A l’occasion de la publication par le think tank Afrocentricity d’un dossier* sur les idéologies qui sous-tendent les nouvelles relations entre les Etats Unis et l’Afrique depuis l’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche, Financial Afrik a demandé à son président, Dr. Yves Ekoué Amaïzo, quelles étaient les meilleures réponses, vues d’Afrique, pour contrer le rouleau compresseur trumpiste. Dans tous les cas de figure, le Professeur togolais ne se montre guère optimiste car les dirigeants africains vont devoir louvoyer, selon lui, entre « imprévisibilité, ingérence, alignement, sanction, transaction et/ou annexion » s’ils veulent parvenir à « tirer leur patate douce du feu ! ».
Les Africains doivent-ils vraiment s’attendre au pire de la part de Donald Trump ?
Le sophisme trumpiste est une forme moderne, peut-être même avant-gardiste, de l’application de la doctrine de Machiavel dans son célèbre ouvrage, Le Prince. Pour ce faire, les tenants actuels du pouvoir aux Etats-Unis s’appuient sur sa capacité d’influence et de nuisance fondée sur la force militaire et médiatique. L’usage outrancier de l’intimidation, de la manipulation, du mensonge, de la ruse, et de la soumission servent de fondement pour toutes les formes de « deals », les fameux d’arrangements transactionnels, partenariaux ou pas, qui permettent à Donald Trump et ses affidés, de « faire de l’argent », de s’enrichir, de parvenir au pouvoir, et surtout de se maintenir au pouvoir. Cela se fait sans aucun respect pour la morale communément acceptée ou pour l’Autre dès lors que ce dernier ne peut offrir une capacité d’influence et de nuisance. Ce serait lourdement se tromper que de croire qu’il ne s’agit que de réactions impulsives ou d’imprévisibilités ; au contraire, on est en train d’assister à une forme d’institutionnalisation unilatérale de l’échange inégal par les EtatsUnis.
Avec son slogan America First, Donald Trump est en train de structurer une autorité supérieure, condescendante et peut-être supra-légitime au niveau mondial. Il ne peut que s’accommoder de subalternes, à moins que ces derniers ne démontrent une capacité d’influence et de nuisance égale ou supérieure à la sienne. La nouvelle devise diplomatique trumpiste peut se résumer ainsi: « Cause toujours, la caravane Trump passe ! » Il suffit de la transposer aux dirigeants européens pour comprendre comment ces derniers se comportaient, -et peut-être encore aujourd’hui-, à l’égard de certains dirigeants africains… Or, face à la Chine et à la Russie, cette devise se transforme et mue pour devenir : « Faisons un deal ou une transaction, immédiatement ou à terme. » La caravane Trump « deal » passe toujours et tant pis pour ceux qui n’ont rien compris. La surenchère suivra et les sanctions, aussi. Face aux tarifs douaniers exorbitants imposés par Donald Trump, les pays à capacité d’influence et de nuisance comme la Chine ont réagi avec une réciprocité équivalente et immédiate. Seule cette qualité du « dealer » disposant d’une capacité d’influence et de nuisance permet de traiter d’égal à égal avec Donald Trump et ses lobbies de multimilliardaires.
Est-ce à dire que les multimilliardaires africains, chefs d’Etat comme dirigeants d’entreprises, pourraient rejoindre la galaxie du « sophisme trumpiste » ?
Les oligarques multimillionnaires de toutes nationalités, et notamment les Russes, sont déjà activement sollicités. Il y a donc bien une oligarchie mondialiste qui partage en commun la philosophie du sophisme trumpiste que le terme d’extrême droite ne suffit pas à qualifier. L’émergence en politique d’oligarques américains, notamment les dirigeants des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Meta, Amazon et Microsoft), est en train de redéfinir les rapports incestueux entre l’Etat et le monde des affaires. Ce qui soulève des questions capitales non pas de l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis, mais de la nouvelle géopolitique des pouvoirs d’un réseau d’Etats alliés à des oligarques étrangers, alignés sur le protexpansionnisme. Malheureusement, le sophisme machiavéliste est déjà présent en Afrique, à cause de l’héritage de l’esclavage, de l’exploitation et de l’usurpation du sol, du sous-sol et du travail gratuit des Noirs. Il s’agit d’un réseau où l’affichage partisan est de mise. La vérité, la justice, la solidarité et l’éthique, valeurs fondamentales de l’Afrique ancestrale et de la Maât sont jetées aux orties.
En cela, le sophisme trumpiste va plus diviser l’Afrique des dirigeants que l’Afrique des peuples. Alors, il faut brouiller les pistes. L’imprévisibilité, l’opportunisme, la forfaiture, les infidélités, moulinés dans un manichéisme militant en sont les ingrédients privilégiés. L’application de tels concepts déviants comme les éléments fondateurs d’une gouvernance mondiale machiavélique pourrait aboutir, plus rapidement que l’on y pense, à une gouvernance du monde dominée en surplomb par une oligarchie de dirigeants multimillionnaires alternant, dans une sorte de va et vient, entre le pouvoir politique à la tête des Etats et le pouvoir technologique, économique et financier à la tête d’entreprises transnationales. Or, c’est dans le domaine des échanges internationaux et donc du commerce mondial que la rupture trumpiste va s’opérer. Une rupture des valeurs éthiques et de droit international au profit des valeurs de machiavéliques de nondroit.
Quelles seront les conséquences pour l’Afrique et le reste du monde de ce « protexpansionnisme », c’est-à-dire de l’alliance entre le libre-échange et le protectionnisme au service de l’expansionnisme ?
Chacun aura remarqué qu’il n’est plus question d’échanger, encore moins de le faire librement selon une régulation. Il n’y a donc plus de « libre-échange. » La neutralisation de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) par l’Administration Trump 1.0 et Trump 2.0 atteste de la justesse de l’analyse d’Afrocentricity Think Tank. Sans la mise en mouvement d’actions de résistance à la mesure des enjeux, la neutralisation d’autres institutions ne tardera pas, comme par exemple, celle de la Cour Internationale de Justice, sauf si ces institutions ne traitent pas des Etats-Unis, de leurs ressortissants ou agissent en faveur des Etats-Unis. Au demeurant, la neutralisation pourrait ressembler à une prise de contrôle de la direction de ces institutions en s’impliquant dans le choix des nouveaux dirigeants plus compatibles avec le protexpansionnisme.
Face à ce genre de réseaux que valent et que pèsent les dirigeants africains qui vivent dans les pays que Trump a qualifié de « pays de merde » ? Pourtant, c’est justement dans ces « pays de merde » où le Président Trump a du mal à empêcher le départ de ses bases militaires que les multinationales des Etats-Unis viennent récupérer des matières premières essentielles pour l’économie américaine et, surtout, tentent de contrôler les données de plusieurs pays africains en soutenant et finançant indirectement le projet Starlink d’Elon Musk, le Président-bis ou l’alter-ego de Donald Trump ? Starlink, une initiative privée de la société SpaceX d’Elon Musk vise, en principe, à fournir un accès à internet haut débit partout dans le monde, et surtout en Afrique, grâce à une constellation de satellites en orbite basse.
En réalité, il est surtout question de contrôler toutes les données entrantes et sortantes de l’Afrique. Le temps est venu de secouer le cocotier en prenant conscience que derrière les facéties spectaculaires du Président Trump, il y a une véritable stratégie de déstabilisation des uns, de négociation avec d’autres, dès lors qu’il s’agit de faire du business à court ou à moyen-long terme. Est-ce que Donald Trump va déstabiliser l’Afrique ou va-t-il finir par faire des « deals » avec les « pays de merde » ? La réponse tient dans la maîtrise de l’imprévisibilité de Donald Trump, adossée à sa capacité de nuisance et sa capacité d’influence forte. L’Afrique collectivement et, à fortiori, individuellement ne dispose que d’une capacité d’influence faible. Les formes de la séduction inversée consistent à attirer ceux qui décident de rejoindre la constellation du protexpansionnisme pour mieux les neutraliser, voire les démunir de leur richesse au profit du cœur du réseau oligarchique mondial. La gouvernance mondiale machiavélique a besoin de victimes expiatoires, de bouc-émissaires. Aux dirigeants africains de s’organiser pour ne pas tomber dans le piège !
Certes, mais quelle est la meilleure riposte face à cette imprévisibilité du locataire de la Maison Blanche ?
Effectivement, l’administration de Donald Trump est considérée par une grande majorité des dirigeants du monde comme « imprévisible » et ses décisions « unilatérales», mais tous ne sont pas traités à la même enseigne. Les dirigeants africains ont longtemps considéré les dirigeants européens et, plus particulièrement, les héritiers de la colonisation et de l’exploitation gratuite des Africains comme des dirigeants imprévisibles. En fonction de sa capacité de nuisance et d’influence, chaque dirigeant, – ou groupe de dirigeants dans un cadre régional, – a en face de lui, un dirigeant de l’imprévisibilité en fonction de la « loi du plus fort ».
Si de nombreux dirigeants africains sont à classer dans le Groupe A, il faut bien reconnaître que dans un monde multipolaire, les pays comme la Chine et la Russie disposant d’une capacité de nuisance et d’influence équivalente à celle des EtatsUnis, voire plus dans certains secteurs, sont à classer dans le Groupe B. Ce changement notable dans la diplomatie américaine tend à montrer sinon un alignement pour le moins une convergence de vues avec les positions de Moscou. En effet, les États-Unis et la Russie ont voté contre une première résolution européenne appelant au retrait immédiat des troupes russes du territoire ukrainien et ont soutenu une résolution qui ne reconnaît pas l’intégrité territoriale de l’Ukraine. Au-delà, c’est bien l’imprévisibilité de Donald Trump que doivent retenir les dirigeants et le Peuple africain.
Face aux multiples possibilités de souffrir ou de profiter de cette approche du Président Trump, l’Afrique doit s’adapter en optant pour des partenariats stratégiques servant de levier à l’amélioration de sa capacité d’influence et sa capacité de nuisance. Il faut néanmoins faire attention aux manipulations possibles et sortir de manichéisme et de la facilité de la simplification comme mode d’analyse.
Quels sont les pays qui vont être les plus affectés par les déportations d’immigrés illégaux africains et quelles en seront les conséquences ?
L’intensification des politiques d’immigration de l’administration Trump pour freiner l’immigration illégale repose sur une campagne médiatique d’expulsion visant les immigrés sans papiers, alors que certains payent leurs taxes dans le pays. Parmi les L’intensification des politiques d’immigration de l’administration Trump pour freiner l’immigration illégale repose sur une campagne médiatique d’expulsion visant les immigrés sans papiers, alors que certains payent leurs taxes dans le pays. Parmi lepays africains en tête de liste et en voie d’expulsion en février 2025 figuraient la Somalie avec plus 4 090 citoyens somaliens, le Nigéria avec 3 690 cas et le Ghana avec 3 228 cas. Les immigrés sans papiers sont en principe des personnes qui sont entrées aux États-Unis par des voies irrégulières, sauf que certain résident aux Etats-Unis, parfois depuis plus de 15 à 20 ans sans papiers, sans régularisation. Certains des Etats sont plus tolérants que d’autres, dès lors que l’immigré a un travail et paye des impôts. La politique de déportation unilatérale peut affecter unilatéralement les relations diplomatiques avec les pays africains notamment par la renégociation des accords commerciaux, des différents programmes et projets de coopération entre les Etats-Unis et les pays africains, en fonction de la volonté des gouvernements africains d’accepter les personnes expulsées et d’en supporter partiellement ou totalement le coût.
Toutefois, ceux qui oseraient refuser d’accepter des ressortissants déportés ou expulsés seront menacés et ne manqueront pas de subir une succession de sanctions économiques ou politiques de la part du gouvernement américain. Ces pays africains risquent aussi de subir une marginalisation dans le concert des Nations alignés sur la politique des Etats-Unis de Trump 2.0. Des pays comme le Cameroun, l’Éthiopie, la Somalie, le Sud-Soudan et le Soudan risquent une annulation pure et simple d’un privilège, à savoir le statut de protection temporaire (TPS), qui permet aux ressortissants de ces pays d’être protégés contre l’expulsion tout en obtenant un droit de pouvoir travailler aux Etats-Unis. Sa révocation unilatérale génèrerait une vulnérabilité accrue des migrants africains, expulsables à merci une fois unilatéralement privés de leurs droits légaux de résider et de travailler aux ÉtatsUnis.
N’y a-t-il pas une ironie de vouloir expulser des Africains qui se sont réfugiés aux Etats-Unis lors de la première présidence de Donald Trump ?
Oui, c’est justement ces régimes politiques qualifiés par Donald Trump au cours de sa présidence 1.0 de « pays de merde » d’où viennent de nombreux migrants africains qui ont cherché refuge aux États-Unis. Alors, quand le Président Donald Trump dans sa sa présidence 2.0, décide unilatéralement de renvoyer manu militari ces migrants ayant trouvé un refuge temporaire aux EtatsUnis vers des environnements volatiles et dangereux dans les « pays de merde », il contribue activement à accentuer le problème. Il devient même un élément du problème puisqu’il soutient, indirectement sinon directement, les dictatures et autocraties africaines, notamment ceux qui volontairement lui cèderont sans contreparties des ressources minières, l’installation des bases militaires stratégiques ou encore le maillage de l’Afrique avec la constellation satellitaire et numérique d’Elon Musk, sources d’une usurpation « gratuite » des données sensibles de l’Afrique. Il n’est plus question d’expulsion ou de déportation de migrants illégaux, en réalité. Il est question d’utiliser la criminalisation d’immigrés africains avec ou sans papiers aux Etats-Unis pour faire pression sur les soi-disant Etats-forts africains, facilitant ainsi l’ingérence, l’alignement, les transactions au profit des Etats-Unis, sous peine en cas de résistance, de subir les sanctions, voire les annexions de richesses et de territoires directement ou via des entités de soustraitance travaillant à l’encontre de l’unité et de la souveraineté collective du Peuple africain. Cette politique américaine fondée sur une diplomatie pragmatique d’intimidations et de sanctions, des partenariats d’alignement ciblés et une concentration sur les priorités stratégiques, sécuritaires, économiques et de neutralisation de la diversification des partenaires hors OTAN, pourrait diviser encire plus l’Afrique.
Craignez-vous une recrudescence du racisme anti-noir aux Etats-Unis ?
Nul ne peut rester insensible aux préjugés systémiques et racistes dans l’application des lois américaines sur l’immigration. Selon African Vibes, l’Agence américaine de l’immigration et des douanes cible systématiquement, -et ce de manière disproportionnée-, les ressortissants africains dans ses campagnes de criminalisation et d’expulsion. Les immigrés noirs sont près de trois fois plus susceptibles d’être détenus et de faire l’objet d’une expulsion que les autres groupes d’immigrés. Le sophisme trumpiste fonde la politique d’immigration sur la discrimination raciale des minorités visibles et/ou pauvres. Les Etats-Unis n’y échappent pas. Les droits humains et le respect du droit international risquent d’être violés en toute impunité, à moins que l’administration Trump s’engage à offrir un traitement juste et équitable aux migrants et s’attaque à la réalité du problème : l’arrêt du soutien militaire, numérique, satellitaire à tous les régimes dictatoriaux et autocrates africains qui font le choix de se soustraire à leur Constitution, au détriment du service des Peuples africains pour adopter la défense de la nouvelle « Loi fondamentale America First » (l’Amérique d’abord). En feignant de ne pas faire le lien entre les autocraties et dictatures en Afrique, le Président Donald Trump met sur la place publique sa capacité à transformer son ignorance et son manichéisme en un mode de gouvernance permettant d’ouvrir des « deals ».