Sous le regard attentif du Premier ministre du Niger, Ali Lamine Zeine, de l’ancien chef du gouvernement béninois, Lionel Zinsou, et de Serge Ekoué, président de la Banque Ouest Africaine de Développement (BOAD), le débat sur la souveraineté alimentaire a occupé une large place lors de la matinée du deuxième jour des BOAD Développement Days, tenus à Lomé les 12 et 13 juin 2025.
Bien plus qu’une simple déclinaison de la sécurité alimentaire, la souveraineté alimentaire — vieille lune des années 1970-1980 — revient au goût du jour, réveillée par les secousses de la pandémie de Covid-19 et la guerre en Ukraine. Une idée que certains experts n’hésitent plus à opposer, sans détour, à la théorie classique des avantages comparatifs chère à David Ricardo.
Amadou Mbodj, directeur de l’Agriculture à la Commission de l’UEMOA, rappelle que l’espace communautaire a enregistré une hausse de 45 % de sa production vivrière sur la dernière décennie, soit 19 millions de tonnes supplémentaires (source SIAR UEMOA). Mais cette dynamique reste insuffisante face aux importations alimentaires massives. « Chaque année, nous importons pour 3.000 milliards de FCFA d’aliments – riz, blé, lait, viande… –, avec une dépendance de 50 % pour le riz et 80 % pour le blé. Seuls le Bénin et le Niger inversent timidement la tendance », précise-t-il.
Pour le Dr Sèmadégbé Oscar Teka, professeur à l’Université d’Abomey-Calavi, le problème ne se limite pas aux statistiques. « Accès au foncier, financement déficient, qualité des intrants, lenteur de la transition vers une agriculture climato-intelligente : le terrain est miné », résume-t-il. De son côté, le Dr Issoufou Baoua, coordonnateur régional du programme d’appui à la sécurité alimentaire du Comité Permanent Inter-Etats de Lutte contre la Sécheresse dans le Sahel (CILSS) , souligne un paradoxe : « Nous produisons déjà 70 millions de tonnes de céréales par an. Et selon les projections, les dix prochaines années seront plutôt favorables sur le plan climatique. Mais sommes-nous prêts ? »
Autrement dit : comment transformer ce potentiel en réalité ? Les réponses convergent vers l’accès aux intrants de qualité, la transformation locale, le stockage et la logistique. Abordant le débat, Bernard Comoé, haut responsable au ministère de l’Agriculture de Côte d’Ivoire, plaide pour une approche systémique et une intégration verticale des chaînes agricoles.
Pour parer les aléas climatiques, Zeynab Cissé, de l’ARC Ltd, met en avant l’assurance paramétrique, une solution innovante portée par la BOAD, le PAM et le FIDA, entre autres, pour sécuriser les petites exploitations. Quant à Adama Mariko, Directeur adjoint pour la mobilisation, les partenariats et la communication du Groupe Agence française de développement (AFD), il insiste, lui, sur le nerf de la guerre : « Moins de 1 % des financements bancaires sont orientés vers l’agriculture. Notre coalition « La finance en commun » regroupant plus de 150 banques publiques peut et doit inverser cette tendance. »
Enfin, le ministre nigérien de l’Agriculture et de l’Élevage, le Colonel Mahaman Elhadj Ousmane, appelle à rompre avec une certaine naïveté stratégique : « L’agriculture est un investissement à cycle long. Or, on persiste à vouloir en confier le financement à des partenaires extérieurs. C’est une erreur. Il nous faut bâtir nos propres mécanismes de garantie pour atténuer les risques. »
En somme, si la théorie des avantages comparatifs s’applique en temps « normal », la souveraineté alimentaire rappelle que, face aux incertitudes du XXIe siècle, l’indépendance agricole est une assurance stratégique.