Par Paul Villerac, expert en économie du développement.
Élu à la tête de la Banque africaine de développement (BAD) avec plus de 76 % des voix, le Mauritanien Sidi Ould Tah incarne le retour en force d’un pays longtemps discret mais fin stratège sur la scène continentale. Un succès diplomatique qui couronne plusieurs années de montée en puissance silencieuse.
C’est un vote qui a fait l’effet d’un séisme doux à Abidjan. Le 29 mai 2025, Sidi Mohamed Ould Tah, 61 ans, a été désigné président du Groupe de la Banque africaine de développement (BAD), au troisième tour d’un scrutin disputé. Avec 76,18 % des voix, dont 72,37 % venant des pays africains, le candidat mauritanien s’est largement imposé face à des figures bien établies, notamment le Sénégalais Amadou Hott, le zambien Samuel Munzele Maimbo ou la Sud-Africaine Bajabulile Tshabalala. Pour Nouakchott, l’événement est historique : jamais un Mauritanien n’avait accédé à une telle fonction continentale.
Mais au-delà de la performance individuelle, c’est toute une stratégie diplomatique patiemment construite qui est aujourd’hui récompensée.
Une trajectoire construite sur la discrétion et l’efficacité
Ancien ministre de l’Économie et technocrate respecté dans les cercles financiers, Sidi Ould Tah s’est taillé une réputation solide à la tête de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique (BADEA), qu’il dirigeait depuis 2015. Il y a gagné la note « AAA » pour l’institution et le titre de « Banquier de développement de l’année » en 2022. À la BAD, il prend la succession du très médiatique Nigérian Akinwumi Adesina, pour un mandat de cinq ans, à compter de septembre 2025.
Mais sa victoire ne s’explique pas seulement par son CV. Elle est aussi l’aboutissement d’une offensive diplomatique mauritanienne menée tambour battant depuis deux ans, sous l’impulsion du président Mohamed Ould Ghazouani. La présidence tournante de l’Union africaine (UA) assurée par ce dernier en 2024 a servi de tremplin. En un an, Nouakchott a renforcé sa visibilité, multiplié les médiations – au Mali, au Soudan, ou encore dans les cercles de négociation sur la dette – et démontré sa capacité à fédérer au-delà des blocs régionaux et linguistiques.
« Cette élection est le fruit d’un long travail, d’un repositionnement silencieux mais méthodique », confie un diplomate ouest-africain. En coulisse, le soutien décisif de pays comme l’Algérie, le Maroc, la Guinée ou encore l’Égypte a fait pencher la balance. Fait notable : plusieurs États de la CEDEAOse seraient ralliés au candidat mauritanien au second tour.
Le retour gagnant d’un « petit » pays
Depuis la crise sécuritaire au Sahel, la Mauritanie s’est imposée comme un partenaire de confiance, appuie un diplomate français. À la différence de ses voisins malien, burkinabè ou nigérien, elle est restée stable, neutre, évitant les tensions ouvertes avec Paris ou les coups d’éclat médiatiques. Ce positionnement équilibré lui permet aujourd’hui de parler à tout le monde : Afrique francophone comme anglophone, Maghreb comme Afrique subsaharienne, pays du Golfe comme institutions occidentales.
Cette neutralité stratégique trouve ses racines dans une tradition de médiation active. En 2014, Nouakchott avait déjà obtenu un cessez-le-feu entre les groupes armés du Nord-Mali et Bamako. En 2017, elle avait joué un rôle-clé dans le départ pacifique de Yahya Jammeh en Gambie. Ce savoir-faire diplomatique, longtemps sous-estimé, paie aujourd’hui dans les urnes continentales.
Francophonie et équilibres linguistiques
Avec cette élection, c’est aussi une forme de rééquilibrage qui s’opère au sein de la BAD. Après deux mandats d’un président anglophone, l’arrivée d’un dirigeant francophone – qui plus est parfaitement arabophone et anglophone – remet en lumière une Afrique francophone souvent sous-représentée dans les institutions panafricaines. « Ce n’est pas une revanche, mais c’est un signal », glisse un haut fonctionnaire ouest-africain. Le fait que la Mauritanie, pays à cheval entre plusieurs sphères d’influence, en soit le vecteur n’est pas anodin.
Un mandat sous pression
À la tête de la BAD, Sidi Ould Tah devra maintenant transformer l’essai. Sa feuille de route est déjà dense : relance des investissements dans les infrastructures, appui aux PME, financement de la transition énergétique, amélioration de l’accès au crédit pour les jeunes et les femmes. Autant de défis qui nécessiteront à la fois vision, diplomatie et gestion rigoureuse.
Mais pour beaucoup, sa victoire est déjà un symbole : celui d’une diplomatie africaine qui se diversifie, d’un continent qui sait récompenser l’expertise et le consensus, et d’un pays, la Mauritanie, qui s’impose peu à peu comme un acteur incontournable de l’agenda continental.