Par Mame Diarra Ndiaye Sobel, Directrice exécutive, Agenda Afrique
La 4ᵉ Conférence Internationale sur le Financement du Développement (FfD4), ouverte à Séville ce 30 juin 2025, s’annonçait comme un moment décisif : une plateforme destinée à redonner souffle aux Objectifs de Développement Durable (ODD) et à corriger les asymétries d’un ordre financier mondial à bout de souffle. Seulement, au fil des interventions officielles et des panels de haut niveau, un sentiment d’irréalité s’est encore installé : celui d’un théâtre mondial où les mots sont forts, les diagnostics répétés… mais les actes toujours différés.
Et cela sonne comme des aveux d’incapacités qui s’inscrivent dans un cycle d’échecs prévisibles.
L’histoire récente regorge en effet de plans globaux censés changer la donne pour les pays du Sud : des Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) aux ODD, en passant par les promesses du Consensus de Monterrey ou encore les multiples rapports du G20 et des institutions de Bretton Woods. Tous ont échoué à répondre à l’essentiel : la transformation structurelle des économies africaines et leur pleine souveraineté financière. L’Agenda 2030, qui devait être une boussole universelle, s’enlise à son tour dans les sables mouvants d’un système multilatéral incapable de se réformer.
Pour quelle raison devrions-nous alors encore attendre un miracle d’un système figé face à des crises recyclées ?
Le discours du Secrétaire général des Nations unies a bien tenté de sonner l’alarme en appelant à « rectifier le cap », « honorer la justice fiscale » et « réduire les coûts du capital ». Si seulement cet engagement verbal pouvait se traduire en actes !
En tout état de cause, le FMI a, de son côté, évoqué la restructuration des dettes « insoutenables », et son Directeur général a souligné la menace d’une « crise systémique de l’endettement ».
Mais sur le terrain, peu de signes concrets d’une volonté politique d’en finir avec les dogmes de l’austérité ou de renégocier les règles biaisées de l’ordre économique mondial. L’Afrique fait donc face au mirage multilatéral. Mais à qui profite le statu quo ?
Pour l’Afrique, la FfD4 risque de n’être qu’un énième sommet parmi tant d’autres, où l’on enregistre les doléances du continent tout en maintenant les mécanismes qui l’affaiblissent : fuite massive des ressources via les flux financiers illicites, endettement structurel, déséquilibres commerciaux, domination monétaire, exclusion des instances décisionnelles, etc. Face à cette spirale d’impuissance organisée, l’Afrique doit cesser d’attendre.
« Who is helping who? » ou plutôt, « Who owes who? » (Qui aide qui ? ou Qui doit à qui ?), pour reprendre les termes de nos camarades.
Comme le rappelle le rapport percutant « Who Owes Who? » publié par ActionAid, ce sont les pays du Sud qui subventionnent en réalité les économies du Nord, à travers une hémorragie de ressources, des intérêts de dettes injustifiés et un système fiscal mondial profondément inéquitable. Loin d’être des bénéficiaires d’aide, les pays africains sont les créanciers moraux et économiques d’un système qui les dépouille de leur richesse.
Retournons donc chez nous et travaillons d’arrache-pied pour une rupture claire, ancrée dans les réalités africaines. Ces actions suivantes pourraient constituer le début d’un grand commencement :
1. Mettre fin à l’attentisme multilatéral
L’Afrique ne peut plus attendre une réforme extérieure. Il est urgent de créer un cadre panafricain de réflexion et d’action, adossé à l’Agenda 2063, afin d’élaborer et de piloter nos propres mécanismes de développement.
2. Déclarer l’insoutenabilité de la dette actuelle
Le poids de la dette constitue un véritable goulot d’étranglement, alimenté par des taux d’intérêt injustes, des fluctuations de devises défavorables et des conditionnalités déconnectées des priorités africaines.
3. Procéder immédiatement à la reconversion de la dette
Une part substantielle de la dette doit être réorientée vers les services sociaux de base (éducation, santé, accès à l’eau, logement, autonomisation économique). Il s’agit de restaurer la dignité des populations et de poser les bases d’une souveraineté sociale et économique, indispensable à la construction d’États solides.
4. Mobiliser les ressources domestiques
Mettre en place des réformes fiscales ambitieuses, lutter contre les flux financiers illicites, élargir l’assiette fiscale de façon juste et inclusive, et promouvoir un nouveau contrat social.
5. Renforcer la solidarité africaine et Sud-Sud
Faire de la ZLECAf (Zone de libre-échange continentale africaine) une réalité concrète, soutenir la libre circulation des biens, des services et des personnes, et construire une stratégie africaine commune de coopération internationale, avec l’Union africaine comme porte-voix unique du continent.
6. Assurer le recouvrement des avoirs et la justice fiscale mondiale
Mettre fin à l’impunité des criminels financiers et réclamer des mécanismes internationaux contraignants pour la transparence et la restitution des avoirs volés.
En somme, nous n’avons que deux options : nous assumer avec audace ou continuer à subir ce statu quo.
Ayons l’audace donc de construire notre propre avenir, avec les sacrifices et les crises que cela impliquera. Après tout, on ne peut pas faire d’omelettes sans casser les œufs.
La FfD4, qui aurait pu être un tournant de rupture, risque de devenir une note de bas de page. Comme l’ont souligné plusieurs organisations de la société civile réunies en side event : « Debt is not the problem of somebody else, but our own problem » (La dette n’est pas le problème de quelqu’un d’autre, mais bien le nôtre).
Il est temps que l’Afrique assume pleinement cette réalité et se dote d’une vision à long terme, ancrée dans la transparence, la solidarité, la bonne gouvernance et la redevabilité.
Le temps des déclarations est révolu ; celui de l’action souveraine africaine commence maintenant/
A propos de Mame Diarra Ndiaye Sobel
Mame Diarra Ndiaye Sobel est une militante panafricaine engagée pour la justice sociale, les droits humains et l’autonomisation des femmes et des filles. Diplômée de plusieurs institutions au Canada, aux États-Unis, en France et au Sénégal, elle est la fondatrice de l’ONG Solidarité Active, qui œuvre à travers des programmes d’inclusion économique et d’éducation. Forte de plus de 15 ans d’expérience dans des institutions internationales, elle dirige aujourd’hui Agenda Afrique, une organisation spécialisée dans le financement du développement et la gouvernance inclusive en Afrique de l’Ouest.