 000 Mru par personne : c’est le prix du visa espagnol.
• De nombreux demandeurs rapportent des refus sans motif et la rétention de leur passeport pendant plusieurs mois, les empêchant de voyager ou de travailler. - L’impact sur les marchés informels
• Chantiers arrêtés : à Dar Naim, faute de briques et de main-d’œuvre.
• Commerces fermés : un coiffeur contraint de fermer boutique.
• Restauration en crise : baisse de fréquentation des gargotes comme celle de Ngoné au marché Socim.
• Hausse des prix du poisson au Gethie, conséquence de l’absence des pêcheurs sénégalais (« Maule ») expulsés ou partis.
Encadré témoignage
“Mon ami coiffeur a fermé sa boutique, mon chantier est à l’arrêt et même manger chez Ngoné n’est plus possible. Tout a augmenté depuis que les étrangers ont été expulsés.”
— Un habitant de Nouakchott
Une alerte sur les conditions des étrangers
Les travailleurs étrangers, principalement Sénégalais, Maliens et Guinéens, subissent des expulsions accélérées et des contrôles renforcés, malgré leur rôle essentiel dans la pêche, le bâtiment, la restauration et le commerce.
Cette situation crée :
• Un climat d’insécurité pour les communautés étrangères.
• Une rupture de la cohésion sociale entre Mauritaniens et populations voisines.
• Une fragilisation du marché informel, qui dépend largement de cette main-d’œuvre.
Chiffres clés (encadré graphique à insérer)
• 210 M€ : financement UE/Espagne 2024.
• 200 M€ : soutien espagnol aux investissements en 2025.
• 5 000 Mru : coût moyen d’un visa Schengen (Espagne).
• +15 % : hausse estimée des prix du poisson depuis début 2025 (source : marché local Gethie).
Que faire ? Les pistes pour un équilibre durable
• Transparence consulaire : obligation de motiver les refus de visas et réduction des délais de rétention des passeports.
• Redistribution ciblée des fonds : appui direct aux petits commerçants, artisans et secteurs informels touchés.
• Programmes de formation et retour : pour que les travailleurs migrants de retour d’Espagne réinvestissent leurs compétences localement.
• Dialogue régional : relancer une coopération économique apaisée avec le Sénégal et les autres voisins.
Conclusion
Les accords Mauritanie–Espagne consolident l’image diplomatique du pays et lui garantissent des ressources considérables. Mais les retombées réelles pour les populations restent faibles et l’économie locale souffre, en particulier dans les secteurs informels.
Sans une redistribution équitable et une approche humaine des politiques migratoires, les tensions sociales et les pertes économiques pourraient éclipser les gains diplomatiques.