En finance, la perception est-elle plus importante que la réalité ?
Le second jour des Assemblées Générales 2025 de l’Agence pour l’Assurance du Commerce en Afrique (ATIDI), organisées à Luanda, a été marqué, vendredi 20 juin, par une table ronde à haute intensité intellectuelle sur la perception du risque africain et la mobilisation du capital. Devant une assistance composée de financiers, investisseurs institutionnels, agences de notation et représentants d’organismes multilatéraux, les experts ont confronté les réalités africaines aux représentations persistantes d’un continent à haut risque.
88 milliards USD couverts par ATIDI
En introduction, Manuel Moses, Directeur général d’ATIDI, a rappelé le rôle croissant de l’agence dans le soutien aux investissements en Afrique :
« ATIDI assure aujourd’hui plus de 88 milliards de dollars d’engagements sur le continent, avec des instruments de couverture des risques politiques et commerciaux visant à faciliter les flux d’investissement dans des environnements perçus comme volatils. »
Il a notamment cité l’Angola, pays hôte, comme exemple d’économie en mutation rapide, engagée dans des projets structurants allant de la privatisation de champions nationaux à la modernisation de ses marchés financiers.
Zoom sur l’Angola : 90 % d’exportations issues des hydrocarbures
Jusian Do Susa, Secrétaire d’Etat au ministère angolais des Finances, a souligné :
« L’Angola ne veut plus être perçu uniquement comme un pays pétrolier. Nous avons lancé le programme Propriv, qui a permis la privatisation de plus de 90 entreprises publiques sur 190 visées entre 2019 et 2023. Ce programme, prolongé jusqu’en 2026, prévoit notamment l’introduction en Bourse de Unitel, Sonangol, Endiama, TAAG ou encore Bodiva elle-même. »
La BODIVA (Bolsa de Dívida e Valores de Angola), plateforme boursière lancée en 2014, a accueilli sa première IPO en décembre 2023 avec l’introduction du Banco Angolano de Investimentos (BAI). Le compartiment le plus actif demeure toutefois celui de la dette publique, avec des volumes en croissance sur les obligations du Trésor.
Parallèlement, le gouvernement angolais a mobilisé 6 milliards de kwanzas pour le refinancement de sa dette publique, dans un contexte de réforme structurelle et de diversification économique.
Focus Sénégal : 8,8 % de croissance attendue en 2025
Pays invité aux AG, le Sénégal a exposé sa nouvelle vision de développement à l’horizon 2050. Selon Amadou Ibrahima Gueye, conseiller diplomatique du ministre des Finances :
« Le Sénégal va entamer en 2025 l’exploitation de son gaz, après le démarrage du pétrole en 2024. Nous projetons une croissance du PIB de 8,8 %, portée par des pôles industriels miniers, agricoles, et un plan d’investissements massifs dans les infrastructures. »
Parmi les données à retenir de la présentation de Selon Amadou Ibrahima Gueye :
- 12 tonnes d’or produites en 2024,
- un hub minier en construction avec 330 milliards FCFA d’investissements,
- une holding minière à 100 % publique en cours de structuration,
- un réseau de gazoducs en phase de déploiement,
- une réforme du code des investissements, et un plan numérique 2034 visant la souveraineté digitale.
Les autorités ont annoncé avoir levé 620 millions d’euros sur le marché UEMOA, et viennent de lancer une nouvelle émission de 300 milliards FCFA, en cours école souscription. En outre, un accord devrait être bientôt finalisé avec le FMI, a précisé Pape Moda, conseiller spécial du ministre des Finances , intervenant en virtuel depuis Dakar. «Les négociations avec le FMI sont très avancées et couvrent divers aspects dont la question des subventions de l’énergie », a précisé le conseiller confiant quant à la conclusion d’un accord dans les prochaines semaines . Dakar vise à ramener le déficit budgétaire en deçà de 3% dés 2027.
Perception contre réalité : la vraie nature du risque africain
Le cœur du débat de cette table ronde des investisseurs a tourné autour du « coût de perception » du risque africain, estimé par plusieurs intervenants à 74,5 milliards de dollars par an. Cette prime invisible est due à la défiance des marchés vis-à-vis des fondamentaux économiques africains.
Ainsi, Gabrielle Reid de Pangea-Risk, cabinet de conseil en intelligence spécialisé sur les risques pays, a rappelé que « L’Afrique de l’Est affiche une croissance projetée de 5,7 % en 2025 contre 4,4 % pour l’Afrique de l’Ouest quoique cette dernière restant dans un contexte sécuritaire tendu dans les pays dits de l’Alliance des États du Sahel (AES). Sur l’ensemble du continent, l’inflation moyenne devrait reculer de 19 % à 14 % entre 2024 et 2025. Pourtant, les primes d’assurance augmentent, et les coûts de financement restent élevés. »
Interpellé sur le rôle des agences de notation, Samira Mensah (S&P Global) a illustré le poids de la perception avec un exemple frappant : « En 2021, le Kenya a levé 2 milliards USD à un taux de 6,5 %. Trois ans plus tard, en 2024, pour seulement 1,5 milliard USD, le pays a dû offrir 9,5 % de rendement. ». Selon Mme Mensah, ce différentiel s’explique par une combinaison de facteurs : perception du risque, volatilité des taux de change, incertitudes politiques, viabilité de la dette, et discipline budgétaire.
Pour sa part, Hamouda Chekir (Centerview Partners) a noté que « seuls deux pays africains ont aujourd’hui une notation investment grade. En Afrique de l’Oust, les mieux notés sont le Bénin et la Côte d’Ivoire avec un double B.
Du reste, les perspectives ne font pas économie du contexte actuel. Les tensions commerciales internationales, comme l’augmentation des barrières tarifaires américaines, vont encore accroître le coût du capital pour les économies émergentes. »
Takunda Pongweni (Rand Merchant Bank) a quant à lui souligné la nécessité de réduire le coût de cette perception du risque africain, estimé le stock entre 70 et 80 milliards USD, reflétant des taux élevés.
Innovation et action collective : comment réduire ce coût ?
La session suivante, animée par la journaliste Anne Marie Borges, a abordé les moyens de réduire structurellement le coût du capital par l’innovation financière.
John-Martin Ndaws de Africa Finance Corporation AFC) est revenu sur le rôle de son institution dans la couverture des risques souverains et l’accompagnement des États dans les marchés souverains. Dernière en date, «l’AFC a backé l’émission d’un Samouraï bond de l’Égypte, avec une garantie partielle». L’objectif de l’AFC est de lever des fonds sur les marchés murs et de les redistribuer à des taux abordables en Afrique.
Quant à Leonard Kange (Bank of Industry Nigeria), il a tout d’abord expliqué le positionnement de la Bank Of Industry, exclusivement dédié au financement du secteur privé avec une panoplie de produits dédiés . Tandis que Claudia Lopes (Crown Agents Bank) a lancé un appel clair :
« Les institutions financières de développement (DFI) doivent revenir sur le continent pour structurer, syndiquer et sécuriser le financement long terme. »
À travers cette table ronde, l’ATIDI a confirmé son ambition : transformer la perception du risque africain en opportunité d’investissement. Le consensus est clair : l’Afrique n’est pas sous-performante, elle a une conception de risque sur -évaluée.
Comme l’a résumé Dr Patrick Ndzana Olomo (Commission de l’UA) :
« Réduire le coût du capital, c’est d’abord réduire le coût du risque perçu. Cela passe par la transparence, des notations locales crédibles, et l’approfondissement des marchés financiers. » Reste à savoir dans ce débat sur le risque africain, s’il faille vraiment aller jusqu’à la création d’une agence de notation africaine ou réformer et approfondir l’architecture financière africaine de manière à mobiliser plus de capitaux au niveau local.