Notice au lecteur. L’article ci-dessous est tiré de l’émission « L’invité de l’intégration », diffusée courant mai 2025. L’invité de cette édition était Claude DOSSOU, Chef de la Division des Infrastructures portuaires et aéroportuaires à la Commission de l’UEMOA. L’entretien a porté sur les enjeux, défis et perspectives du transport ferroviaire dans l’espace UEMOA.
Longtemps relégué au second plan dans les politiques d’infrastructures, le transport ferroviaire dans l’espace UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) tente aujourd’hui une résurrection. Héritage de la colonisation, les principales lignes ferroviaires de la région (Dakar-Bamako, Abidjan-Ouagadougou, Cotonou-Parakou, Lomé-Blitta) ont été conçues pour exporter les matières premières vers les ports. Depuis les années 1900, seuls 240 kilomètres de rails ont été construits, dont Ouaga-Kaya (100 km) et Niamey-Dosso (140 km), contre un réseau historique de plus de 3 000 kilomètres.
Un réseau sous-dimensionné et désarticulé
La densité du réseau ferroviaire de l’UEMOA est l’une des plus faibles au monde : à peine 0,95 km pour 1 000 km² contre 2,7 km pour la moyenne africaine et 60 km en Europe. À cela s’ajoutent de nombreuses contraintes techniques : voie unique, rails à écartement métrique, faible vitesse moyenne (inférieure à 60 km/h), matériel roulant vétuste et non interopérable entre pays.
La gouvernance du secteur est également en cause. L’absence d’entretien et de modernisation, la faible coordination régionale, et un cadre réglementaire inefficace ont marginalisé ce mode de transport au profit de la route. Résultat : entre 80 et 90 % des flux de marchandises transitent par camion, entraînant une usure accélérée du réseau routier et des coûts logistiques très élevés pour les États.
Une relance régionale structurée, mais lente
Face à cette situation, la Commission de l’UEMOA a lancé en 2014 un Programme Régional de Développement du Transport Ferroviaire, assorti de normes techniques harmonisées. Des actions ont été entreprises pour améliorer la planification régionale : création d’un Comité consultatif ferroviaire, financement d’études, formations techniques, recherche de partenaires.
Le cœur de cette stratégie repose désormais sur deux grands corridors ferroviaires régionaux :
- La boucle ferroviaire Abidjan–Ouagadougou–Niamey–Cotonou–Lomé (2 928 km), qui vise à connecter cinq capitales ouest-africaines.
- La ligne Dakar–Bamako–Ouangolodougou, via Sikasso et Bobo-Dioulasso, soit 2 204 km.
Ces projets intégrateurs ont le potentiel de transformer la logistique régionale, mais ils nécessitent des investissements colossaux : entre 6 000 et 10 000 milliards de FCFA par projet selon les options (réhabilitation ou construction neuve). À ce jour, seuls les documents préparatoires et les plans d’action ont été finalisés. Le financement reste un obstacle majeur, en particulier pour les études techniques globales (estimées à plus de 30 milliards de FCFA).
Une stratégie ferroviaire en quête de partenaires
La Commission mise sur une approche communautaire et sur l’effet de levier des projets pour attirer des bailleurs tels que la Banque africaine de développement (BAD), l’USTDA ou des investisseurs privés. Le prochain cap, prévu pour 2026, consiste à élaborer une stratégie de financement des projets ferroviaires régionaux.
Parallèlement, neuf corridors ferroviaires prioritaires ont été identifiés, couvrant un linéaire total de près de 10 000 kmdans l’espace UEMOA, notamment les axes Cotonou–Niamey, Abidjan–Niamey, Dakar–Bamako, Lomé–Ouagadougou et San Pedro–Bamako. Mais la Commission concentre ses efforts sur les deux lignes les plus structurantes en raison de la limite des ressources disponibles.
Le rail, pilier oublié de l’intégration régionale
Le transport ferroviaire est aujourd’hui reconnu comme un levier essentiel de l’intégration régionale. Il offre des économies d’échelle, une meilleure sécurité des marchandises, et réduit les émissions de carbone. Dans le Plan stratégique 2025-2030 de la Commission de l’UEMOA, baptisé « IMPACT 2030 », le développement d’un réseau ferroviaire intégré figure désormais comme un pilier des infrastructures économiques.
Mais les ambitions politiques devront être accompagnées d’un engagement financier fort, d’une meilleure coordination entre États, et surtout d’un changement de paradigme : faire du rail non plus une option marginale, mais un choix stratégique pour l’avenir économique de l’Afrique de l’Ouest.