Encore fragilisée par la crise du jasside, la filière cotonnière ivoirienne entame un tournant stratégique. Objectif : passer d’une logique d’exportation brute à une industrialisation locale. Soutenue par le gouvernement ivoirien, cette mutation peut apporter de nombreux bénéfices au pays : croissance du PIB, création d’emplois qualifiés, renforcement de la souveraineté… Nouveau dirigeant d’Ivoire Coton, l’homme d’affaires Sidi Mohamed Kagnassi nous apporte son éclairage sur cette petite révolution.
Financial Afrik: Dans quel contexte avez-vous décidé d’investir dans le coton en Côte d’Ivoire ?
Sidi Mohamed Kagnassi : Le coton ivoirien fait face, depuis 2022, à ce qu’on appelle « la crise du jasside » : cet insecte ravageur a dévasté nos champs de coton, provoquant des pertes agricoles majeures. Des dizaines de milliers de producteurs ont vu leurs récoltes anéanties. Le Premier ministre a, fort justement, parlé d’un « drame national ».
Progressivement, la situation revient à la normale, et la campagne 2024-2025 s’annonce très bonne. C’était, pour moi, le moment de m’engager, d’apporter une nouvelle dynamique à un secteur stratégique. Notre pays doit transformer davantage ses matières premières localement. C’est un levier de création de richesse, mais aussi une nécessité pour notre indépendance économique. Il me semble également urgent de modifier les techniques de production agricole vers plus de durabilité et de soutenabilité.
Depuis décembre 2024, date de l’officialisation de notre rachat d’Ivoire Coton et de Chimtec, nous sommes pleinement mobilisés pour accompagner la modernisation de la filière, en lien avec plus de 35 000 cultivateurs partenaires.
FA: Le gouvernement ivoirien défend une industrialisation locale des produits agricoles, notamment avec son Plan National de Développement (PND). Quel rôle peut jouer le coton dans cette dynamique nationale ?
Sidi Mohamed Kagnassi : Le coton est une matière première au fort potentiel pour l’industrialisation. La Côte d’Ivoire en produit beaucoup, mais jusqu’ici, une grande partie est exportée à l’état brut. Or, ce sont les étapes de transformation qui concentrent la valeur ajoutée, les emplois qualifiés et l’innovation. Oui, le coton est une chance pour la Côte d’Ivoire, comme le cacao, l’anacarde ou le café. Mais il doit bénéficier davantage à la prospérité nationale. L’industrialisation locale du coton est un enjeu de souveraineté pour la Côte d’Ivoire.
J’approuve donc le choix du gouvernement de soutenir l’épanouissement de notre industrie agro-transformatrice. Le PND a déjà permis le lancement de zones agro-industrielles intégrées, à Yamoussoukro ou Korhogo, et la montée en compétence de coopératives et d’entreprises locales.
Concernant le coton, le jasside a ralenti ce processus, mais l’heure est à la relance. L’objectif du gouvernement est ambitieux mais atteignable : transformer localement 50 % de la production d’ici 2030. Cela demandera des financements, de la formation, et un vrai partenariat public-privé. Mais le retour sur investissement sera rapide. Une industrie textile nationale forte permettrait de créer des milliers d’emplois, de renforcer la demande locale, et de limiter notre dépendance aux marchés extérieurs.
En février 2025, le Conseil du coton et de l’anacarde de Côte d’Ivoire s’est d’ailleurs rendu, pour la première fois, au Salon international de l’agriculture à Paris, ainsi qu’à la World Cashew Conference à Dubaï. Ces visites illustrent clairement la volonté de trouver des partenaires internationaux pour notre modernisation – et non plus de simples acheteurs de matières brutes.
FA: Quels sont les enjeux de cette évolution stratégique pour les acteurs de la filière ?
Sidi Mohamed Kagnassi : Ivoire Coton est une entreprise historique de la transformation du coton graine en produits semi-finis. En cela, elle est, depuis sa fondation, au cœur de ces questions. Comme tous les acteurs ivoiriens du secteur, elle doit aujourd’hui assumer une croissance cohérente avec le développement du pays.
La Côte d’Ivoire a besoin d’une industrie du coton robuste et innovante. Pour chaque industriel, le défi est donc triple : bâtir un programme de développement réaliste, en phase avec cette ambition nationale ; trouver les financements nécessaires ; et enfin réussir, concrètement, cette montée en puissance.
Pour les producteurs de coton et les communautés rurales, cette évolution ne peut être que bénéfique : quand un agriculteur vend sa récolte à une usine de la même région, il réduit ses coûts logistiques, il gagne en visibilité, en régularité, et souvent en revenus. Il peut aussi mieux planifier ses campagnes de production.
Notre rôle, en tant qu’industriel local, c’est de bâtir une relation de confiance avec ces cultivateurs, et de les accompagner dans l’adoption de pratiques plus durables, plus résilientes face aux aléas climatiques, et plus rentables à long terme.
FA: En quoi le coton incarne-t-il la question stratégique du made in Côte d’Ivoire ?
Sidi Mohamed Kagnassi : Je rêve qu’un jour notre coton cesse de partir à l’étranger sous forme de balle brute, mais soit utilisé ici-même pour fabriquer des vêtements, des tissus, des produits finis de qualité. Défendre la consommation locale d’une production locale doit être le cœur du développement souverain de notre pays.
Aujourd’hui, la Côte d’Ivoire importe encore trop de vêtements, alors qu’elle pourrait en produire une partie elle-même. Pour cela, il faut structurer une vraie filière textile : formation, design, innovation, distribution. Le potentiel est immense.
Favoriser le made in Côte d’Ivoire pour les produits en coton, c’est réserver au pays la richesse générée par toute la chaîne d’activités : production, transformation et commercialisation. C’est s’assurer que toute la valeur ajoutée revient à l’économie réelle de la Côte d’Ivoire. C’est générer, enfin, des emplois, des revenus, des compétences, et renforcer notre souveraineté économique.